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Arrêt : Affaire Lagrand (Allemagne c. Etats-Unis d'Amérique)

arrêt du 27 juin 2001 - Cour internationale de Justice
Rôle général no 104

Faits à l'origine de l'affaire.

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Compétence de la Cour - Article premier du protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends à la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963.

Compétence de la Cour pour connaître de la première conclusion de l'Allemagne - Reconnaissance par les Etats-Unis de l'existence d'un différend résultant de la violation de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires - Reconnaissance par les Etats-Unis de la compétence de la Cour pour connaître de ce différend quant aux droits propres de l'Allemagne ― Objection des Etats-Unis à la compétence de la Cour pour connaître de la prétention de l'Allemagne fondée sur la protection diplomatique - Objection des Etats-Unis à la compétence de la Cour pour connaître de la violation alléguée des alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention.

Compétence de la Cour pour connaître de la troisième conclusion de l'Allemagne relative à l'application de l'ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 mars 1999.

Compétence de la Cour pour connaître de la quatrième conclusion de l'Allemagne - Objection des Etats-Unis - Conclusion tendant à l'obtention de garanties de non-répétition n'entrant pas, selon les Etats-Unis, dans les prévisions du protocole de signature facultative.

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Recevabilité des conclusions de l'Allemagne.

Objection des Etats-Unis à la recevabilité des deuxième, troisième et quatrième conclusions de l'Allemagne - Cour ne pouvant s'ériger, selon les Etats-Unis, en juridiction statuant en dernier degré d'appel sur des questions pénales soumises à leurs tribunaux internes.

Objection des Etats-Unis à la recevabilité de la troisième conclusion de l'Allemagne - Circonstances dans lesquelles, selon les Etats-Unis, cette dernière a introduit la présente instance devant la Cour.

Objection des Etats-Unis à la recevabilité de la première conclusion de l'Allemagne - Allégation de non-épuisement des voies de recours internes.

Objection des Etats-Unis à la recevabilité des conclusions de l'Allemagne - Allégation selon laquelle l'Allemagne chercherait à faire appliquer aux Etats-Unis une norme différente de celle qui prévaut dans la pratique allemande.

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Première conclusion de l'Allemagne - Question de la méconnaissance par les Etats-Unis de leurs obligations juridiques vis-à-vis de l'Allemagne au titre de l'article 5 et du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention.

Conclusion de l'Allemagne en son nom propre - Reconnaissance par les Etats-Unis de la violation de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention - Paragraphe 1 de l'article 36 instituant un régime aux éléments interdépendants conçu pour faciliter la mise en oeuvre du système de protection consulaire.

Conclusion de l'Allemagne fondée sur la protection diplomatique - Alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention et obligations de l'Etat de résidence vis-à-vis d'une personne détenue et de l'Etat d'envoi.

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Deuxième conclusion de l'Allemagne - Question de la méconnaissance par les Etats-Unis de leur obligation juridique en vertu du paragraphe 2 de l'article 36 de la convention.

Paragraphe 2 de l'article 36 ne s'appliquant, selon les Etats-Unis, qu'aux droits de l'Etat d'envoi.

Règle de la «carence procédurale» - Distinction à établir entre cette règle en tant que telle et son application en l'espèce.

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Troisième conclusion de l'Allemagne - Question de la méconnaissance par les Etats-Unis de leur obligation juridique de se conformer à l'ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 mars 1999.

Cour appelée à se prononcer expressément sur la question des effets juridiques des ordonnances rendues en vertu de l'article 41 du Statut - Interprétation de cette disposition - Comparaison entre les textes français et anglais - Versions française et anglaise du Statut faisant «également foi» en vertu de l'article 111 de la Charte des Nations Unies - Paragraphe 4 de l'article 33 de la convention de Vienne sur le droit des traités - Objet et but du Statut ― Contexte - Principe interdisant à une partie à une instance judiciaire de procéder à aucun acte susceptible d'aggraver ou d'étendre le différend - Travaux préparatoires de l'article 41 - Article 94 de la Charte des Nations Unies.

Question du caractère obligatoire de l'ordonnance du 3 mars 1999 - Mesures prises par les Etats-Unis pour donner effet à cette ordonnance - Absence de demande en réparation dans la troisième conclusion de l'Allemagne - Contraintes de temps résultant des conditions de l'introduction de l'instance.

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Quatrième conclusion de l'Allemagne - Question de l'obligation de fournir certaines assurances de non-répétition.

Demande de caractère général visant l'obtention d'une assurance de non-répétition - Mesures prises par les Etats-Unis en vue d'empêcher la répétition de la violation de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 - Engagement pris par les Etats-Unis d'assurer la mise en oeuvre des mesures spécifiques adoptées en exécution de leurs obligations au titre de cette disposition.

Examen des autres assurances demandées par l'Allemagne - Qualification par l'Allemagne du droit individuel prévu au paragraphe 1 de l'article 36 comme un droit de l'homme - Pouvoir de la Cour d'établir la violation d'une obligation internationale et, si nécessaire, de constater aussi qu'une loi interne a été la cause de cette violation - Excuses présentées par les Etats-Unis pour la violation du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention - Absence de demande de l'Allemagne en réparation matérielle de son préjudice et de celui des frères LaGrand ― Question du réexamen et de la revision de certaines condamnations.




ARRÊT

Présents : M. Guillaume, président; M. Shi, vice-président; MM. Oda, Bedjaoui, Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, juges; M. Couvreur, greffier.

En l'affaire LaGrand,

entre

la République fédérale d'Allemagne,

représentée par

M. Gerhard Westdickenberg, directeur général des affaires juridiques et conseiller juridique du ministère fédéral des affaires étrangères de la République fédérale d'Allemagne,

S. Exc. M. Eberhard U. B. von Puttkamer, ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne auprès du Royaume des Pays-Bas,

comme agents;

M. Bruno Simma, professeur de droit international public à l'Université de Munich,

comme coagent et conseil;

M. Pierre-Marie Dupuy, professeur de droit international public à l'Université de Paris (Panthéon-Assas) et à l'Institut universitaire européen de Florence,

M. Donald Francis Donovan, du cabinet Debevoise & Plimpton, New York,

M. Hans-Peter Kaul, chef de la division du droit international public du ministère fédéral des affaires étrangères de la République fédérale d'Allemagne,

M. Daniel Khan, de l'Université de Munich,

M. Andreas Paulus, de l'Université de Munich,

comme conseils;

M. Eberhard Desch, du ministère fédéral de la justice de la République fédérale d'Allemagne,

M. S. Johannes Trommer, de l'ambassade de la République fédérale d'Allemagne aux Pays-Bas,

M. Andreas Götze, du ministère fédéral des affaires étrangères de la République fédérale d'Allemagne,

comme conseillers;

Mme Fiona Sneddon,

comme assistante,

et

les Etats-Unis d'Amérique,

représentés par

M. James H. Thessin, conseiller juridique par intérim du département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique,

comme agent;

Mme Catherine W. Brown, conseiller juridique adjoint chargé des affaires consulaires au département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique,

M. D. Stephen Mathias, conseiller juridique adjoint chargé des questions concernant les Nations Unies au département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique,

comme agents adjoints;

l'honorable Janet Napolitano, Attorney General de l'Etat de l'Arizona,

M. Michael J. Matheson, professeur de droit international à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University, ancien conseiller juridique par intérim du département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique,

