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ISMAILI contre l'ALLEMAGNE

requête n° 58128/00
décision du 15 mars 2001 - Cour européenne des droits de l'homme
Pays :
QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 58128/00

présentée par Ismail ISMAILI

contre l?Allemagne

La Cour européenne des Droits de l?Homme (quatrième section), siégeant le 15 mars 2001 en une chambre composée de

MM. A. Pastor Ridruejo, président,

G. Ress,

L. Caflisch,

J. Makarczyk,

V. Butkevych,

J. Hedigan,

Mme S. Botoucharova, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 13 décembre 1998 et enregistrée le 16 juin 2000,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

















EN FAIT

Le requérant est un ressortissant marocain, né en 1974 et détenu actuellement dans l?établissement pénitentiaire de Nuremberg (Allemagne).



A. Les circonstances de l?espèce

Les faits de la cause, tels qu?ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant est recherché par les autorités judiciaires du Maroc par mandant d?arrêt, délivré le 27 janvier 1998 par le juge d?instruction près de la cour d?appel d?Al Hoceima, pour soupçon de complicité d?homicide d?un policier marocain et de blessure grave infligée à un second en 1997.

En 1997, en passant par l?Espagne, le requérant se rendit en Allemagne et déposa une demande d?asile politique. Par une décision du 9 mai 1997, l?Office fédéral des réfugiés (Bundesamt für die Anerkennung ausländischer Flüchtlinge) rejeta sa demande.

Le 26 octobre 1997, le requérant fut arrêté au motif qu?il ne demeurait plus à l?adresse à laquelle il avait été assigné. Depuis le 27 octobre 1997, il se trouve en détention en vue de l?expulsion (Abschiebehaft).

Le 29 octobre 1998, le tribunal régional (Landgericht) de Bayreuth condamna le requérant à une peine d?emprisonnement de sept ans pour rapt en vue d?exercer du chantage (erpresserischer Menschenraub) et prise d?otage (Geiselnahme). Cette condamnation avait pour origine la tentative du requérant, avec d?autres détenus, de s?évader de la prison moyennant une prise d?otages.

Le 15 mars 1999, le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) de Bayreuth rejeta le recours du requérant contre la décision de l?Office fédéral des réfugiés comme étant manifestement mal fondé (offensichtlich unbegründet) au motif que, d?une part, avant d?entrer en Allemagne il s?était trouvé en Espagne, un État tiers sûr (sicherer Drittstaat), au sens de l?article 16a de la Loi fondamentale (Grundgesetz - voir droit interne pertinent ci-dessous), et, d?autre part, qu?il n?était pas recherché par les autorités marocaines pour des raisons politiques mais pour un délit de droit commun. En même temps, le tribunal administratif leva la décision de l?Office fédéral des réfugiés ordonnant au requérant de quitter le territoire allemand sous peine d?être expulsé, au motif qu?au moment du jugement il n?existait pas de déclaration des autorités marocaines assurant que le requérant n?allait pas encourir la peine de mort pour le délit pour lequel il était recherché ou qu?une éventuelle peine de mort n?allait pas être exécutée. Le jugement acquit force de chose jugée le 13 avril 1999.

Par une décision du 1er juillet 1999, l?Office fédéral des réfugiés ordonna l?expulsion du requérant dans un délai d?une semaine au Maroc au motif que l?ambassade marocaine en Allemagne avait assuré par une note verbal datée du 8 décembre 1998 que le délit en question n?était pas sanctionné par la peine de mort et que celle-ci ne serait de toute façon ni appliquée, ni exécutée.

Le 30 août 1999, le tribunal administratif de Bayreuth rejeta le recours du requérant contre la seconde décision de l?Office fédéral des réfugiés au motif qu?il était tardif et que la lettre du requérant arrivée dans le délai légal ne pouvait être prise en compte parce qu?elle était rédigée en langue arabe.

Le 30 décembre 1999, la cour d?appel (Oberlandesgericht) de Bamberg décida de permettre l?extradition du requérant vers le Maroc et ordonna la détention en vue de l?extradition (Auslieferungshaft). Elle releva notamment que, compte tenu des notes verbales de l?ambassade marocaine du 24 février et du 8 décembre 1998 et de la déclaration du ministère marocain de la Justice du 10 novembre 1998, cette dernière concernant le cas du requérant, il n?y avait pas lieu de craindre de traitement inhumains ou l?application de la peine de mort au requérant ou de douter de la conformité de la procédure au Maroc aux garanties minimales qu?exige l?état de doit (rechtsstaatlicher Mindeststandard). Des informations de l?ambassade allemande au Maroc et du ministère allemand des Affaires étrangères ainsi que la jurisprudence dans de cas semblables confirmaient ce constat. Quant aux décisions de tribunaux allemands citées par le requérant et qui avaient conclu à une situation dans les prisons marocaines rendant impossible une extradition ou expulsion vers le Maroc, la cour d?appel releva que les sources d?informations à la base de ces décisions étaient moins récentes et ne reflétaient plus la situation actuelle du pays.

