Plan du site

Côte d'Ivoire : Dans certaines prisons, une détention prolongée équivaut souvent à la peine de mort

dépêche de presse du 18 mai 2005 - IRIN - Réseaux d'Information Régionaux Intégrés
Pays :
peine de mort / Côte d'Ivoire
DIMBOKRO - Après cinq années de prison, le seul souhait de Prosper Kongo est d'en sortir vivant. "Ici quand quelqu'un meurt, l'autre est prêt à tomber" souligne l'ancien chauffeur de taxi.

Prosper a été arrêté avec deux complices alors qu'ils tentaient de braquer un commerçant libanais. Les trois hommes ont été emprisonnés à la maison d'arrêt de Dimbokro, une petite ville du Centre de la Côte d'Ivoire. Mais ses deux complices sont déjà décédés. "Ils ont contracté une maladie de peau et en sont morts",a-t-il indiqué.

La Côte d'Ivoire a officiellement aboli la peine de mort il y a cinq ans; mais dans la plupart des 33 prisons du pays, une détention prolongée équivaut souvent à la peine capitale pour les plus faibles et les plus démunis de la population carcérale.

A l'instar de nombreuses autres prisons ivoiriennes, la maison d'arrêt et de correction de Dimbokro, ville située à 200 km au nord de la capitale économique Abidjan, a été construite en 1960, l'année de l'indépendance de ce pays d'Afrique de l'ouest.

Depuis, aucune transformation notable n'a été apportée pour moderniser l'édifice, le réfectionner en raison de sa vétusté ou l'adapter à la rapide augmentation de la population carcérale. Dans la prison de Dimbokro, 300 détenus vivent sous une chaleur tropicale impitoyable dans cinq quartiers entourés de murs de béton et derrière un porte métallique sécurisée par un cadenas. Le soir, les prisonniers rejoignent leurs dortoirs humides recouverts de tôles.

Les conditions de vie y sont rudimentaires. La surpopulation et le manque de financement public en faveur des institutions pénitentiaires expliquent l'extrême précarité de la vie carcérale dans un pays qui stigmatise et néglige les prisonniers au point que même les autorités qui en ont la charge semblent les oublier.

Alors que le riches parviennent à payer des pots-de-vin pour échapper à une peine de prison ou pour en réduire la durée et vivre dans des conditions confortables, ce sont généralement les pauvres et les démunis qui finissent derrière les barreaux – et qui y passent souvent plusieurs années en détention provisoire avant d'être jugés, indique Abdoulaye Keita de Save the Prisoners, une organisation non gouvernementale locale qui tente d'attirer l'attention des autorités sur le sort des prisonniers.

"La plupart des ivoiriens s'en foutent des prisonniers", explique Keita. "On les considère comme des malfaiteurs, des parasites qui ne méritent pas qu'on dépense de l'argent pour eux".

Grand et plutôt maigre, Prosper partage une douche et trois toilettes avec 94 autres prisonniers. Le soir, il déroule sa natte et dort à même le sol dans un dortoir qui sent le renfermé et où de nombreux autres prisonniers s'entassent comme des sardines. Pour tout repas l'après-midi, ils reçoivent un bol de bouillie de maïs indigeste.

Les femmes sont séparées des hommes et préparent leurs repas faits de gombos et de pelures de bananes séchées.

Le contact avec le monde extérieur se limite aux quelques conversations que les prisonniers ont avec les gardes ou aux rares visites de parents. A la prison, il n'y a ni télévision, ni téléphone cellulaire; rien à lire ni à faire. Même les rations de savon de sont pas suffisantes pour satisfaire toute la population carcérale.

"Nous aurions aimé jouer au football, avoir des nattes, de l'eau de javel, du savon un balai ou une brosse", explique à IRIN le 'chef' d'un des quartiers de la prison, au milieu de détenus à moitié nus et sans chaussure.

Ces plaies qui sentent mauvais

La prison de Dimbokro n'est pas un centre de détention sale, sordide ou désordonné. Bien au contraire; les prisonniers respectent une hiérarchie très stricte qu'ils ont instaurée entre eux et essayent de garder les espaces de vie le plus propres possibles pour enrayer la propagation de maladie.

Sur ordre du chef de groupe, un homme tout maigre s'avance et montre son dos sur lequel apparaissent de grosses tâches noires. Puis, sur ces pieds enflés, il montre des plaies ouvertes.

"Ces plaies sentent mauvais", explique le chef de groupe. "Cet homme dort avec nous dans le même dortoir et nous avons demandé qu'il soit transféré dans la cellule des malades".

Dans cette cellule où s'entassent près de 70 personnes, la plupart des prisonniers sont horriblement maigres, certains présentant même des dermatoses que l'infirmier de la prison, Parfait Gouanou, considère comme étant de l'herpès.