M. Theodor Meron, conseiller en droit international au département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique, titulaire de la chaire Charles L. Denison de droit international à la New York University, membre associé de l'Institut de droit international,

M. Stefan Trechsel, professeur de droit pénal et de procédure pénale à la faculté de droit de l'Université de Zurich,

comme conseils et avocats;

M. Shabtai Rosenne, membre du barreau israélien, membre honoraire de l'American Society of International Law, membre de l'Institut de droit international,

Mme Norma B. Martens, Attorney General adjoint de l'Etat de l'Arizona,

M. Paul J. McMurdie, Attorney General adjoint de l'Etat de l'Arizona,

M. Robert J. Erickson, chef principal adjoint à la section des recours de la division du droit pénal du département de la justice des Etats-Unis d'Amérique,

M. Allen S. Weiner, conseiller aux affaires juridiques à l'ambassade des Etats-Unis d'Amérique aux Pays-Bas,

Mme Jessica R. Holmes, attachée, bureau du conseiller aux affaires juridiques à l'ambassade des Etats-Unis d'Amérique aux Pays-Bas,

comme conseils,

La Cour,

ainsi composée,

après délibéré en chambre du conseil,

rend l'arrêt suivant :

1. Le 2 mars 1999, la République fédérale d'Allemagne (dénommée ci-après l'«Allemagne») a déposé au Greffe de la Cour une requête introduisant une instance contre les Etats-Unis d'Amérique (dénommés ci-après les «Etats-Unis») pour «violations de la convention de Vienne [du 24 avril 1963] sur les relations consulaires» (dénommée ci-après la «convention de Vienne»).

Dans sa requête, l'Allemagne fonde la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l'article 36 du Statut de la Cour et l'article premier du protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends qui accompagne la convention de Vienne (dénommé ci-après le «protocole de signature facultative»).

2. Conformément au paragraphe 2 de l'article 40 du Statut, la requête a été immédiatement communiquée au Gouvernement des Etats-Unis; et, conformément au paragraphe 3 de cet article, tous les Etats admis à ester devant la Cour ont été informés de la requête.

3. Le 2 mars 1999, jour du dépôt de la requête, le Gouvernement allemand a également déposé au Greffe de la Cour une demande en indication de mesures conservatoires fondée sur l'article 41 du Statut et les articles 73, 74 et 75 du Règlement.

Par lettre du 2 mars 1999, le vice-président de la Cour, faisant fonction de président en l'affaire, s'est adressé au Gouvernement des Etats-Unis dans les termes suivants :

«Exerçant la présidence de la Cour en vertu des articles 13 et 32 du Règlement de la Cour, et agissant conformément aux dispositions du paragraphe 4 de l'article 74 dudit Règlement, j'appelle par la présente l'attention [du] Gouvernement [des Etats-Unis] sur la nécessité d'agir de manière que toute ordonnance de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les effets voulus.»

Par ordonnance du 3 mars 1999, la Cour a indiqué certaines mesures conservatoires (voir paragraphe 32 ci-après).

4. Conformément à l'article 43 du Règlement, le greffier a adressé la notification prévue au paragraphe 1 de l'article 63 du Statut à tous les Etats parties soit à la convention de Vienne, soit à ladite convention et à son protocole de signature facultative.

5. Par ordonnance du 5 mars 1999, la Cour, compte tenu des vues des Parties, a fixé au 16 septembre 1999 et au 27 mars 2000, respectivement, les dates d'expiration des délais pour le dépôt d'un mémoire de l'Allemagne et d'un contre-mémoire des Etats-Unis d'Amérique.

Le mémoire et le contre-mémoire ont été dûment déposés dans les délais ainsi prescrits.

6. Par lettre du 26 octobre 2000, l'agent de l'Allemagne a exprimé le voeu de son gouvernement de produire cinq documents nouveaux conformément aux dispositions de l'article 56 du Règlement.

Par lettre du 6 novembre 2000, l'agent des Etats-Unis a fait savoir à la Cour que son gouvernement acceptait la production des premier et deuxième documents, mais non celle des troisième, quatrième et cinquième documents.

La Cour a décidé, en application du paragraphe 2 de l'article 56 de son Règlement, d'autoriser la production par l'Allemagne de ce second groupe de documents, étant entendu que les Etats-Unis auraient, conformément au paragraphe 3 dudit article, la possibilité de présenter ultérieurement des observations à ce sujet et de soumettre des documents à l'appui de ces observations. Cette décision a été dûment communiquée aux Parties par lettres du greffier en date du 9 novembre 2000.

7. Conformément au paragraphe 2 de l'article 53 de son Règlement, la Cour, après s'être renseignée auprès des Parties, a décidé que des exemplaires des pièces de procédure et des documents annexés seraient rendus accessibles au public à l'ouverture de la procédure orale.

8. Des audiences publiques ont été tenues du 13 au 17 novembre 2000, au cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et réponses :
Pour l'Allemagne  :

M. Gerhard Westdickenberg,

M. Bruno Simma,
M. Daniel Khan,
M. Hans-Peter Kaul,
M. Andreas Paulus,
M. Donald Francis Donovan,
M. Pierre-Marie Dupuy.


Pour les Etats-Unis  : M. James H. Thessin,
l'honorable Janet Napolitano,
M. Theodor Meron,
Mme Catherine W. Brown,
M. D. Stephen Mathias,
M. Stefan Trechsel,
M. Michael J. Matheson.

9. A l'audience, des membres de la Cour ont posé à l'Allemagne des questions auxquelles il a été répondu par écrit, conformément au paragraphe 4 de l'article 61 du Règlement.

Dans le délai qui leur avait été fixé à cet effet, les Etats-Unis ont par ailleurs présenté des observations au sujet des documents nouveaux déposés par l'Allemagne le 26 octobre 2000 (voir paragraphe 6 ci-dessus), et ont eux-mêmes produit des documents à l'appui de ces observations.

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10. Dans la requête, la décision demandée par l'Allemagne a été ainsi formulée :

«En conséquence, la République fédérale d'Allemagne prie la Cour de dire et juger que :

1) en arrêtant, détenant, jugeant, déclarant coupables et condamnant Karl et Walter LaGrand dans les conditions indiquées dans l'exposé des faits qui précède, les Etats-Unis ont violé leurs obligations juridiques internationales envers l'Allemagne, en son nom propre et dans l'exercice du droit qu'elle a d'assurer la protection diplomatique de ses ressortissants, ainsi qu'il est prévu aux articles 5 et 36 de la convention de Vienne;

2) l'Allemagne a en conséquence droit à réparation;

3) les Etats-Unis ont l'obligation juridique internationale de ne pas appliquer la doctrine dite de la «carence procédurale» (procedural default), ni aucune autre doctrine de leur droit interne, d'une manière qui fasse obstacle à l'exercice des droits conférés par l'article 36 de la convention de Vienne; et

4) les Etats-Unis ont l'obligation internationale d'agir conformément aux obligations juridiques internationales susmentionnées dans le cas où ils placeraient en détention tout autre ressortissant allemand sur leur territoire ou engageraient une action pénale à son encontre à l'avenir, que cet acte soit accompli par un pouvoir constitué, qu'il soit législatif, exécutif, judiciaire ou autre, que ce pouvoir occupe une place supérieure ou subordonnée dans l'organisation des Etats-Unis ou que les fonctions de ce pouvoir présentent un caractère international ou interne;

et que, conformément aux obligations juridiques internationales susmentionnées :

1) toute responsabilité pénale qui ait été attribuée à Karl et Walter LaGrand en violation d'obligations juridiques internationales est nulle et doit être reconnue comme nulle par les autorités légales des Etats-Unis;

2) les Etats-Unis devraient accorder réparation, sous la forme d'une indemnisation ou de satisfaction, pour l'exécution de Karl LaGrand le 24 février 1999;

3) les Etats-Unis doivent restaurer le statu quo ante dans le cas de Walter LaGrand, c'est-à-dire rétablir la situation qui existait avant les actes de détention, de poursuite, de déclaration de culpabilité et de condamnation de ce ressortissant allemand commis en violation des obligations juridiques internationales des Etats-Unis;

4) les Etats-Unis doivent donner à l'Allemagne la garantie que de tels actes illicites ne se reproduiront pas.»

