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Question de la peine de mort : Rapport du Secrétaire général (1999)

E/CN.4/1999/52
rapport du 12 janvier 1999 - Secrétaire général des Nations Unies
Conseil Économique et Social

COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante—cinquième session
Point 17 a) de l'ordre du jour provisoire

PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS DE L'HOMME : ÉTAT DES PACTES INTERNATIONAUX RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME

Question de la peine de mort

Rapport du Secrétaire général présenté en application de la résolution 1998/8 de la Commission


TABLE DES MATIERES

Paragraphes

Introduction - 1 — 8

I. RAPPEL DES MESURES PRISES PAR LES NATIONS UNIES ET POSITIONS DES ÉTATS - 9 - 16
II. CHANGEMENTS SURVENUS DANS LA LÉGISLATION ET DANS LA PRATIQUE - 17 — 24
III. LA PEINE DE MORT DANS LE MONDE AU 1er DÉCEMBRE 1998 - 25
IV. CONCLUSIONS - 26 — 27


Introduction

1. Au paragraphe 5 de sa résolution 1998/8, la Commission des droits de l'homme a prié le Secrétaire général de lui soumettre un supplément annuel à son rapport quinquennal sur la peine de mort et l'application des garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, rendant compte des changements survenus dans la législation et dans la pratique en matière de peine de mort dans le monde entier, et ce en consultation avec les gouvernements, les institutions spécialisées et les organisations intergouvernementales et non gouvernementales.

2. Les rapports quinquennaux sur la peine capitale et l'application des garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort évoqués dans la résolution 1998/8 de la Commission ont été établis sous les auspices du Centre de prévention de la criminalité internationale de l'Office des Nations Unies à Vienne (l'ancienne Division de la prévention du crime et de la justice pénale du Secrétariat). A ce jour, cinq rapports ont été soumis, le plus récent en 1995 (E/1995/78 et Add.1). Le Secrétaire général a également soumis à la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale à sa cinquième session, en 1996 (E/CN.15/1996/19), un rapport sur ce sujet qui rassemble les informations contenues dans le cinquième rapport quinquennal et les informations supplémentaires reçues jusqu'en mars 1996.

3. Le rapport quinquennal est établi sur la base d'un questionnaire détaillé envoyé aux États. Outre les données communiquées par les pays en réponse au questionnaire, il exploite d'autres sources d'information, notamment des recherches en cours dans le domaine de la criminologie, et des renseignements émanant des institutions spécialisées et des organisations intergouvernementales et non gouvernementales.

4. Le dernier rapport quinquennal contient des informations sur un certain nombre de questions liées à la peine de mort dans le monde. Il examine notamment l'évolution de la situation, le nombre d'exécutions, l'état de la ratification des instruments internationaux restreignant l'application de la peine capitale et les types de crimes passibles de cette peine. Conformément à la résolution 1989/64 du Conseil économique et social, le cinquième rapport quinquennal comportait des informations relatives à l'application des garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, fusionnant ainsi les rapports sur la peine de mort et les précédents rapports sur l'application des garanties rédigés à l'intention de l'ancien Comité pour la prévention du crime et la lutte contre la délinquance. Les garanties contiennent des dispositions concernant les types de crimes passibles de la peine de mort, les catégories de personnes auxquelles celle-ci ne devrait pas s'appliquer (par exemple, les enfants et les handicapés mentaux) et les assurances d'un procès équitable pour les personnes passibles de la peine capitale.

5. Conformément à la résolution 1998/8 de la Commission, le Secrétaire général a demandé à tous les États de l'informer de tout changement survenu dans la législation et dans la pratique concernant la peine de mort. Une demande de renseignements analogue a été adressée aux institutions spécialisées et aux organisations intergouvernementales et non gouvernementales. Les pays suivants ont communiqué des informations : Antigua—et—Barbuda, Arménie, Autriche (au nom de l'Union européenne), Azerbaïdjan, Chine, Chypre, Danemark, Koweït, Liban, Malaisie, Maurice, Népal, Singapour, Trinité—et—Tobago et Turquie. Des informations sont également parvenues d'Amnesty International.

6. Le présent rapport portera essentiellement sur les changements survenus dans la législation et la pratique relatives à la peine de mort, les informations concernant la mesure dans laquelle les garanties ne sont pas observées concrètement dans les différents pays étant souvent portées à l'attention du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et incluses dans ses rapports à la Commission des droits de l'homme.

