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Affaire Avena et autres ressortissants mexicains

2003/9
communiqué de presse du 5 février 2003 - Cour internationale de Justice
Mesures conservatoires

La Cour indique aux Etats-Unis d'Amérique qu'ils devront prendre «toute mesure» pour empêcher l'exécution de trois ressortissants mexicains dans l'attente de son arrêt définitif

LA HAYE, le 5 février 2003. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal des Nations Unies, a indiqué aujourd'hui aux Etats-Unis d'Amérique qu'ils devront prendre «toute mesure» pour que MM. César Roberto Fierro Reyna, Roberto Moreno Ramos et Osvaldo Torres Aguilera, de nationalité mexicaine, ne soient pas exécutés tant qu'elle n'aura pas rendu un arrêt définitif en l'affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique).

Dans l'ordonnance en indication de mesures conservatoires qu'elle a rendue à l'unanimité, la Cour a également précisé que le Gouvernement des Etats-Unis portera à la connaissance de la Cour toute mesure prise en application de cette ordonnance. Elle a en outre décidé de rester saisie des questions qui font l'objet de l'ordonnance jusqu'à ce qu'elle ait rendu son arrêt définitif.

Historique de la procédure

Le Mexique avait présenté sa demande en indication de mesures conservatoires le 9 janvier 2003 lorsqu'il avait saisi la Cour d'un différend qui l'oppose aux Etats-Unis d'Amérique au sujet de prétendues violations des articles 5 et 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, concernant cinquante-quatre ressortissants mexicains condamnés à mort dans certains Etats des Etats-Unis. Le Mexique avait en outre demandé à la Cour qu'en attendant l'arrêt définitif en l'instance, les Etats-Unis prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu'aucun ressortissant mexicain ne soit exécuté et qu'aucune date d'exécution ne soit fixée pour aucun ressortissant mexicain; que les Etats-Unis portent à la connaissance de la Cour toutes les mesures qu'ils auront prises à cet égard; et que les Etats-Unis fassent en sorte qu'il ne soit pris aucune mesure qui puisse porter atteinte aux droits du Mexique ou de leurs ressortissants en ce qui concerne toute décision que la Cour pourrait prendre sur le fond de l'affaire. Au cours d'audiences qui s'étaient tenues le 21 janvier 2003, le Mexique avait confirmé sa demande en indication de mesures conservatoires tandis que les Etats-Unis avaient prié la Cour de rejeter cette demande et de ne pas indiquer de telles mesures conservatoires.

Raisonnement de la Cour

La Cour examine au préalable si elle a compétence prima facie (à première vue) pour connaître de l'affaire, condition nécessaire pour indiquer des mesures conservatoires. Elle relève que le Mexique et les Etats-Unis sont tous deux parties à la convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires et au protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends, dont l'article premier stipule que «les différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de la convention relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice». La Cour estime en conséquence qu'elle a prima facie compétence en vertu de cet article pour connaître de l'affaire.

La Cour se penche ensuite sur l'argumentation des Parties et constate qu'il existe un différend entre elles quant aux remèdes qui doivent être apportés en cas de méconnaissance par les Etats-Unis de leurs obligations en vertu de l'article 36 paragraphe 1 de la convention de Vienne. Elle en déduit qu'il y a lieu pour elle de rechercher s'il convient de sauvegarder par des mesures conservatoires les droits que l'arrêt au fond pourrait éventuellement reconnaître, soit au demandeur, soit au défendeur, sans qu'il y ait lieu à ce stade de la procédure de prendre parti sur ces droits. Elle ajoute que les questions portées devant elle «ne concernent pas le droit des Etats fédérés qui composent les Etats-Unis de recourir à la peine de mort pour les crimes les plus odieux»; que «la fonction de la Cour est de régler des différends juridiques internationaux entre Etats, notamment lorsqu'ils découlent de l'interprétation ou de l'application de conventions internationales, et non pas d'agir en tant que cour d'appel en matière criminelle»; et qu'elle «peut indiquer des mesures conservatoires sans qu'il soit porté atteinte aux principes ainsi rappelés». Elle rejette par suite l'argumentation des Etats-Unis selon laquelle, notamment, les mesures demandées par le Mexique se traduiraient «par une interdiction absolue de condamner à la peine capitale des ressortissants mexicains aux Etats-Unis, sans tenir compte du droit interne des Etats-Unis» ¾ ce qui «porter[ait] gravement atteinte aux droits souverains des Etats-Unis et remettr[ait] en question certains intérêts importants liés au fédéralisme» ¾ et transformeraient la Cour en «juridiction d'appel en matière pénale».

La Cour rappelle que les mesures conservatoires ne sont justifiées que s'il y a urgence, «c'est-à-dire s'il est probable qu'une action préjudiciable aux droits de l'une ou l'autre Partie sera commise avant qu'un arrêt définitif ne soit rendu».

La Cour ajoute que sa compétence est limitée en l'espèce au différend né entre les Parties en ce qui concerne l'interprétation et l'application de la convention de Vienne pour ce qui est des personnes que le Mexique a mentionnées comme ayant été victimes d'une violation de la convention et qu'aucune mesure conservatoire ne saurait être prise pour d'autres personnes.

Puis la Cour souligne que le fait que des dates d'exécution n'aient été fixées dans aucun des cas qui lui ont été soumis «n'est pas en soi de nature à [lui] interdire d'indiquer des mesures conservatoires». Elle indique qu'il ressort des informations dont elle dispose en l'espèce que trois ressortissants mexicains, MM. César Roberto Fierro Reyna, Roberto Moreno Ramos et Osvaldo Torres Aguilera, risquent d'être exécutés dans les prochains mois, voire dans les prochaines semaines, et que «leur exécution porterait un préjudice irréparable aux droits que l'arrêt de la Cour pourrait éventuellement reconnaître au Mexique», puis en conclut que «les circonstances exigent qu'elle indique des mesures conservatoires pour sauvegarder ces droits».

Au sujet des autres personnes énumérées dans la requête du Mexique, la Cour observe que «bien que se trouvant à l'heure actuelle dans le couloir de la mort, [elles] sont dans une situation différente de celle des trois personnes» susmentionnées et qu'il lui appartient d'indiquer, «le cas échéant, des mesures conservatoires à l'égard de ces personnes avant que soit rendu l'arrêt définitif».

La Cour ajoute enfin qu'il est «manifestement de l'intérêt des deux Parties de voir définitivement déterminés leurs droits et obligations respectifs aussitôt que possible» et «que dès lors, il convient, avec la coopération des Parties, de parvenir à un arrêt définitif dans les meilleurs délais». A cet effet, le président a entamé immédiatement des consultations avec les Parties.

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Guillaume, président; M. Shi, vice-président; MM. Oda, Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, juges; M. Couvreur, greffier.

M. Oda, juge, joint une déclaration à l'ordonnance
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