11. Dans la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :

Au nom du Gouvernement de l'Allemagne,

dans le mémoire :

«Au vu des points de fait et de droit exposés dans le présent mémoire, et sans préjudice des éléments de fait et de droit et des éléments de preuve qui pourront être ultérieurement produits, ainsi que du droit de compléter et d'amender les présentes conclusions, la République fédérale d'Allemagne prie respectueusement la Cour de dire et juger que :

1) en n'informant pas sans retard Karl et Walter LaGrand après leur arrestation de leurs droits en vertu de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, et en privant l'Allemagne de la possibilité de fournir son assistance consulaire, ce qui a finalement conduit à l'exécution de Karl et Walter LaGrand, les Etats-Unis ont violé leurs obligations juridiques internationales vis-à-vis de l'Allemagne au titre de l'article 5 et du paragraphe 1 de l'article 36 de ladite convention, tant en ce qui concerne les droits propres de l'Allemagne que le droit de cette dernière d'exercer sa protection diplomatique à l'égard de ses ressortissants;

2) en appliquant des règles de leur droit interne, notamment la doctrine dite de la «carence procédurale», qui ont empêché Karl et Walter LaGrand de faire valoir leurs réclamations au titre de la convention de Vienne sur les relations consulaires, et en procédant finalement à leur exécution, les Etats-Unis ont violé l'obligation juridique internationale, dont ils étaient tenus à l'égard de l'Allemagne en vertu du paragraphe 2 de l'article 36 de la convention de Vienne, de permettre la pleine réalisation des fins pour lesquelles sont prévus les droits énoncés à l'article 36 de ladite convention;

3) en ne prenant pas toutes les mesures dont ils disposaient pour que Walter LaGrand ne soit pas exécuté tant que la Cour internationale de Justice n'aurait pas rendu sa décision définitive en l'affaire, les Etats-Unis ont violé leur obligation juridique internationale de se conformer à l'ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 3 mars 1999 et de s'abstenir de tout acte pouvant interférer avec l'objet d'un différend tant que l'instance est en cours;

et que, conformément aux obligations juridiques internationales susmentionnées,

4) les Etats-Unis devront donner à l'Allemagne la garantie qu'ils ne répéteront pas de tels actes illicites et qu'ils feront en sorte que, dans tous les cas futurs de détention de ressortissants allemands ou d'actions pénales à l'encontre de tels ressortissants, le droit et la pratique internes des Etats-Unis ne feront pas obstacle à l'exercice effectif des droits énoncés à l'article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires.»

Au nom du Gouvernement des Etats-Unis,

dans le contre-mémoire :

«Partant, sur la base des faits et moyens exposés dans le présent contre-mémoire et sans préjudice de leur droit de modifier et de compléter à l'avenir les présentes conclusions, les Etats-Unis prient la Cour de dire et juger :

1) qu'ils ont violé l'obligation dont ils étaient tenus envers l'Allemagne en vertu de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires en ce que les autorités compétentes des Etats-Unis n'ont pas informé sans retard de leurs droits Karl et Walter LaGrand ainsi que l'exigeait cet article et que les Etats-Unis ont présenté leurs excuses à l'Allemagne pour cette violation et prennent des mesures concrètes visant à empêcher qu'elle ne se reproduise; et

2) que toutes les autres demandes et conclusions de la République fédérale d'Allemagne sont rejetées.»

12. Dans la procédure orale, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :

Au nom du Gouvernement de l'Allemagne,

«[L]a République fédérale d'Allemagne prie respectueusement la Cour de dire et juger que

1) en n'informant pas sans retard Karl et Walter LaGrand après leur arrestation de leurs droits en vertu de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, et en privant l'Allemagne de la possibilité de fournir son assistance consulaire, ce qui a finalement conduit à l'exécution de Karl et Walter LaGrand, les Etats-Unis ont violé leurs obligations juridiques internationales vis-à-vis de l'Allemagne au titre de l'article 5 et du paragraphe 1 de l'article 36 de ladite convention, tant en ce qui concerne les droits propres de l'Allemagne que le droit de cette dernière d'exercer sa protection diplomatique à l'égard de ses ressortissants;

2) en appliquant des règles de leur droit interne, notamment la doctrine dite de la «carence procédurale», qui ont empêché Karl et Walter LaGrand de faire valoir leurs réclamations au titre de la convention de Vienne sur les relations consulaires, et en procédant finalement à leur exécution, les Etats-Unis ont violé l'obligation juridique internationale, dont ils étaient tenus à l'égard de l'Allemagne en vertu du paragraphe 2 de l'article 36 de la convention de Vienne, de permettre la pleine réalisation des fins pour lesquelles sont prévus les droits énoncés à l'article 36 de ladite convention;

3) en ne prenant pas toutes les mesures dont ils disposaient pour que Walter LaGrand ne soit pas exécuté tant que la Cour internationale de Justice n'aurait pas rendu sa décision définitive en l'affaire, les Etats-Unis ont violé leur obligation juridique internationale de se conformer à l'ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 3 mars 1999 et de s'abstenir de tout acte pouvant interférer avec l'objet d'un différend tant que l'instance est en cours;

et que, conformément aux obligations juridiques internationales susmentionnées,

4) les Etats-Unis devront donner à l'Allemagne l'assurance qu'ils ne répéteront pas de tels actes illicites et que, dans tous les cas futurs de détention de ressortissants allemands ou d'actions pénales à l'encontre de tels ressortissants, les Etats-Unis veilleront à assurer en droit et en pratique l'exercice effectif des droits visés à l'article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires. En particulier dans les cas où un accusé est passible de la peine de mort, cela entraîne pour les Etats-Unis l'obligation de prévoir le réexamen effectif des condamnations pénales entachées d'une violation des droits énoncés à l'article 36 de la convention, ainsi que les moyens pour y porter remède.»

Au nom du Gouvernement des Etats-Unis,

«Les Etats-Unis d'Amérique prient respectueusement la Cour de dire et juger :

1) qu'ils ont violé l'obligation dont ils étaient tenus envers l'Allemagne en vertu de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires en ce que les autorités compétentes des Etats-Unis n'ont pas informé sans retard de leurs droits Karl et Walter LaGrand ainsi que l'exigeait cet article et que les Etats-Unis ont présenté leurs excuses à l'Allemagne pour cette violation et prennent des mesures concrètes visant à empêcher qu'elle ne se reproduise; et

2) que toutes les autres demandes et conclusions de la République fédérale d'Allemagne sont rejetées.»