7. L'on trouvera également dans le présent rapport des informations sur les mesures prises par les organes et organismes des Nations Unies, ces informations n'ayant été incluses ni dans le rapport précédent ni dans les rapports susmentionnés du Secrétaire général sur la peine capitale.

8. Conformément à la pratique suivie dans les rapports quinquennaux, les États sont classés en pays abolitionnistes, pays abolitionnistes de fait et pays favorables au maintien de la peine de mort. Sont considérés comme abolitionnistes les pays dont la loi ne prévoit pas la peine de mort, que ce soit pour tous les crimes (qu'il s'agisse de crimes de droit commun ou de crimes commis en temps de guerre ou dans d'autres circonstances exceptionnelles) ou seulement pour les crimes de droit commun. Sont considérés comme abolitionnistes de fait ceux dont la loi prévoit la peine de mort pour les crimes de droit commun mais où aucune exécution n'a eu lieu depuis au moins 10 ans. Tous les autres sont considérés comme étant favorables au maintien de la peine de mort, c'est-à-dire que cette peine y est en vigueur et que des exécutions y ont lieu, même si elles sont relativement rares dans beaucoup d'entre eux.

I. RAPPEL DES MESURES PRISES PAR LES NATIONS UNIES ET POSITIONS DES ÉTATS

9. La question de la peine capitale est examinée par les organes et organismes des Nations Unies depuis 1959. Dès 1971, l'Assemblée générale a demandé aux États de restreindre progressivement le champ d'application de la peine de mort (résolution 2857 (XXVI)). En 1977, elle a réitéré cet appel dans sa résolution 32/61. Depuis 1977, les Nations Unies ne cessent d'insister sur le caractère souhaitable de l'abolition de la peine de mort. L'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques affirme le droit à la vie. Sans interdire expressément la peine capitale, cet article stipule qu'une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, conformément à la législation en vigueur. Le Comité des droits de l'homme a fait remarquer que l'article 6 incite fortement à penser que l'abolition de la peine capitale est souhaitable. L'entrée en vigueur en 1989 du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte a constitué un pas dans ce sens.

10. Il importe de noter également que le Conseil de sécurité, dans ses résolutions 827 (1993) du 25 mai 1993 et 955 (1994) du 8 novembre 1994, relatives à la création d'une juridiction pénale internationale pour l'ex—Yougoslavie et le Rwanda, respectivement, a exclu la peine de mort et décidé que ces tribunaux ne pouvaient prononcer que des peines de prison pour les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité.

11. À ses cinquante—troisième (1997) et cinquante—quatrième (1998) sessions, la Commission des droits de l'homme a adopté ses résolutions 1997/12 et 1998/8 où elle prie le Secrétaire général d'établir et de lui présenter un supplément annuel à son rapport quinquennal. Cette question est donc désormais régulièrement à l'ordre du jour de la Commission qui, dans ses résolutions, engage aussi tous les États qui n'ont pas encore aboli la peine de mort à limiter progressivement le nombre d'infractions qui emportent cette peine; instituer un moratoire sur les exécutions, en vue d'abolir définitivement la peine de mort; et rendre publics les renseignements concernant l'application de la peine de mort.

12. La Sous—Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités et son Groupe de travail de session sur l'administration de la justice ont également examiné l'évolution de la peine capitale. Un membre de la Sous—Commission, M. El Hadji Guissé, a présenté des documents de travail sur cette question (voir par exemple E/CN.4/Sub.2/1998/WG.1/CRP.3). Le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a donné chaque année dans ses rapports des renseignements sur la pratique des États en matière d'application des garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort.

13. Au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, le Comité des droits de l'homme a examiné un grand nombre d'affaires où la peine capitale a été prononcée, et il continue de le faire. Le Comité a adopté de nombreuses décisions finales ("constatations") sur le bien—fondé des plaintes en question et, dans plus de la moitié de ces affaires, il a constaté des violations des dispositions du Pacte, en particulier du paragraphe 3 de l'article 14 de celui—ci, qui énonce un certain nombre de garanties minimales dont l'accusé doit bénéficier. Dans certaines affaires, le Comité a établi un lien entre la violation de l'article 14 et une violation du droit à la vie (art. 6), et a adopté ce qui est désormais une formule standard :

"Le Comité est d'avis que prononcer la peine de mort au terme d'un procès où les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées et sans que cette peine ne soit plus susceptible d'appel constitue une violation de l'article 6 du Pacte... Il faut conclure que la condamnation à mort définitive a été prononcée sans que les garanties d'un procès équitable énoncées à l'article 14 aient été observées et que, de ce fait, le droit consacré à l'article 6 du Pacte a été violé" (1).

