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Rapport de l'Assemblée nationale sur l'abolition de la peine de mort (extrait)

No 316
rapport du 10 septembre 1981 - Assemblée nationale française - France
Pays :
peine de mort / France
ASSEMBLEE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 SEPTIEME LEGISLATURE
DEUXIEME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1980-1981
Annexe au procès-verbal de la séance du 10 septembre 1981.

RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LEGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GENERALE DE LA REPUBLIQUE (1) SUR LE PROJET DE LOI (n° 310) portant abolition de la peine de mort.
Par M. RAYMOND FORNI,
Député.




SOMMAIRE


  • Exposé général


  • Examen en Commission


  • Tableau comparatif


  • Amendements soumis à la Commission et non adoptés


  • Annexes


    • I. - Rappel historique

    • II. - La peine capitale dans le monde

    • III. - Les positions prises par certaines organisations internationales

    • IV. - Crimes pour lesquels la peine de mort est encourue en droit français

    • V. - Etat des condamnations capitales en France de 1826 à 1950

    • VI. - Etat des condamnations capitales pour crimes de droit commun en France depuis 1950

    • VII. - Nombre de condamnations prononcées par les cours d'assises pour crimes contre les personnes
    • en France depuis 1840







Exposé des motifs



MESDAMES, MESSIEURS,

Après des siècles d'une lutte menée parfois avec âpreté, souvent avec passion, mais toujours avec conviction et pour laquelle tant de voix se sont élevées, les abolitionnistes savent enfin aujourd'hui que leurs efforts et leur constance n'auront pas été vains.

Aujourd'hui, pour la première fois, ils entrevoient l'issue de ce long combat, pour la première fois, ils sont en droit d'espérer que disparaisse à jamais de notre arsenal répressif cette peine barbare, ce châtiment indigne de notre société.

Depuis ces dernières années, combien de fois ont-ils tenté de se faire entendre, tant en commission qu'en séance publique, pour que la peine de mort soit abolie et qu'ainsi soit mis fin aux tourments de conscience qui étaient les nôtres à chaque annonce d'une exécution capitale.

Combien de fois aussi ont-ils été contraints d'user de manoeuvres, notamment par le biais de dépôt d'amendements sur le vote du budget de la Justice, pour qu'enfin s'instaure le débat sans cesse promis, mais sans cesse reculé.

Manoeuvres, discussions, débats se sont ainsi succédé sans que jamais ne soit atteint le résultat espéré. Dépôt de propositions de loi, dépôt d'amendements, rien n'avait réussi à faire plier le pouvoir exécutif et à mobiliser une majorité au sein du Parlement. A chaque fois, c'est un sentiment d'échec qui dominait. Aujourd'hui, l'espoir renaît car, désormais ils savent que les promesses seront tenues et que le projet de loi déposé par le Gouvernement sera, jusqu'à son terme, examiné par notre Assemblée.

Nous devons avoir ce débat. L'on peut s'interroger sur les raisons de cette affirmation, sur l'optimisme dont font preuve certains, sur le caractère inéluctable de notre procédure.

L'élection de François Mitterrand le 10 mai dernier et l'avènement d'une nouvelle majorité présidentielle sont la raison essentielle sur laquelle s'appuie l'espérance. Parce que des engagements ont été pris devant l'opinion publique, parce qu'un programme a été présenté aux Françaises et aux Français et parce que, dans ce programme, figurait en bonne place l'abolition de la peine de mort, nous avons toutes raisons de croire à l'issue heureuse du projet de loi en discussion. Devons-nous rappeler le courage extraordinaire dont a fait preuve le candidat François Mitterrand en déclarant :

"Sur la question de la peine de mort, pas plus que sur les autres, je ne cacherai pas ma pensée. Et je n'ai pas du tout l'intention de mener ce combat à la face du pays en faisant semblant d'être ce que je ne suis pas. Dans ma conscience profonde, qui rejoint celle des Eglises, l'Eglise catholique, les Eglises réformées, la religion juive, la totalité des grandes associations humanitaires, internationales et nationales, dans ma conscience, dans le for de ma conscience, je suis contre la peine de mort. Je suis candidat à la Présidence de la République et je demande une majorité de suffrages aux Français, et je ne la demande pas dans le secret de ma pensée. Je dis ce que je pense, ce à quoi j'adhère, ce à quoi je crois, ce à quoi se rattachent mes adhésions spirituelles, mon souci de la civilisation : je ne suis pas favorable à la peine de mort."