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* *

13. Walter LaGrand et Karl LaGrand étaient nés en Allemagne respectivement en 1962 et 1963 et étaient ressortissants allemands. En 1967, alors qu'ils étaient encore très jeunes, ils sont partis avec leur mère aux Etats-Unis pour y résider à titre permanent. Ils ne sont revenus en Allemagne qu'une seule fois, pour une durée d'environ six mois, en 1974. Bien qu'ils aient passé la plus grande partie de leur existence aux Etats-Unis et qu'ils aient été adoptés par un ressortissant des Etats-Unis, ils ont toujours conservé leur nationalité allemande et n'ont jamais acquis la nationalité américaine. Toutefois, les Etats-Unis ont souligné le fait que l'un comme l'autre avaient l'allure et la manière de parler d'Américains plutôt que d'Allemands, qu'à la connaissance générale ni l'un ni l'autre ne parlaient allemand et qu'ils semblaient à tous égards être des citoyens natifs des Etats-Unis.

14. Le 7 janvier 1982, Karl LaGrand et Walter LaGrand ont été arrêtés aux Etats-Unis par des officiers de police, qui les soupçonnaient d'avoir pris part plus tôt dans la journée à une tentative de vol à main armée dans une banque de Marana en Arizona, au cours de laquelle le directeur de la banque avait été tué et une autre employée grièvement blessée. Ils ont par la suite été traduits en justice devant la cour supérieure du comté de Pima en Arizona, qui, le 17 février 1984, les a reconnus tous deux coupables de meurtre aggravé, de tentative de meurtre aggravé, de tentative de vol à main armée et de deux chefs d'enlèvement de personne. Le 14 décembre 1984, ils ont été l'un et l'autre condamnés à mort pour meurtre aggravé et à des peines confondues d'emprisonnement pour les autres chefs d'accusation.

15. Lors des faits à prendre en considération, tant l'Allemagne que les Etats-Unis étaient parties à la fois à la convention de Vienne sur les relations consulaires et au protocole de signature facultative à ladite convention. L'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne dispose :

«si l'intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de l'Etat de résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire de l'Etat d'envoi lorsque, dans sa circonscription consulaire, un ressortissant de cet Etat est arrêté, incarcéré ou mis en état de détention préventive ou toute autre forme de détention. Toute communication adressée au poste consulaire par la personne arrêtée, incarcérée ou mise en état de détention préventive ou toute autre forme de détention doit également être transmise sans retard par lesdites autorités. Celles-ci doivent sans retard informer l'intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa.»

Il n'est pas contesté que, lorsque les LaGrand ont été reconnus coupables et condamnés, les autorités compétentes des Etats-Unis avaient omis de leur fournir les informations requises conformément à cette disposition de la convention de Vienne et n'avaient pas averti le poste consulaire allemand compétent de l'arrestation des LaGrand. Les Etats-Unis reconnaissent que les autorités compétentes ne se sont pas acquittées de cette obligation, même après avoir eu connaissance du fait que les LaGrand étaient des ressortissants allemands et non des ressortissants des Etats-Unis, et ils admettent donc avoir manqué à leurs obligations au titre de cette disposition de la convention de Vienne.

16. Toutefois, la question de savoir à quel moment les autorités compétentes des Etats-Unis ont eu connaissance du fait que les LaGrand étaient des ressortissants allemands demeure un point litigieux entre les Parties. Selon l'Allemagne, les autorités de l'Arizona ont été informées de ce fait dès l'origine, et les agents de mise à l'épreuve étaient en particulier au courant de ce fait dès avril 1982. Les Etats-Unis allèguent qu'au moment de leur arrestation, ni l'un ni l'autre des LaGrand ne se sont présentés aux autorités qui ont procédé à celle-ci comme des ressortissants allemands et que Walter LaGrand a déclaré qu'il était citoyen des Etats-Unis. La position des Etats-Unis est que leurs «autorités compétentes» au sens de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne étaient les autorités ayant procédé à l'arrestation et à la mise en détention, et que ces dernières ont eu connaissance de la nationalité allemande des LaGrand à la fin de 1984, ou peut-être vers le milieu de l'année 1983, voire plus tôt, mais qu'en tout état de cause elles ignoraient ce fait lors de leur arrestation en 1982. Bien que d'autres autorités, telles que les services de l'immigration ou les agents de mise à l'épreuve, aient pu en avoir eu connaissance à une date encore antérieure, les Etats-Unis allèguent qu'il ne s'agissait pas là d'«autorités compétentes» au sens de cette disposition de la convention de Vienne. Les Etats-Unis ont également laissé entendre qu'au moment de leur arrestation, les LaGrand n'avaient peut-être pas eux-mêmes conscience qu'ils n'étaient pas des ressortissants des Etats-Unis.

17. Lors de leurs procès, les LaGrand étaient représentés par des avocats commis d'office, car ils n'avaient pas les moyens de s'attacher les services de défenseurs de leur choix. Au cours du procès, ces avocats n'ont pas soulevé la question du non-respect de la convention de Vienne et n'ont pas pris eux-mêmes contact avec les autorités consulaires allemandes.

18. Les LaGrand ont par la suite contesté les verdicts de culpabilité et les peines prononcés par la cour supérieure du comté de Pima en Arizona dans le cadre de trois séries principales de procédures judiciaires.

19. La première série de procédures a concerné les appels interjetés devant la cour suprême de l'Arizona contre les verdicts de culpabilité et les peines prononcés; cette cour les a rejetés le 30 janvier 1987. La Cour suprême des Etats-Unis, exerçant son pouvoir discrétionnaire, a opposé, le 5 octobre 1987, une fin de non-recevoir aux recours en revision de ces décisions formés par les LaGrand.

20. La deuxième série de procédures a porté sur des recours ouverts après condamnation, rejetés par une juridiction de l'Etat de l'Arizona en 1989. La cour suprême de l'Arizona a refusé en 1990 de réexaminer cette décision et la Cour suprême des Etats-Unis a fait de même en 1991.

21. A l'époque où ont été engagées ces deux séries de procédures, les LaGrand n'avaient toujours pas été informés par les autorités compétentes des Etats-Unis des droits que leur conférait l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne et le poste consulaire allemand n'avait toujours pas été informé de leur arrestation. La question du défaut de notification consulaire, qui n'avait pas été soulevée lors du procès initial, ne l'a pas été davantage lors de ces deux séries de procédures.

22. Le poste consulaire allemand compétent n'a été informé de cette affaire qu'en juin 1992 par les LaGrand eux-mêmes, qui avaient eu connaissance de leurs droits par d'autres sources et non par les autorités de l'Arizona. En décembre 1992, et à plusieurs reprises entre cette date et le mois de février 1999, un fonctionnaire du consulat général d'Allemagne à Los Angeles a rendu visite aux LaGrand dans leur prison. L'Allemagne allègue qu'elle a par la suite aidé les avocats des LaGrand à enquêter sur leur enfance en Allemagne et à soulever la question de l'omission de la notification consulaire lors de procédures ultérieures devant les juridictions fédérales.