"L'année dernière nous avons eu 25 cas de tuberculose et depuis janvier nous en avons détecté deux", explique Gouanou, le seul infirmier de service à consulter les malades. "Je peux soigner le paludisme, la diarrhée, mais je n'ai pas les moyens de traiter l'herpès et les autres dermatoses parce qu'il n'y a pas de budget pour ces maladies".

Et lorsqu'on lui demande à quand remonte le dernier décès de prisonnier enregistré à la prison, Gouanou consulte le calendrier puis, un instant pensif, il pointe du doigt la date du 30 avril.

Chaque semaine, des prisonniers en Côte d'Ivoire meurent de diarrhée, de malnutrition, de tuberculose et du VIH/SIDA, indique Keita de Save the Prisoners, qui a réussi a faire introduire à la prison de Dimbokro un programme de dépistage gratuit de la tuberculose.

"Le ministère de la Justice est responsable des prisonniers, mais dans la plupart des pays, le ministère de la Santé affecte du personnel médical dans les prisons pour suivre l'état de santé des détenus", explique Keita. "Le problème, c'est que la crise qui sévit dans notre pays empêche le gouvernement de travailler correctement. Et comme ses ministères ne coopèrent pas, la santé des prisonniers est totalement négligée. Ce sont des parasites de toute façon et personne ne s'en préoccupe."

La Côte d'Ivoire est coupée en deux depuis la tentative avortée de renversement du président Gbagbo en septembre 2002 par des forces rebelles qui occupent le nord du pays, le sud étant tenu par les forces gouvernementales loyalistes.

Les luttes de pouvoir, les querelles internes politiques et la corruption endémique ont entamé l'action du gouvernement de réconciliation nationale nommé en mars 2003.

"Les prisons n'ont pas de politique de lutte contre le VIH/SIDA" ajoute Keita. "Si les relations sexuelles posent problème, il est difficile d'en parler avec les prisonniers. Ils sont si pauvres qu'ils partagent généralement les lames de rasoir".


Même des enfants sont détenus sans jugement


Dans la prison de Toumodi, une ville voisine située sur l'axe routier menant à la capitale officielle Yamoussoukro, les prisonniers passent leurs journées dans les mêmes conditions misérables.

Le régisseur de la prison de Toumodi, Joseph Akre, a confié à IRIN qu'il devait se débrouiller avec un budget annuel de 15 millions CFA (29 000 dollars) pour nourrir plus de 200 prisonniers, acheter des médicaments et payer les gardiens.

"Je leur donne du riz, du manioc et un peu de maïs", explique le régisseur. "Pour les grandes fêtes comme Noël, par exemple, je leur donne de la viande et une boîte de tomate. C'est tout ce que je peux faire pour eux".

Ouvrant le placard placé derrière son bureau, le régisseur montre une pile de petites boîtes blanches et lance sur un ton narquois : "Vous voyez, j'ai au moins des médicaments pour traiter le paludisme".

Puis soudain, son visage se durcit. "Humm, ça ne sent pas bon ici; il y a une souris morte quelque part", lance le régisseur.

Lorsqu'une personne a besoin de soins médicaux plus élaborés, l'infirmier de la prison n'est pas en mesure de les prodiguer. Akre envoie chercher un taxi à la gare pour transférer le patient vers un dispensaire de la place.

"Malheureusement, le taxi n'arrive pas toujours à l'heure", ajoute-t-il, désabusé.

L'infirmier n'est pas un agent de santé, mais un ancien laborantin qui purge une peine de prison. Il a appris les rudiments de la médecine grâce à une religieuse espagnole de passage en Côte d'Ivoire qui a construit des abris dans certains quartiers de la prison de Toumodi. Elle y a également créé une bibliothèque pour les douzaines de mineurs incarcérés qui sont généralement des enfants des rues.

Pendant la brève visite guidée de la prison, nous avons pu constater que de nombreux prisonniers étaient incarcérés sans jugement pendant une longue période de détention provisoire.

Une vendeuse ambulante de médicaments non répertoriés a été détenue pendant deux ans; un mineur de douze ans qui a été jeté en prison il y a un an pour avoir fumé du cannabis n'a jamais vu ses parents, ni un avocat; un ressortissant congolais qui clame son innocence a été maintenu en détention pour un crime commis en septembre 2002, mais n'a jamais été présenté à un juge.

La misère crée des liens de solidarité, a confié en aparté un groupe de prisonniers profitant d'un bref moment d'absence d'un des gardes. Malgré leurs histoires poignantes, les prisonniers ont demandé avec insistance d'intervenir en faveur d'Ibrahim Diallo, un jeune vendeur de charbon guinéen qui est détenu depuis 18 mois à la suite d'une bagarre de rue.

"Il ne parle pas français, il est seul et ne peut pas contacter sa femme en Guinée", explique Frank Kamada, le ressortissant congolais. "Il a besoin d'aide parce qu'il commence à perdre le moral et quand tu perds le moral ici tu risques de mourir".
Partager…