Devons-nous rappeler aussi que M. Chirac, lui-même candidat aux élections présidentielles, déclarait le 24 mars dernier qu'il voterait contre la peine de mort.

C'est parce que des promesses avaient été faites par le précédent Gouvernement - et notamment par son Garde des Sceaux M. Peyrefitte - qu'il nous est permis de croire que ce débat est souhaité par l'immense majorité de ceux qui siègent sur les bancs de l'Assemblée nationale.

Certes, pendant des années, la volonté du Parlement a été bafouée. Reculades et prétextes s'additionnaient pour sans cesse amener à répéter que nous n'étions point prêts, que l'opinion publique n'accepterait pas, qu'il fallait d'abord se préoccuper de la sécurité, pour ainsi, d'année en année, reculer l'échéance de ce qui paraissait à nos yeux indispensable pour que soient respectés les grands principes qui doivent gouverner la démocratie de notre pays.

Sur le plan international - et notamment dans le cadre de l'Europe occidentale - la France était depuis trop longtemps en situation d'accusée, montrée du doigt par l'ensemble de nos partenaires qui, pour certains d'entre eux, depuis des années ont fait choix de supprimer la peine capitale.

Aux Nations unies, des résolutions ont préconisé le respect de la vie et donc souhaité l'abolition de la peine de mort.

Au Conseil de l'Europe, à l'Assemblée des Communautés européennes, des résolutions ont été votées en faveur de l'abolition dans toute la Communauté et faisant appel aux Etats membres afin qu'ils modifient si nécessaire leur législation. La France et la position qu'elle continuait à tenir se trouvaient ainsi directement mises en cause.

Au Conseil de l'Europe, votre Rapporteur et bien d'autres ont pu entendre M. Lidbom, rapporteur de la commission sur les questions juridiques, implorer la France pour qu'elle supprime l'article 12 du Code pénal, et l'on peut souligner le malaise ressenti par tous ceux qui, malgré leur opposition, se trouvaient être liés par une solidarité nationale à la position gouvernementale.

De même, l'Assemblée des Communautés européennes considéra que la France était un obstacle à la crédibilité de l'appel lancé par la Communauté en faveur de l'abolition dans le monde.

Enfin, nombreux sont ceux qui ont souligné l'obstacle que serait également la France à la collaboration judiciaire qu'ils souhaiteraient voir s'instaurer.

La France, pays de grande civilisation, se doit de respecter non seulement la tradition d'humanisme, mais aussi les textes fondamentaux qui nous gouvernent, qui s'imposent à nous, et notamment la déclaration universelle des Droits de l'homme, qui proclame en son article 3 que "tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne".

Comment en effet admettre le maintien d'une disposition pénale contraire ?

Comment imaginer que la nouvelle majorité présidentielle ne soit point soucieuse d'aligner le droit avec la tradition humaniste?

Et puis, et cette dernière raison est je crois considérable à nos yeux, c'est celle qui doit nous conduire à ce que jamais plus ne repose sur les épaules d'un seul homme, sous sa seule autorité, sous sa seule responsabilité, fût-il Président de la République, le droit de disposer de la vie, de décider de la mort d'un autre homme.


François Mitterrand déclarait le 18 mars dernier

"Je ferai ce que j'aurai à faire dans le cadre d'une loi que j'estime excessive, c'est-à-dire régalienne, un pouvoir excessif donné à un seul homme : disposer de la vie d'un autre. Mais ma disposition est celle d'un homme qui ne ferait pas procéder à des exécutions capitales."

Georges Pompidou lui-même, interrogé sur les difficultés de sa charge, soulignait le 12 mai 1970 :

"Ce qui m'est le plus pénible de très loin, c'est le problème des grâces. Lorsque je me trouve en présence de condamnés à mort et que je dois prendre sur moi la décision, et sur moi seul, pris entre le crime qui en général est affreux, avec tout ce que cela peut comporter de conséquences pour les victimes, pour les parents des victimes, pour l'exemple et, d'autre part, la responsabilité d'envoyer quelqu'un à la guillotine, pour moi, à chaque fois, c'est un drame de conscience."

Dans la période récente, la difficulté de la question de la grâce s'est encore accrue du fait même de la diminution du nombre des condamnations à mort. La rareté des cas tend nécessairement à conférer à chaque décision une dimension de principe.