23. Les LaGrand ont entamé une troisième série de procédures judiciaires en introduisant des actions d'habeas corpus devant le tribunal fédéral de première instance (United States District Court) pour le district de l'Arizona, aux fins de faire annuler leurs condamnations - du moins leur condamnation à mort. Lors de ces procédures, ils ont soulevé différents moyens qui ont été rejetés par des décisions de ce tribunal en date du 24 janvier et du 16 février 1995. L'un de ces moyens était fondé sur le fait que les autorités des Etats-Unis avaient manqué à leur obligation de notifier leur arrestation au consulat d'Allemagne, comme le prescrit la convention de Vienne. Ce moyen a été rejeté par application de la règle de la «carence procédurale». D'après les Etats-Unis, cette règle

«[est] une règle fédérale qui oblige l'accusé traduit devant les tribunaux d'un Etat à soumettre ses moyens à un tribunal de cet Etat avant de pouvoir exercer un recours devant un tribunal fédéral. Si cet accusé veut soulever une question nouvelle lors d'une procédure d'habeas corpus devant un tribunal fédéral, il ne pourra le faire qu'en justifiant sa carence antérieure et en démontrant le préjudice porté par cette carence à sa cause. La justification doit être un élément extérieur qui a empêché l'accusé de faire valoir un moyen et le préjudice, lui, doit être à priori manifeste. L'une des fonctions importantes de cette règle est de garantir que les tribunaux des Etats auront eu l'occasion d'examiner les points concernant la validité des verdicts de culpabilité prononcés au niveau de l'Etat avant que les tribunaux fédéraux n'interviennent.»

Le tribunal fédéral de première instance a conclu que les LaGrand n'avaient pas démontré l'existence d'un élément extérieur objectif les ayant empêché de soulever plus tôt la question du défaut de notification consulaire. Le 16 janvier 1998, cette décision a été confirmée en appel par la cour d'appel des Etats-Unis pour le neuvième circuit, qui a également jugé que le moyen soulevé par les LaGrand concernant la convention de Vienne était entaché de «carence procédurale», car il n'avait été soulevé dans aucune des procédures introduites auparavant devant les juridictions de l'Etat. Le 2 novembre 1998, la Cour suprême des Etats-Unis a refusé de réexaminer cette décision.

24. Le 21 décembre 1998, les LaGrand ont été officiellement informés par les autorités des Etats-Unis de leur droit de communiquer avec leurs autorités consulaires.

25. Le 15 janvier 1999, la cour suprême de l'Arizona a décidé que Karl LaGrand devait être exécuté le 24 février 1999, et que Walter LaGrand le serait le 3 mars 1999. L'Allemagne allègue que le consulat d'Allemagne a eu connaissance de ces dates le 19 janvier 1999.

26. En janvier et au début du mois de février 1999, l'Allemagne a effectué plusieurs démarches pour tenter d'empêcher l'exécution des LaGrand. Les ministres allemands des affaires étrangères et de la justice ont ainsi saisi leurs homologues respectifs aux Etats-Unis le 27 janvier 1999; le ministre allemand des affaires étrangères a écrit le même jour au gouverneur de l'Arizona; le chancelier de la République fédérale d'Allemagne s'est adressé au président des Etats-Unis et au gouverneur de l'Arizona le 2 février 1999; le président de la République fédérale d'Allemagne a écrit au président des Etats-Unis le 5 février 1999. Ces lettres faisaient état de l'opposition de l'Allemagne à la peine capitale d'une manière générale, mais ne soulevaient pas la question du défaut de notification consulaire dans le cas des LaGrand. Cette dernière question a été toutefois évoquée dans une lettre ultérieure, adressée le 22 février 1999, deux jours avant la date fixée pour l'exécution de Karl LaGrand, par le ministre allemand des affaires étrangères au secrétaire d'Etat des Etats-Unis.

27. Le 23 février 1999, la commission des grâces de l'Arizona a rejeté l'appel de Karl LaGrand à la clémence. En vertu de la législation de l'Arizona, cette décision signifiait que le gouverneur de l'Arizona n'avait plus la possibilité d'accorder une mesure de grâce.

28. Ce même jour, la cour supérieure du comté de Pima en Arizona a rejeté une autre demande de Walter LaGrand fondée notamment sur le défaut de notification consulaire, au motif que ce moyen était entaché de carence procédurale.

29. Le 24 février 1999, certaines procédures judiciaires de dernière minute engagées au niveau fédéral par Karl LaGrand se sont avérées infructueuses. Au cours de ces procédures, la cour d'appel des Etats-Unis pour le neuvième circuit a de nouveau jugé que le moyen tiré du défaut de notification consulaire était entaché de carence procédurale. Karl LaGrand a été exécuté plus tard le même jour.

30. Le 2 mars 1999, la veille du jour fixé pour l'exécution de Walter LaGrand, à 19 h 30 (heure de La Haye), l'Allemagne a déposé au Greffe de la Cour la requête qui a introduit la présente instance contre les Etats-Unis (voir paragraphe 1 ci-dessus), accompagnée d'une demande en indication de mesures conservatoires tendant à ce que :

«Les Etats-Unis prennent toutes les mesures en leur pouvoir pour que Walter LaGrand ne soit pas exécuté en attendant la décision finale en la présente instance, et qu'ils informent la Cour de toutes les mesures qu'ils ont prises pour donner effet à cette ordonnance.»

Par lettre datée du même jour, le ministre allemand des affaires étrangères a demandé au secrétaire d'Etat des Etats-Unis de «prier instamment le gouverneur [de l'Arizona] de surseoir à l'exécution de Walter LaGrand tant que la Cour internationale de Justice n'aura pas pris sa décision».

31. Le même jour, la commission des grâces de l'Arizona s'est réunie pour examiner le cas de Walter LaGrand. Elle s'est prononcée contre une commutation de sa condamnation à mort, mais a recommandé au gouverneur de l'Arizona d'accorder un sursis de soixante jours, compte tenu de la requête déposée par l'Allemagne devant la Cour internationale de Justice. Le gouverneur de l'Arizona a néanmoins décidé, «dans l'intérêt de la justice et eu égard aux victimes», d'autoriser l'exécution de Walter LaGrand, comme cela avait été prévu.

32. Par une ordonnance datée du 3 mars 1999, la Cour a jugé que les circonstances exigeaient qu'elle indiquât, de toute urgence et sans autre procédure, des mesures conservatoires, conformément à l'article 41 de son Statut et au paragraphe 1 de l'article 75 de son Règlement (C.I.J. Recueil 1999, p. 9, par. 26); les mesures conservatoires indiquées étaient libellées de la manière suivante :

«a) les Etats-Unis d'Amérique doivent prendre toutes les mesures dont ils disposent pour que M. Walter LaGrand ne soit pas exécuté tant que la décision définitive en la présente instance n'aura pas été rendue, et doivent porter à la connaissance de la Cour toutes les mesures qui auront été prises en application de la présente ordonnance;

b) le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique doit transmettre la présente ordonnance au gouverneur de l'Etat d'Arizona.»

33. Ce même jour, l'Allemagne a introduit une action contre les Etats-Unis et le gouverneur de l'Arizona devant la Cour suprême des Etats-Unis aux fins, entre autres, de faire respecter l'ordonnance de la Cour portant indication de mesures conservatoires. Au cours de cette procédure, le Solicitor General des Etats-Unis, agissant en tant que conseil de l'autorité fédérale, a émis notamment l'avis qu'«une ordonnance de la Cour internationale de Justice en indication de mesures conservatoires ne revêt pas un caractère obligatoire et ne peut fonder un recours susceptible d'être exercé en justice». Le même jour, la Cour suprême des Etats-Unis a rejeté l'action introduite par l'Allemagne pour tardiveté et en raison d'obstacles en matière de compétence résultant du droit interne des Etats-Unis.