Le 24 janvier 2000, la cour d?appel de Bamberg rejeta l?opposition du requérant demandant notamment l?annulation de la décision du 30 décembre 1999 et la tenue d?une audience publique.

Le 8 mars 2000, par l?intermédiaire de son avocat, le requérant saisit la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) d?un recours constitutionnel (Verfassungsbeschwerde), soutenant notamment que la cour d?appel de Bamberg ne s?était pas suffisamment assurée que le requérant n?allait être poursuivi au Maroc que pour les délits figurant sur le mandant d?arrêt et que la situation dans les établissements pénitentiaires au Maroc permettait l?extradition du requérant.

Le 6 avril 2000, la Cour constitutionnelle fédérale, statuant en comité de trois juges, décida de ne pas retenir le recours du requérant. Elle releva notamment que le requérant n?avait pas prouvé que les diverses déclarations des autorités marocaines et les sources d?informations quant à la situation au Maroc sur les lesquelles s?était fondée la cour d?appel de Bamberg revêtaient un caractère douteux quant à leur pertinence et leur véracité.

Par une lettre du 19 décembre 2000, le requérant informa la Cour qu?un coïnculpé, recherché pour les mêmes délits par les autorités marocaines et extradé en 1999 par l?Allemagne, avait été condamné à une peine d?emprisonnement de 20 ans.



B. Le droit interne pertinent

L?article 16a §§ 1 et 2 de la Loi fondamentale (Grundgesetz) dispose:

« (1) Les personnes qui sont persécutées pour des raisons politiques jouissent du droit d?asile.

(2) Ne peut invoquer l?alinéa 1 de cette article celui qui entre sur le territoire fédéral en provenance d?un État membre des Communautés européennes ou d?un autre État tiers dans lequel l?application de la Convention relative au statut des réfugiés et de la Convention de sauvegarde des droits de l?homme et des libertés fondamentales est assurée. (...).»





PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Par une lettre du 6 juin 2000, parvenue au greffe le 8 juin 2000, le requérant a demandé à la Cour d?intervenir auprès du gouvernement allemand afin qu?il l?expulse vers un autre pays que le Maroc comme par exemple l?Espagne ou les Pays-Bas.

Par une décision du 15 juin 2000, le vice-président de la quatrième section a décidé de ne pas faire application de l?article 39 du règlement de la Cour.





GRIEFS

1. Le requérant allègue que son extradition vers le Maroc risque de l?exposer à la peine de mort car il est recherché pour assassinat d?un policier, crime pour lequel il pourrait encourir cette peine. Il invoque l?article 2 de la Convention.

2. Invoquant l?article 3 de la Convention, le requérant soutient que son extradition vers le Maroc risque également de l?exposer à des traitements contraires à cet article.

3. Il se plaint en outre de ce que sa demande d?asile a été rejetée et que les autorités allemandes n?ont pas suffisamment examiné les faits concernant les événements au Maroc qui sont à l?origine du mandat d?arrêt marocain. Il invoque les articles 5, 34 § 1 et 35 § 1 de la Convention.





EN DROIT

1. Le requérant allègue que son extradition vers le Maroc lui ferait encourir la peine de mort. Il invoque l?article 2 de la Convention, ainsi libellé:

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d?une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...) »

D?après le requérant, il est recherché par les autorités marocaines pour assassinat d?un policier. Une condamnation pour ce crime entraînerait probablement la peine de mort.

La Cour rappelle tout d?abord que, tel que cela ressort de l?article 5 § 1 f) de la Convention qui autorise "(...) la détention régulière (...) d?une personne (...) contre laquelle une procédure (...) d?extradition est en cours", la Convention ne consacre pas en soi un droit à n?être pas extradé (voir l?arrêt Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A n° 161, p., § 85). De même, les États contractants ont, en vertu d?un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités internationaux, y compris la Convention, le droit de contrôler l?entrée, le séjour et l?éloignement des non-nationaux, ni la Convention ni ses Protocoles ne consacrant le droit à l?asile politique (arrêt Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni du 30 octobre 1991, série A n° 215, p. 34, § 102)

Néanmoins, lorsqu?une décision d?extradition porte atteinte, par ses conséquences, à l?exercice d?un droit garanti par la Convention, elle peut, s?il ne s?agit pas de répercussions trop lointaines, faire jouer les obligations d?un État contractant au titre de la disposition correspondante (arrêt Soering précité).

La Cour note que la disposition invoquée par le requérant, l?article 2 de la Convention, autorise expressément la peine capitale et que ce n?est que le Protocole n° 6 du 28 avril 1983, ratifié par l?Allemagne, qui a supprimé la possibilité d?infliger cette peine en temps de paix. Elle rappelle cependant qu?elle a compétence pour apprécier au regard de l?ensemble de ses exigences les circonstances dont se plaint un requérant et qu?elle peut notamment donner une qualification juridique différente de celle que leur attribue l?intéressé ou, au besoin, de les envisager sous un autre angle (voir l?arrêt Rehbock c. Slovénie, n° 29462/95, CEDH 2000-..., § 63 et l?arrêt Camenzind c. Suisse du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2895, § 50).