Faut-il par ailleurs considérer comme un obstacle grave à l'abolition les résultats de sondages ? Votre Rapporteur voudrait à ce sujet observer que ceux-ci sont relativement contingents. Entre 1959 et 1971, les sondages dégageaient une forte majorité favorable à l'abolition. Leur sens s'est ensuite modifié mais il faut remarquer que si, en janvier 1981, d'après un sondage S.O.F.R.E.S., 63 % de Français se disaient favorables au maintien de la peine de mort, cette proportion est revenue à 52 %, d'après un sondage I.F.R.E.S.-Journal du Dimanche d'août 1981. Quoi qu'il en soit, dès lors qu'un référendum sur ce sujet n'est pas possible en l'état actuel des textes constitutionnels, et ne serait de toute manière pas nécessairement opportun - c'est du moins l'opinion de votre Rapporteur - il revient aux élus, dont c'est le rôle et l'honneur, de satisfaire aux engagements qu'ils ont pris devant leurs électeurs et de permettre l'aboutissement d'un long combat.



LE PROJET DE LOI






Volontairement je le crois, le Gouvernement a voulu soumettre à l'Assemblée nationale un texte bref dans son exposé des motifs, mais aussi dans son dispositif.

Tout a été dit à propos et sur la peine de mort. Oui, tout a été dit depuis Robespierre, Lamartine, Hugo ou Jaurès, au travers des écrits de Koestler, Camus ou Naud : la peine de mort est aux yeux de certains un mythe. Elle revêt un caractère quasi sacré. Elle entre très largement dans le domaine de l'irrationnel. Elle touche au plus profond de l'inconscient.

Tous les arguments ont été lancés pour l'abolition ou pour le maintien, et il n'est point nécessaire, à ce stade de la discussion et à ce degré d'information du législateur, de reprendre ce qui, à nos yeux, ne sert qu'à forger les alibis ou à conforter les convictions. Redisons cependant qu'aucune analyse, aucune étude, n'a démontré un lien entre exécutions et diminution de la criminalité, entre abolition et augmentation des taux de crimes commis dans tel ou tel pays.

L'exposé des motifs du projet se limite donc à quelques considérations fondamentales de principe.

Le projet de loi retient le principe d'une abolition définitive et générale. Dans tous les textes en vigueur prévoyant que la peine de mort est encourue, la référence à cette peine serait remplacée par la référence à la réclusion criminelle à perpétuité ou à la détention criminelle à perpétuité suivant la nature du crime concerné. Aurait pu se poser le problème du maintien éventuel de la peine de mort dans le Code de justice militaire ou en temps de guerre. Le Gouvernement a choisi avec raison de ne prévoir aucune exception. L'abolition répond à des raisons de principe sur lesquelles on ne peut transiger.

Ce texte bref revêt ainsi un caractère symbolique et le symbole n'a de force que s'il traduit une idée simple : nous voulons abolir la peine de mort.

Il ne s'agit pas d'entrer dans un autre débat qui toucherait à la hiérarchie des sanctions, qui modifierait l'échelle des peines ou qui viserait à rechercher l'efficacité de la peine d'emprisonnement infligée aux criminels en fonction de sa durée, de son mode d"exécution. L'occasion, nous en sommes persuadés, nous en sera donnée. Une commission a été mise en place par la Chancellerie. Elle a pour mission de présenter un rapport au Garde des Sceaux sur la remise en cause de la loi "Sécurité et liberté". Elle doit aller plus loin et présenter à l'opinion publique la conception de la nouvelle majorité présidentielle pour tout ce qui touche aux sanctions des violations de la loi.

Mais cette étape ultérieure ne peut être franchie que si se créent les conditions d'une vaste et large concertation, limitée dans le temps, mais permettant d'avoir une vision complète de ce que nous souhaitons pour la justice de notre pays, de ce que nous voulons inscrire dans notre arsenal pénal. Il n'y a pas de place aujourd'hui pour : "Je suis contre sauf" ou "Je suis contre mais". Il n'y a de place en vérité que pour l'examen de conscience auquel chacun doit se livrer et qui, tout logiquement, aboutit à une position, certes politique, mais en harmonie avec le cheminement des Français, de chacune et de chacun d'entre nous.