34. Ce même jour, des procédures ont aussi été engagées par Walter LaGrand devant la Cour suprême des Etats-Unis. Ces procédures ont échoué. Walter LaGrand a été exécuté plus tard dans la journée.

*

* *

35. La Cour doit à titre préliminaire examiner certaines questions soulevées par les Parties à l'instance concernant sa compétence pour connaître de la requête de l'Allemagne et la recevabilité des conclusions de celle-ci.

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36. S'agissant de la compétence de la Cour, les Etats-Unis, sans soulever d'exceptions préliminaires en vertu de l'article 79 du Règlement, ont cependant fait valoir certaines objections à cet égard.

L'Allemagne fonde la compétence de la Cour sur l'article premier du protocole de signature facultative, qui se lit ainsi :

«Les différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de la convention relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice, qui, à ce titre, pourra être saisie par une requête de toute partie au différend qui sera elle-même partie au présent protocole.»

Elle fait valoir que

«[l]'instance introduite par [elle] en l'espèce soulève des questions relatives à l'interprétation et à l'application de la convention de Vienne sur les relations consulaires et aux conséquences juridiques découlant du non-respect par les Etats-Unis de certaines des dispositions de cet instrument à l'égard de l'Allemagne et de deux de ses ressortissants».

En conséquence, l'Allemagne affirme que les quatre conclusions qu'elle a présentées

«relèvent [toutes] d'une seule et même base de compétence, à savoir l'article premier du protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends qui accompagne la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963».

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37. La Cour examinera tout d'abord la question de sa compétence pour connaître de la première conclusion de l'Allemagne. Celle-ci se prévaut du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne selon lequel :

«Afin que l'exercice des fonctions consulaires relatives aux ressortissants de l'Etat d'envoi soit facilité :

a) les fonctionnaires consulaires doivent avoir la liberté de communiquer avec les ressortissants de l'Etat d'envoi et de se rendre auprès d'eux. Les ressortissants de l'Etat d'envoi doivent avoir la même liberté de communiquer avec les fonctionnaires consulaires et de se rendre auprès d'eux;

b) si l'intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de l'Etat de résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire de l'Etat d'envoi lorsque, dans sa circonscription consulaire, un ressortissant de cet Etat est arrêté, incarcéré ou mis en état de détention préventive ou toute autre forme de détention. Toute communication adressée au poste consulaire par la personne arrêtée, incarcérée ou mise en état de détention préventive ou toute autre forme de détention doit également être transmise sans retard par lesdites autorités. Celles-ci doivent sans retard informer l'intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa;

c) les fonctionnaires consulaires ont le droit de se rendre auprès d'un ressortissant de l'Etat d'envoi qui est incarcéré, en état de détention préventive ou toute autre forme de détention, de s'entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice. Ils ont également le droit de se rendre auprès d'un ressortissant de l'Etat d'envoi qui, dans leur circonscription, est incarcéré ou détenu en exécution d'un jugement. Néanmoins, les fonctionnaires consulaires doivent s'abstenir d'intervenir en faveur d'un ressortissant incarcéré ou mis en état de détention préventive ou toute autre forme de détention lorsque l'intéressé s'y oppose expressément.»

38. L'Allemagne prétend qu'en n'informant pas les frères LaGrand de leur droit de communiquer avec les autorités allemandes, les Etats-Unis l'«ont empêché[e] ... d'exercer les droits que lui confèrent les alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention» et ont violé «les différents droits conférés à l'Etat d'envoi vis-à-vis de ses ressortissants en prison, en détention préventive ou en garde à vue, tels que prévus par l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention». Elle soutient en outre qu'en méconnaissant leur obligation d'information, les Etats-Unis ont également violé les droits individuels que l'alinéa a) du paragraphe 1 de l'article 36, deuxième phrase, et l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 confèrent aux personnes détenues. L'Allemagne affirme qu'en conséquence elle «a subi un préjudice en la personne de ses deux ressortissants», grief qu'elle invoque «au titre de la procédure de protection diplomatique engagée au nom de Karl et Walter LaGrand».

39. Les Etats-Unis reconnaissent «avoir méconnu l'obligation ... d'informer ... les frères LaGrand de leur droit à demander qu'un poste consulaire allemand soit averti de leur arrestation et mise en détention». Ils ne contestent pas que cette violation de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 a donné naissance à un différend entre les deux Etats et reconnaissent que la Cour a compétence en vertu du protocole de signature facultative pour connaître de ce différend dans la mesure où ce dernier concerne les droits propres de l'Allemagne.

40. Les Etats-Unis en revanche jugent «particulièrement mal fondé» l'argument de l'Allemagne selon lequel il y aurait eu violation des alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l'article 36, au motif que «le comportement critiqué est le même» que celui visé par l'allégation de violation de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36. Ils font en outre valoir que la prétention allemande, fondée sur le droit général de la protection diplomatique, ne relève pas de la compétence de la Cour en vertu du protocole de signature facultative, parce que cette prétention «ne concerne pas l'interprétation ou l'application de la convention de Vienne». Les Etats-Unis soulignent à cet égard la distinction qu'il faut opérer entre la compétence en matière conventionnelle et la compétence relative au droit coutumier, et font observer que, «[m]ême si une norme conventionnelle et une norme coutumière avaient exactement le même contenu», chacune aurait une «applicabilité distincte». Les Etats-Unis contestent l'affirmation selon laquelle le moyen tiré de la protection diplomatique invoqué par l'Allemagne «entre en ligne de compte par le truchement de la convention de Vienne» et soutiennent :

«la convention de Vienne traite de l'assistance consulaire ... et non de la protection diplomatique. Juridiquement un monde sépare le droit du consul d'assister un ressortissant de son pays incarcéré et la question totalement différente de savoir si l'Etat peut endosser les réclamations de ses ressortissants au titre de la protection diplomatique. Le premier entre dans le champ de la compétence de la Cour, en vertu du protocole de signature facultative, non la seconde... L'Allemagne fonde son droit de protection diplomatique sur le droit coutumier ... la Cour est saisie de la présente affaire au titre non pas du paragraphe 2 mais du paragraphe 1 de l'article 36 de son Statut. N'est-il pas évident ... que quelques droits qu'ait l'Allemagne en vertu du droit coutumier, ils ne ressortissent pas à la compétence conférée à la Cour par le protocole de signature facultative ?»

41. En réponse, l'Allemagne soutient que la violation des alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l'article 36 doit être distinguée de la violation de l'alinéa b) du même paragraphe et qu'en conséquence la Cour doit se prononcer non seulement sur cette dernière violation, mais encore sur celle des alinéas a) et c). L'Allemagne estime en outre «que «l'application de la convention», au sens du protocole de signature facultative, englobe bien les conséquences de la violation des droits que la convention reconnaît aux individus, y compris le fait pour l'Etat d'envoi de faire siennes les demandes y relatives».