14. La Haut—Commissaire aux droits de l'homme continue, dans le cadre d'un dialogue constructif avec les Gouvernements, de faire campagne pour la limitation et l'abolition de la peine capitale. Elle a fait plusieurs déclarations et adressé des messages concernant l'application de la peine de mort dans un certain nombre d'États (le texte de ces messages peut être consulté sur le site Web du Haut—Commissariat aux droits de l'homme, à l'adresse www.unhchr.ch).

15. Les informations reçues laissent apparaître deux grandes positions face à l'abolition de la peine de mort. L'Union européenne appuie résolument la lutte contre les crimes violents mais considère qu'il existe suffisamment de preuves que les exécutions ne sont pas synonymes de sociétés moins violentes. La peine de mort et son application tendraient plutôt à accroître la brutalité et l'acuité des conflits au sein de la société, nuisant ainsi au respect essentiel pour les droits et la dignité de la personne humaine. Lors de leur deuxième réunion au sommet (Strasbourg, octobre 1997), les chefs d'État et de Gouvernement des pays membres du Conseil de l'Europe, y compris tous les États membres de l'Union européenne, ont appelé à l'abolition universelle de la peine capitale. Les États nouvellement membres du Conseil de l'Europe se sont aussi engagés à proclamer un moratoire sur la peine de mort et à ratifier le Protocole No 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Enfin, l'Union européenne a décidé, en tant que partie intégrante de sa politique dans le domaine des droits de l'homme, de renforcer ses activités internationales axées sur l'abolition de la peine de mort.

16. Les Gouvernements d'Antigua—et—Barbuda, de la Chine et de la Trinité—et—Tobago ont noté que la résolution 1998/8 de la Commission exprimait les vues des États abolitionnistes et que le détail du vote sur ce texte montrait qu'il n'y avait pas de consensus international sur l'abolition de la peine de mort. Ces Gouvernements ont fait remarquer que lors de la session de fond du Conseil économique et social, en juillet 1998, 52 délégations s'étaient dissociées de la résolution relative à cette question. À leur avis, les mises à jour annuelles établies par la Commission des droits de l'homme faisaient double emploi avec les études et rapports établis par le Centre de prévention de la criminalité internationale et étaient donc superflues. Ces Gouvernements estimaient aussi que la question de la peine de mort devrait être du seul ressort de la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale.

II. CHANGEMENTS SURVENUS DANS LA LÉGISLATION ET DANS LA PRATIQUE

17. Les changements survenus dans la législation et la pratique en matière de peine de mort relèvent d'un grand nombre de domaines. Au nombre des changements d'ordre législatif peuvent figurer l'adoption de nouvelles lois abolissant ou rétablissant la peine de mort ou en limitant ou en élargissant le champ d'application, ainsi que la ratification d'instruments internationaux prévoyant l'abolition de la peine de mort. Les changements d'ordre pratique recouvrent les mesures non législatives qui dénotent une approche relativement nouvelle de l'utilisation de la peine de mort; il s'agit par exemple des pays qui, bien que maintenant la peine de mort, annoncent un moratoire sur son application, ou qui, au contraire, reprennent les exécutions après un moratoire de plusieurs années. Relèvent aussi de ces changements des mesures importantes prises pour commuer des condamnations à mort.

18. Selon les informations reçues, les changements suivants sont survenus dans la législation et dans la pratique.

A. Pays ayant aboli la peine de mort depuis le 1er janvier 1998

19. Selon des informations reçues, l'Estonie a aboli la peine de mort en 1998. Les Gouvernements azerbaïdjanais et népalais ont signalé que la peine de mort avait été abolie dans leur pays en 1988 et que la législation pénale avait été modifiée en conséquence.

B. Pays ayant limité le champ d'application de la peine de mort ou en ayant limité l'utilisation depuis le 1er janvier 1998

20. Selon les informations reçues, le Parlement du Tadjikistan a adopté, en juin 1998, un nouveau code pénal où le nombre des articles en vertu desquels la peine de mort peut être requise est passé de 44 à 15. En vertu de ce nouveau code, qui est entré en vigueur le 1er septembre 1998, une condamnation à mort peut être commuée en une peine de prison de 25 ans.