Que certains veuillent poser le problème de la peine de substitution ou de remplacement, cela est bien entendu leur droit, mais ils doivent comprendre qu'il ne saurait y avoir de marchandage à ce propos, qu'il ne peut y avoir de compromis et que la décision finale doit être le fruit d'une lucidité certaine et d'un courage évident. Affirmer cela, ce n'est pas refuser le débat, c'est simplement souligner que dans ce domaine comme dans d'autres, toute précipitation serait préjudiciable, toute adoption de dispositions qui n'entreraient pas dans le cadre d'une conception générale telle qu'elle se dégage des analyses qui ont été faites par les socialistes, par la majorité présidentielle d'aujourd'hui, risqueraient d'aboutir à un système qui apparaîtrait non viable après quelque temps.

Notre combat, sous cette forme, rejoint d'ailleurs celui mené par certains de nos collègues, et notamment par Philippe Séguin. Il m'a facilité la tâche parce que son rapport exhaustif est à la base de tous travaux sur ce sujet. Il a voulu faire oeuvre de synthèse, non seulement sur le plan historique, non seulement sur le plan argumentaire, mais aussi sur le plan politique. Son mérite est immense et il convient de lui rendre hommage pour ce qu'il a fait. Sa conception, partagée par d'autres, démontre à l'évidence que le problème de la peine de mort n'est pas un problème politique au sens traditionnel du terme, que cela n'est pas non plus un débat d'idées, que c'est au fond de soi-même que l'on doit seul réfléchir et décider.



EXAMEN EN COMMISSION



La Commission a été saisie sur le projet de loi d'une exception d'irrecevabilité (n° 1) ainsi que d'une question préalable (n° 1) présentées par M. Pascal Clément en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Charles Millon a indiqué que ces motions ayant été déposées à titre personnel par leur auteur, l'absence de celui-ci empêchait qu'elles pussent être soutenues.

La Commission a successivement repoussé l'exception d'irrecevabilité et la question préalable.


*

Prenant la parole dans la discussion générale, M. Philippe Séguin, après avoir remercié le Rapporteur des propos qu'il avait tenus à son égard, a observé que dans le débat qui allait s'instaurer sur l'abolition de la peine de mort, les députés de l'opposition se rattacheraient à l'une des trois catégories suivantes : celle des adversaires irréductibles de l'abolition ; celle des députés qui feront dépendre leur vote sur l'abolition du sort qui sera réservé aux amendements relatifs à la peine de substitution ; la troisième comprenant ceux qui, en tout état de cause, voteront le projet de loi. Indiquant qu'il se rattachait à cette dernière catégorie, M. Philippe Séguin a fait part de son intention de déposer néanmoins des amendements concernant l'échelle des peines, de façon notamment à ce que l'abolition de la peine de mort soit confortée en dépit de tout mouvement d'opinion.

M. Edmond Garcin, après avoir rappelé que son groupe avait proposé à plusieurs reprises dans le passé la suppression de la peine de mort, s'est déclaré en accord complet avec le projet de loi, estimant que les élus devaient accomplir le programme qu'ils avaient défendu en vue de leur élection. Il a évoqué plusieurs des arguments qui militent selon lui en faveur de l'abolition, et notamment celui qui touche au respect du droit à la vie et au risque toujours possible d'une erreur judiciaire.

M. Philippe Marchand a tout d'abord exprimé le souhait que le climat dans lequel se déroule le débat sur l'abolition en Commission soit également celui qui s'établira lors de la discussion en Assemblée. Il a rappelé la longue tradition à laquelle les socialistes étaient restés fidèles, avant de souligner que le vote de son groupe lui permettrait de tenir les engagements qui avaient été pris à l'égard des électeurs. Il a ajouté que le problème de la peine de substitution devait être envisagé dans le cadre de la réforme de l'échelle des peines, ainsi que de la refonte du Code pénal, pour lesquelles un temps de réflexion plus long lui paraît nécessaire.

M. Jean-Pierre Michel, se déclarant satisfait par le projet de loi, a souligné le caractère spécifique du débat sur l'abolition, celui-ci ne devant pas être déplacé sur le terrain d'une autre réforme - celle de l'échelle des peines - qui est attendue pour l'an prochain et qui nécessitera au préalable une longue consultation, notamment celle des représentants du personnel pénitentiaire. Estimant que l'abolition de la peine de mort constituait le préalable de la nécessaire réforme pénale, il a approuvé le choix qui avait été fait par le Gouvernement de déposer ce projet de loi avant de procéder à une large réforme du Code pénal.