42. La Cour ne saurait retenir les objections formulées par les Etats-Unis. En effet, le différend qui oppose les Parties sur le point de savoir si les alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne ont été violés en l'espèce du fait de la violation de l'alinéa b) a trait à l'interprétation et à l'application de la convention. Il en est de même du différend sur le point de savoir si l'alinéa b) crée des droits pour les particuliers et si l'Allemagne a qualité pour faire valoir ces droits au nom de ses ressortissants. Ces différends entrent par suite dans les prévisions de l'article premier du protocole de signature facultative. Par ailleurs, la Cour ne peut accepter la thèse des Etats-Unis selon laquelle la demande de l'Allemagne fondée sur les droits individuels des frères LaGrand ne relève pas de sa compétence, au motif que la protection diplomatique serait une notion de droit international coutumier. Cela ne fait pas obstacle à ce qu'un Etat partie à un traité qui crée des droits pour les individus puisse prendre fait et cause pour l'un de ses ressortissants et mettre en mouvement l'action judiciaire internationale en faveur de ce ressortissant sur la base d'une clause attributive de compétence figurant dans un tel traité. La Cour en conclut qu'elle a dès lors compétence pour connaître dans son ensemble de la première conclusion de l'Allemagne.

*

43. Les Etats-Unis ne contestent pas la compétence de la Cour pour connaître de la deuxième conclusion de l'Allemagne. En outre, ils ne traitent pas en tant que telle de la question de la compétence de la Cour pour connaître de la troisième conclusion concernant le caractère obligatoire de l'ordonnance de la Cour du 3 mars 1999 en indication de mesures conservatoires. Ils affirment cependant que cette conclusion est irrecevable (voir paragraphes 50 et 53-55 ci-après), et que la Cour peut statuer pleinement et de manière adéquate sur le fond de l'affaire sans avoir à se prononcer sur ladite conclusion.

44. L'Allemagne affirme que l'ordonnance du 3 mars 1999 avait pour but «d'assurer le respect» des droits que la convention de Vienne confère à l'Allemagne et de «préserver ces droits dans l'attente d'une décision sur le fond». L'Allemagne prétend que le différend relatif à la question de savoir «si les Etats-Unis étaient tenus de se conformer à l'ordonnance, et s'ils s'y sont effectivement conformés», constitue donc bien un différend relatif à l'interprétation et à l'application de la convention et, partant, un différend qui relève de la compétence de la Cour. Elle avance en outre que des questions «relatives au non-respect d'une décision de la Cour prise aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 du Statut, c'est-à-dire les mesures conservatoires, font partie intégrante de l'ensemble du différend initial entre les Parties». Enfin, l'Allemagne soutient que sa troisième conclusion relève aussi, «de manière accessoire et subsidiaire, de la compétence inhérente de la Cour pour connaître de demandes aussi étroitement liées les unes aux autres que celles dont elle est saisie en l'espèce».

45. La troisième conclusion de l'Allemagne porte sur des questions qui découlent directement du différend opposant les Parties devant la Cour, à l'égard desquelles la Cour a déjà conclu qu'elle était compétente (voir paragraphe 42 ci-dessus), et qui relèvent dès lors de l'article premier du protocole de signature facultative. A cet égard, la Cour réaffirme ce qu'elle a dit dans l'affaire de la Compétence en matière de pêcheries, lorsqu'elle a estimé qu'afin de considérer le différend sous tous ses aspects, elle pouvait aussi connaître d'une conclusion qui «se fonde sur des faits postérieurs au dépôt de la requête mais découlant directement de la question qui fait l'objet de cette requête. A ce titre, elle relève de la compétence de la Cour...» (Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d'Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 203, par. 72.) Lorsque la Cour a compétence pour trancher un différend, elle a également compétence pour se prononcer sur des conclusions la priant de constater qu'une ordonnance en indication de mesures rendue aux fins de préserver les droits des parties à ce différend n'a pas été exécutée.

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46. Les Etats-Unis contestent que la Cour soit compétente pour statuer sur la quatrième conclusion de l'Allemagne, dans la mesure où cette conclusion tend à l'obtention d'assurances et de garanties de non-répétition. Ils affirment que «la compétence qu'aurait la Cour d'ordonner la cessation d'une violation ou d'ordonner une réparation n'englobe pas la question des assurances et des garanties ... [lesquelles] sont conceptuellement différentes de la réparation». Ils soulignent que la quatrième conclusion de l'Allemagne

«va bien au-delà de toute mesure de réparation que la Cour peut ou devrait accorder, et qu'elle devrait par conséquent être rejetée. Le pouvoir qu'a la Cour de trancher des affaires ... n'englobe pas celui d'ordonner à un Etat de fournir une «garantie» visant à conférer des droits additionnels à l'Etat requérant... [L]es Etats-Unis ne croient pas qu'il appartienne à la Cour ... d'imposer des obligations qui viennent s'ajouter à celles qu'ils ont acceptées lorsqu'ils ont ratifié la convention de Vienne ou qui diffèrent de celles-ci.»

47. A l'encontre de cet argument, l'Allemagne fait valoir

«qu'un différend portant sur la question de savoir si une disposition de la convention de Vienne donne droit à certains remèdes est un différend relatif à «l'application et à l'interprétation» de la convention susmentionnée, et entre ainsi dans les prévisions de l'article premier du protocole de signature facultative».

L'Allemagne relève à ce sujet que, dans l'ordonnance qu'elle a rendue le 9 avril 1998 en l'affaire relative à la Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d'Amérique), la Cour a déclaré :

«il existe un différend sur la question de savoir si la solution recherchée par le Paraguay figure parmi les mesures possibles en vertu de la convention de Vienne, en particulier au regard des dispositions des articles 5 et 36 de cette convention; et ... il s'agit là d'un différend relatif à l'application de la convention au sens de l'article premier du protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends du 24 avril 1963» (C.I.J. Recueil 1998, p. 256, par. 31).

L'Allemagne soutient en outre que sa quatrième conclusion relève des principes de la responsabilité des Etats, selon lesquels elle est en droit de faire valoir «toute la gamme des voies de droit» disponibles au titre des violations particulières alléguées en l'espèce, et que ces questions de responsabilité de l'Etat «entrent clairement dans le cadre du protocole de signature facultative».

48. La Cour considère qu'un différend portant sur les voies de droit à mettre en oeuvre au titre d'une violation de la convention qu'invoque l'Allemagne est un différend concernant l'interprétation ou l'application de la convention et qui de ce fait relève de la compétence de la Cour. S'il est établi que la Cour a compétence pour connaître d'un différend portant sur une question déterminée, elle n'a pas besoin d'une base de compétence distincte pour examiner les remèdes demandés par une partie pour la violation en cause (Usine de Chorzów, C.P.J.I. série A n° 9, p. 22). La Cour a par suite compétence en l'espèce pour connaître de la quatrième conclusion de l'Allemagne.

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49. Les Etats-Unis font valoir que les conclusions de l'Allemagne sont irrecevables pour diverses raisons. La Cour examinera ces objections en suivant la présentation qui en a été faite par les Etats-Unis.

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50. La première objection présentée par les Etats-Unis est dirigée contre les deuxième, troisième et quatrième conclusions de l'Allemagne. Selon les Etats-Unis, ces conclusions seraient irrecevables, motif pris de ce que l'Allemagne cherche à faire jouer à la Cour «le rôle d'une juridiction statuant en dernier degré d'appel sur des questions pénales soumises aux tribunaux internes», rôle qu'elle n'est pas habilitée à jouer. Ils font valoir que de nombreux arguments développés par l'Allemagne, en particulier ceux relatifs à la règle de la «carence procédurale», reviennent à demander à la Cour d'«examiner et de réparer ... de prétendues violations du droit des Etats-Unis et des erreurs d'appréciation qui auraient été le fait de juges des Etats-Unis» à l'occasion d'affaires pénales portées devant des juridictions internes.