Ainsi, lorsqu?il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l?intéressé, si on le livre à l?État en question, y courra un risque réel d?être soumis à la peine de mort contraire à l?article 1 du Protocole n° 6, cette disposition implique-t-elle l?obligation de ne pas extrader la personne en question vers ce pays (voir, mutatis mutandis, la décision Dougoz c. Grèce (déc.), n° 40907/98, 8.2.2000; l?arrêt H.L.R. c. France du 29 avril 1997 et l?arrêt Ahmed c. Autriche du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1997-III et 1996-VI, p. 757, § 34, et p. 2206, § 39, respectivement; Commission européenne des Droits de l?homme n° 35984/97, décision du 31 octobre 1997 (Medjden c. Allemagne, non publiée), - au sujet de l?expulsion contraire à l?article 3 de la Convention).

Cependant, celui qui prétend être confronté à un tel risque doit, s?il est extradé vers un pays déterminé, étayer ses allégations par un commencement de preuve (voir, mutatis mutandis, les décisions Kavak c. Allemagne (déc.), n° 46089/99, 18.5.1999; Commission, n° 12102/86, décision du 9 mai 1986, Décisions et Rapports 47, p. 286).

La Cour relève en l?occurrence que, d?après le constat de la cour d?appel de Bamberg, les autorités marocaines ont déclaré aux autorités allemandes que le délit pour lequel le requérant était recherché n?était pas passible de la peine de mort et que celle-ci ne serait ni appliquée ni exécutée. En outre, la cour d?appel s?est fondée sur d?autres sources qui confirmaient ce constat. Par ailleurs, le requérant lui-même a informé la Cour qu?un coïnculpé qui était recherché par les autorités marocaines pour le même délit et qui a été extradé vers le Maroc n?y a pas été condamné à la peine capitale.

Compte tenu ces considérations, la Cour ne saurait conclure à l?existence d?un danger réel pour la vie du requérant.

Il s?ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l?article 35 § 3 de la Convention.

2. Le requérant se plaint aussi que son extradition vers le Maroc risque de l?exposer à des traitements contraires à l?article 3 de la Convention, ainsi libellé:

« Nul ne peut être soumis à (...) des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Le requérant soutient que même une condamnation à une peine d?emprisonnement pour le délit en question l?exposerait à de tels traitements, compte tenu de la situation dans les prisons au Maroc.

La Cour rappelle que l?expulsion ou l?extradition d?un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l?article 3, donc engager la responsabilité de l?État en cause au titre de la Convention, lorsqu?il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l?intéressé, si l?on l?extrade vers le pays de destination, y courra un risque réel d?être soumis à un traitement contraire à l?article 3. En pareil cas, cette disposition implique l?obligation de ne pas extrader la personne en question vers ce pays, dans la mesure où celui qui prétend être confronté à un risque sérieux de traitements contraires à l?article 3 de la Convention, s?il est extradé, a étayé ses allégations par un commencement de preuve (voir la jurisprudence citée ci-dessus). La simple allégation de répercussions lointaines ne saurait suffire (arrêt Soering précité, p. 33, § 85). En outre, une simple possibilité de mauvais traitements en raison d?une conjoncture instable dans un pays n?entraîne pas en soi une infraction à l?article 3 (arrêt Vilvarajah et autres précité, p. 37, § 111).

La Cour relève en l?occurrence que les autorités allemandes ont examiné avec soin les arguments avancés ainsi que les éléments de preuve produits par le requérant avant de conclure que ceux-ci n?étaient pas suffisamment convaincants pour interdire l?extradition vers le Maroc. La cour d?appel de Bamberg a notamment pris en considération les décisions judiciaires et les informations quant à la situation au Maroc citées par le requérant et a exposé, se fondant sur d?autres sources d?informations et décisions judiciaires, pourquoi l?extradition était à ses yeux possible. Sur ce point, la Cour souligne que la Cour constitutionnelle fédérale a notamment rejeté le recours constitutionnel du requérant au motif que celui-ci n?avait pas démontré en quoi la cour d?appel de Bamberg s?était fondée sur des informations revêtant un caractère douteux quant à la situation réelle au Maroc.

Ces considérations amènent la Cour à conclure à l?absence de motifs sérieux et avérés de croire que l?extradition du requérant exposerait celui-ci à un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants au sens de l?article 3 de la Convention.

Il s?ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l?article 35 § 3 de la Convention.

3. Pour ce qui est des autres griefs, la Cour, compte tenu de l?ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

Il s?ensuit que la requête doit être rejetée en application de l?article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent Berger Antonio Pastor Ridruejo

Greffier Président
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