M. Jacques Toubon a tout d'abord tenu à rappeler que d'autres candidats à la présidence de la République que le Chef de l'Etat avaient également marqué leur hostilité à la peine de mort. Se déclarant personnellement hostile à celle-ci, il a toutefois estimé que la définition d'une peine de remplacement serait la condition de son vote en faveur du projet de loi. Il a enfin émis le souhait que la Commission puisse entendre, avant de se prononcer, les représentants des personnels de l'administration pénitentiaire.

M. Georges Labazée, se félicitant du dépôt du projet de loi, a estimé que l'abolition de la peine de mort entraînerait une évolution de l'opinion publique à cet égard, la modification de l'échelle des peines ne pouvant être opérée que dans une seconde étape.

M.Charles Millon a évoqué tout d'abord le problème philosophique et moral de la peine de mort, qui est celui de la valeur de la vie humaine. En second lieu, sur le plan politique et social, il s'est interrogé sur le droit qui appartient à toute société de se défendre. Il a enfin montré que le débat sur l'abolition de la peine de mort avait un caractère historique, en ce qu'il permettait d'apprécier l'évolution de la société tout entière.

Mme Françoise Gaspard a insisté en premier lieu sur la nécessité de conserver la plus grande dignité à ce débat. Constatant l'isolement de la France et estimant que l'existence de la peine de mort est contradictoire avec la notion d'état de droit, elle a souligné l'effet historique de l'abolition en France, avant de rappeler qu'aucun Etat n'avait rétabli la peine de mort après l'avoir abolie.

Mme Gisèle Halimi s'est déclarée en accord avec Mme Françoise Gaspard sur l'appel à la dignité qu'elle avait formulé, montrant que des arguments d'ordre philosophique, ou moral, ou national, pouvaient, sur cette question, recouvrir des positions en réalité démagogiques inspirées par des préoccupations d'ordre électoral.

Dans ses réponses aux divers intervenants, le Rapporteur a notamment apporté les précisions suivantes :


- il a estimé que la consultation par la Commission des personnels de l'administration pénitentiaire devrait avoir lieu à l occasion de l'examen prochain des projets de réforme pénale
- il a souligné que de nombreux pays ayant aboli la peine de mort depuis fort longtemps n'avaient pas pour autant prévu de peine spécifique de remplacement, laissant jouer les modalités d'exécution des peines de réclusion perpétuelle ou à temps, qui prévoient la possibilité de libération conditionnelle du condamné au bout d'un certain nombre d'années;

- il a également rappelé que les études qui ont été faites ne permettent pas d'établir scientifiquement si la criminalité est ou non influencée par le maintien de la peine de mort au sommet de l'échelle des peines.


*


Après avoir décidé de ne pas procéder, sur le projet de loi en discussion, à l'audition des syndicats des personnels pénitentiaires, demandée par M. Jacques Toubon, la Commission est passée à l'examen des articles du projet de loi.

L'article premier (qui pose le principe de l'abolition de la peine de mort) a été adopté sans modification. Conformément à la proposition du Rapporteur, la Commission a repoussé un amendement présenté par M. Pierre-Charles Krieg qui, tout en maintenant le principe de la peine de mort, prévoyait que toute condamnation à mort serait commuée en réclusion criminelle à perpétuité ou en détention criminelle à perpétuité, cette peine n'étant susceptible d'aucune mesure gracieuse. L'auteur de l'amendement avait préalablement déclaré qu'il était personnellement partisan du maintien de la peine de mort.

Après l'article premier, la Commission a été saisie d'un amendement de M. Philippe Séguin qui a donné lieu à plusieurs interventions.

Présentant son amendement, qui vise à instituer au sommet de l'échelle des peines en matière criminelle une peine d'exclusion à vie, M. Philippe Séguin a déclaré qu'une décision du Parlement sur ce point, concomitante avec celle d'abolir la peine de mort, lui paraissait nécessaire pour garantir la pérennité de la décision d'abolition qui sera vraisemblablement adoptée. Il a souligné l'importance que pourrait avoir l'adoption d'une telle mesure vis-à-vis de l'opinion publique.

M. Jean-Pierre Michel a considéré en revanche que le projet de loi apportait une réponse suffisante en substituant la référence de la réclusion criminelle à perpétuité à celle de la peine de mort dans les textes en vigueur ; en ce qui concerne les modalités d'exécution de cette peine, actuellement à l'étude au sein d'une commission créée à l'initiative du Garde des Sceaux, il a considéré qu'elles n'entraient pas dans le cadre de la discussion du projet actuel. Il a toutefois souligné l'intérêt de l'idée de M. Philippe Séguin consistant à renvoyer devant un jury la décision sur la libération des condamnés aux peines les plus graves.