51. L'Allemagne nie, pour sa part, qu'elle demande à la Cour d'agir comme une juridiction d'appel en matière pénale, ou que ses demandes visent d'une quelconque manière à s'immiscer dans l'administration de la justice des Etats-Unis. Elle prierait simplement la Cour de dire et juger que la conduite des Etats-Unis a méconnu les obligations juridiques internationales dont ils étaient tenus à son endroit en vertu de la convention de Vienne, et de tirer de cette méconnaissance certaines conséquences juridiques prévues par le droit international de la responsabilité des Etats.

52. La Cour ne souscrit pas à l'argumentation des Etats-Unis relative à la recevabilité des deuxième, troisième et quatrième conclusions de l'Allemagne. Par sa deuxième conclusion, l'Allemagne demande à la Cour d'interpréter la portée du paragraphe 2 de l'article 36 de la convention de Vienne; par sa troisième conclusion, elle prie la Cour de dire que les Etats-Unis ont violé une ordonnance qu'elle a rendue conformément à l'article 41 de son Statut; et, par sa quatrième conclusion, l'Allemagne demande à la Cour de déterminer quels sont les remèdes à apporter aux violations alléguées de la convention. Même si l'Allemagne s'est longuement étendue sur la pratique des tribunaux américains relative à l'application de la convention, ces trois conclusions visent exclusivement à prier la Cour d'appliquer les règles pertinentes de droit international aux questions litigieuses opposant les Parties à l'instance. L'exercice de cette fonction, expressément prévue par l'article 38 de son Statut, ne fait pas de cette Cour une juridiction statuant en appel sur des questions pénales soumises aux tribunaux internes.

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53. Les Etats-Unis soutiennent également que la troisième conclusion de l'Allemagne est irrecevable compte tenu des circonstances dans lesquelles celle-ci a introduit la présente instance devant la Cour. Ils font valoir que les agents consulaires allemands ont pris connaissance en 1992 des affaires relatives aux LaGrand, mais que, pendant six ans et demi environ, le Gouvernement allemand n'a pas fait part de ses préoccupations aux autorités des Etats-Unis et n'a pas élevé de protestations à ce sujet. Ils font observer que c'est seulement le 22 février 1999, soit deux jours avant la date prévue pour l'exécution de Karl LaGrand, que l'Allemagne a soulevé la question du défaut de notification consulaire, dans une lettre adressée au secrétaire d'Etat des Etats-Unis par le ministre allemand des affaires étrangères (voir paragraphe 26 ci-dessus). L'Allemagne a ensuite saisi la Cour d'une requête introductive d'instance ainsi que d'une demande en indication de mesures conservatoires, dans la soirée du 2 mars 1999, après les heures normales de travail au Greffe, soit environ vingt-sept heures avant l'heure fixée pour l'exécution de Walter LaGrand (voir paragraphe 30 ci-dessus).

54. Les Etats-Unis rejettent l'argument selon lequel l'Allemagne n'aurait découvert que sept jours avant le dépôt de sa requête que les autorités de l'Arizona avaient été au courant dès 1982 de la nationalité allemande des frères LaGrand; selon les Etats-Unis, celle-ci avait été mentionnée dans des rapports de 1984 préalables au prononcé de la peine, dont les agents consulaires allemands auraient dû avoir connaissance bien avant 1999, à en croire les affirmations de l'Allemagne relatives au sérieux et à l'efficacité de son assistance consulaire.

55. Selon les Etats-Unis, le fait que l'Allemagne ait déposé sa requête aussi tardivement a contraint la Cour à répondre à la demande en indication de mesures conservatoires sans que le défendeur ait pu être entendu et sans qu'elle dispose de toutes les informations voulues. Les Etats-Unis font valoir que la procédure suivie n'a pas respecté le principe de «l'égalité des parties», ni le droit de chaque partie à être entendue dans des conditions satisfaisantes, et que par conséquent la Cour ne devrait pas examiner la troisième conclusion de l'Allemagne, qui repose entièrement sur l'ordonnance du 3 mars 1999.

56. L'Allemagne reconnaît pour sa part que le retard d'un Etat demandeur peut rendre une requête irrecevable, mais soutient que le droit international ne fixe aucun délai spécifique en la matière. Elle fait valoir que c'est sept jours seulement avant le dépôt de sa requête qu'elle a eu connaissance de tous les faits pertinents sur lesquels elle fonde son action, et en particulier du fait que les autorités de l'Arizona avaient été au courant dès 1982 de la nationalité allemande des frères LaGrand. L'Allemagne ne saurait, estime-t-elle, être accusée de négligence pour ne pas avoir obtenu plus tôt les rapports de 1984 préalables au prononcé de la peine. Elle soutient également qu'entre 1992, année où elle a eu connaissance des affaires relatives aux LaGrand, et le dépôt de sa requête, elle a effectué diverses démarches aux niveaux diplomatique et consulaire. Elle ajoute que pendant une grande partie de cette période elle était persuadée que les Etats-Unis finiraient par remédier aux violations du droit international en cause.

57. La Cour reconnaît que l'Allemagne peut être critiquée pour la manière dont l'instance a été introduite et pour le moment choisi pour l'introduire. La Cour rappelle toutefois que, tout en étant consciente des conséquences de l'introduction de l'instance par l'Allemagne à une date si avancée, elle n'en a pas moins estimé approprié de rendre son ordonnance du 3 mars 1999, un préjudice irréparable semblant imminent. Dans ces conditions, la Cour estime que l'Allemagne est en droit de se plaindre aujourd'hui de la non-application, alléguée par elle, de ladite ordonnance par les Etats-Unis. En conséquence, la Cour conclut que la troisième conclusion de l'Allemagne est recevable.

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58. Les Etats-Unis soutiennent aussi que la première conclusion de l'Allemagne, en tant qu'elle concerne son droit à exercer sa protection diplomatique à l'égard de ses ressortissants, est irrecevable parce que les frères LaGrand n'avaient pas épuisé les voies de recours internes. Les Etats-Unis font valoir que le manquement allégué concernait l'obligation d'informer les frères LaGrand de leur droit de communiquer avec leur consulat et qu'un tel manquement aurait pu facilement être réparé au stade du procès si la question avait été soulevée en temps opportun. Selon les Etats-Unis, quand, par exemple, une personne omet d'agir devant un tribunal national avant l'expiration des délais de forclusion, sa demande ne peut plus être examinée devant les juridictions nationales et elle est irrecevable devant les juridictions internationales pour non-épuisement des voies de recours internes. Ils ajoutent que le fait que les avocats des LaGrand n'avaient pas soulevé en temps opportun le moyen tiré de la violation de la convention de Vienne n'excuse pas le non-épuisement des voies de recours internes. Selon les Etats-Unis, cette carence des avocats est imputable à leurs clients, puisqu'il est de règle qu'un accusé et son avocat constituent une seule et même entité au regard des positions juridiques qu'ils adoptent. De plus, un Etat ne saurait être tenu responsable des erreurs commises par des avocats, ni des stratégies inappropriées adoptées par eux.

59. L'Allemagne répond que le droit international exige seulement l'épuisement de celles des voies de recours qu'il est juridiquement et matériellement possible de mettre en oeuvre. Selon elle, il n'existait en l'espèce aucun recours que les LaGrand pouvaient invoquer dans le contexte particulier de l'instance les concernant et qu
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