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Peine de mort au Kenya : Le moratoire de fait laisse 4.000 âmes dans l'oubli

dépêche de presse du 9 août 2006 - Inter Press Service (IPS)
Pays :
peine de mort / Kenya
Joyce Mulama

NAIROBI, 9 août (IPS) - C'est une peine qui a été mise au frais pendant deux décennies environ au Kenya. Néanmoins, la peine capitale demeure une option pour les juges qui prononcent des condamnations dans ce pays est-africain, un soutien de haut niveau pour son abolition malgré tout.

Bien que 19 années se soient écoulées et qu'aucune personne n'a été exécutée, un groupe de défense de droits humains croit que 4.000 âmes croupissent en prison avec une peine de mort planant sur leurs têtes. La cessation de fait des exécutions ne signifie pas que la vie dans le couloir de la mort devient aisée.

"Quand nous leur parlons (les prisonniers du couloir de la mort), certains disent qu'ils préfèrent être exécutés d'un trait au lieu de rester dans le couloir de la mort indéfiniment. Ils disent que c'est une torture psychologique", a observé Moses Chepkoy, chargé des relations publiques au département des prisons.

L'opinion est en train de se retourner contre la peine capitale dans certains milieux. L'ex-ministre de la Justice et des Affaires constitutionnelles, Kiraitu Murungi, a condamné la peine de mort, comme l'a fait Moody Awori -- le vice-président et ministre des Affaires intérieures. Awori a également parlé de l'introduction d'un projet de loi au parlement pour abolir la peine capitale au Kenya.

Bien que le gouvernement ait interrompu réellement les exécutions, des prisonniers continuent d'être condamnés à mort. La peine de mort peut être appliquée dans des cas de meurtre et de vol suivi de coups et blessures.

IPS n'a pas réussi à obtenir des chiffres officiels du nombre de gens dans le couloir de la mort; cependant, Samwel Mohochi, directeur exécutif par intérim de l'Unité médico-légale indépendante (IMLU), a estimé leur nombre autour de 4.000. Cela équivaut à environ dix pour cent du nombre total de prisonniers, qui s'élève actuellement à 50.000.

L'IMLU est une organisation non gouvernementale basée dans la capitale kényane, Nairobi, qui se documente sur la torture, et aide à réhabiliter les victimes de la torture. Elle a aussi mené des recherches approfondies sur les prisons du pays.

Au cas où la législation contre la peine de mort serait votée, le Kenya irait rejoindre beaucoup d'autres pays à travers le continent, qui ont classé la peine capitale dans l'histoire. Selon Amnesty International, une organisation de défense des droits, 12 des 53 Etats en Afrique ont aboli la peine de mort.

"Une constitution qui prohibe la peine de mort et lie son abolition aux droits humains, en particulier aux droits à la vie et à l'intégrité physique et mentale...est en phase avec les normes internationales des droits de l'Homme", a déclaré Amnesty en 2005.

Des indications montrent qu'il y a toutefois une façon de procéder avant que ces arguments ne soient systématiquement acceptés.

"Les Kényans croient qu'un malfaiteur doit être sévèrement puni", note Chepkoy.

Pour ceux qui craignent que la disparition de la peine de mort ne sape les efforts du contrôle de la criminalité, la Commission nationale sur les droits humains du Kenya (KNCHR) brandit une étude réalisée en 1998 par les Nations Unies -- mise à jour en 2002 -- qui n'a trouvé aucun lien entre l'existence de la peine de mort et les taux d'homicide.

Le KNCHR, une institution créée par le gouvernement, soutient que la dissuasion du crime réside plutôt dans l'augmentation des chances de découvrir des crimes -- ainsi que l'arrestation et la poursuite de ceux qui en sont responsables.

Par ailleurs, la peine de mort "perpétue un cycle de violence et encourage un sentiment de vengeance dans la société", a indiqué la commission dans un récent article d'opinion, expliquant pourquoi la peine capitale devrait être abolie au Kenya.

"Cautionner la peine de mort revient à enseigner que la violence et la tuerie sont une manière acceptable de traiter les crimes graves", ajoute-t-il.

Un débat approfondi et énergique sur l'avenir de la peine capitale dans le pays est essentiel pour le progrès, a déclaré Chepkoy. "Une forte action de sensibilisation sur ce problème est nécessaire", a-t-il dit à IPS.

Pour le moment, toutefois, le seul espoir des condamnés à mort reste le président.

Mwai Kibaki a l'autorité de gracier ceux qui ont été condamnés à mort -- ce qu'il avait fait peu après son avènement au pouvoir en décembre 2002, au profit de 28 prisonniers dans le couloir de la mort. Ces prisonniers graciés avaient purgé entre 15 et 20 ans de peine en prison, après avoir été condamnés à la pendaison.

Leur relaxe était saluée par des militants des droits humains, dont beaucoup souhaitent voir l'emprisonnement à vie institué comme la peine maximale pour les crimes les plus graves.

Chose intéressante, la dernière exécution a été faite lorsque les conspirateurs du coup d'Etat de 1982 -- Hezekiah Ochuka et Pancreas Otenyo Okumu -- avaient été mis à mort. Ils s'étaient rendus coupables de tentative de renversement d'un ancien président, Daniel arap Moï.
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