C. Pays ayant ratifié depuis le 1er septembre 1997 des instruments internationaux prévoyant l'abolition de la peine de mort

21. Trois instruments internationaux en vigueur engagent les États parties à ne pas appliquer la peine de mort : le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort, le Protocole No 6 relatif à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort et le Protocole à la Convention américaine relative aux droits de l'homme traitant de l'abolition de la peine de mort. Le Protocole No 6 traite de l'abolition de la peine de mort en temps de paix, alors que les deux autres prévoient l'abolition totale de la peine de mort mais autorisent les États qui le souhaitent à maintenir celle—ci en temps de guerre.

22. Au cours de la période considérée, deux États ont adhéré au deuxième Protocole facultatif, le Costa Rica le 5 juin 1998 et le Népal le 4 mars 1998. Quatre États ont ratifié le Protocole No 6 à la Convention européenne des droits de l'homme, la République de Moldova le 12 septembre 1997, la Croatie le 5 novembre 1997, l'Estonie le 17 avril 1998 et la Grèce le 8 septembre 1998.

D. Pays ayant proclamé un moratoire sur les exécutions dans la perspective d'une abolition complète de la peine de mort

23. Le Gouvernement arménien a déclaré qu'en vertu d'un moratoire présidentiel, aucune exécution n'avait eu lieu en Arménie depuis 1991 et qu'aucune exécution n'aura lieu jusqu'à l'adoption du nouveau code pénal abolissant la peine de mort, à la fin de 1998. Selon les informations reçues, en septembre 1996, le Président de la Lettonie a annoncé à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qu'il accepterait tous les recours en grâce qui lui seraient soumis. En juin 1998, le Saeima ayant maintenu la peine de mort dans le nouveau code pénal, le Président a déclaré qu'il maintiendrait le moratoire sur les exécutions.

E. Pays ayant rétabli l'application de la peine de mort, élargi son champ d'application ou repris les exécutions depuis le 1er janvier 1998

24. Selon Amnesty International, la prison centrale d'Addis—Abeba a été le théâtre, le 2 juin 1998, de la première exécution depuis le renversement du Dergue (gouvernement militaire) en 1991.

III. LA PEINE DE MORT DANS LE MONDE AU 1er DÉCEMBRE 1998

25. Le dernier rapport quinquennal et le supplément annuel pour 1998 contiennent un certain nombre de tableaux illustrant la situation en ce qui concerne la peine de mort dans le monde. Certains de ces tableaux sont repris ici et mis à jour pour tenir compte des faits nouveaux survenus jusqu'à la fin de 1997 et en 1998 et des nouvelles informations disponibles.

[...]
Tableaux
[...]

Tableau 5. La peine de mort dans le monde : Récapitulation

Nombre de pays favorables au maintien de la peine de mort - 87

Nombre de pays ayant totalement aboli la peine de mort - 65

Nombre de pays ayant aboli la peine de mort pour les crimes de droit commun uniquement - 16

Nombre de pays pouvant être considérés comme abolitionnistes - 26


IV. CONCLUSIONS

26. Le dernier rapport quinquennal (le cinquième) confirmait que l'abolition gagnait généralement du terrain, comme on l'avait noté dans le quatrième rapport quinquennal, et concluait qu'un nombre sans précédent de pays avait aboli ou suspendu l'application de la peine de mort (par. 94) et que le rythme du changement entre 1989 et 1995 "pouvait être considéré comme remarquable" (par. 96).

27. Les informations contenues dans le présent rapport confirment elles aussi que la tendance à l'abolition se poursuit, le nombre de pays ayant totalement aboli la peine de mort étant passé de 61 à 65. On constate aussi une augmentation du nombre de pays qui ratifient les instruments internationaux relatifs à l'abolition de la peine de mort. Au cours de la période considérée, aucun des pays entrant dans la catégorie des abolitionnistes (que ce soit pour tous les crimes ou pour les crimes de droit commun seulement) n'a modifié sa législation pour réintroduire la peine de mort. Un pays favorable au maintien de la peine de mort est passé dans la catégorie des pays abolitionnistes de facto.



Notes

1. Communication No 282/1988, Leaford Smith c. Jamaïque, constatations adoptées le 31 mars 1988, Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante—huitième session, Supplément No 40 (A/48/40), volume II, annexe XII.E, paragraphe 10.6.
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