M. Jean-Pierre Worms a, contrairement à M. Philippe Séguin, estimé essentiel, pour que la décision à prendre soit bien perçue par l'opinion et entraîne une évolution des mentalités - seule vraie garantie, selon lui, contre un retour en arrière dans ce domaine - que soit modifié l'état d'esprit communément répandu attribuant à la peine de mort une valeur dissuasive et protectrice de la société. Il a également exprimé la crainte que l'institution d'une peine de substitution - en cas d'échec de celle-ci - ne facilite au contraire ce retour en arrière.

M. Alain Richard a rappelé qu'il souhaitait l'abolition de la peine de mort ainsi qu'un remodelage cohérent de l'échelle des peines. Il a précisé que le Gouvernement ayant choisi de manière symbolique de limiter l'objet du texte à l'abolition, le Parlement aurait nécessairement à se prononcer rapidement sur le sommet de l'échelle des peines. En conséquence il a déclaré qu'il ne voterait pas l'amendement de M. Philippe Séguin.

Après avoir souligné le caractère politique des raisons avancées par M. Philippe Séguin pour la défense de son amendement ainsi que la portée symbolique du contenu du projet de loi tel qu'il a été adopté par le Gouvernement, le Rapporteur a observé que l'amendement n'apportait pas de solution suffisante à la réforme d'ensemble du système pénal.

Conformément aux propositions du Rapporteur, la Commission a repoussé l'amendement de M. Séguin.

L'article 2 (remplacement de la peine de mort par la réclusion criminelle à perpétuité ou la détention criminelle à perpétuité) a été adopté sans modification, la Commission ayant décidé, après des observations de MM. Philippe Séguin, Jean Foyer et du Rapporteur, de réserver sa position sur un amendement - dont M. Philippe Séguin a annoncé le dépôt - tendant à prévoir qu'une loi ultérieure déterminerait les nouvelles modalités d'exécution des peines rendues nécessaires par l'application de l'article premier.

Après l'article 2, la Commission était saisie de deux amendements de M. Emmanuel Aubert.

Après avoir souligné la nécessité de ne pas éluder le problème de la dangerosité de certains criminels, M. Emmanuel Aubert a indiqué que ses amendements avaient pour objet de fixer une période de sûreté plus longue que celle actuellement prévue par le Code de procédure pénale à l'encontre de certains condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour crime de sang qui commettraient un autre crime particulièrement grave. Mais, compte tenu de la position prise par la Commission sur l'article 2, il a déclaré retirer ses amendements.

Puis les articles 3 (abrogation de divers articles du Code pénal et du Code de procédure pénale) et 4 (modification de l'article 7 du Code pénal) ont été adoptés sans modification.

A l'article 5 (abrogation des articles 336 et 337 du Code de justice militaire), M. Charles Millon a déclaré qu'il voterait contre cet article, la question de la peine de mort en matière militaire posant un problème politique qui ne lui paraît pas devoir recevoir nécessairement la même solution que celle prévue par les autres articles du projet de loi.

L'article 5 a été adopté sans modification ainsi que les articles 6 (modification de l'article 340 du Code de justice militaire) et 7 (application de la loi dans les T.O.M. et à Mayotte).


*



La commission des Lois vous demande d'adopter, sans modification, le texte du projet de loi (n° 310) portant abolition de la peine de mort.







Notes

(1) Cette Commission est composée de : MM. Raymond Forni, président; Edmond Garcin, François Massot, Alain Richard, vice-présidents; Mme Françoise Gaspard, MM. Philippe Marchand, Ernest Moutoussamy, secrétaires; Nicolas Alfonsi, Emmanuel Aubert, Jean-Marie Bockel, Gilbert Bonnemaison, Pierre Bourguignon, Maurice Briand, Alain Brune, Georges Bustin, Mme Denise Cacheux, MM. Jean-Marie Caro, Serge Charles, Gilles Charpentier, Pascal Clément, Bertrand Delanoë, Freddy Deschaux-Beaume, Guy Ducoloné, Marcel Esdras, Jacques Fleury, Jacques Floch, Jean Fontaine, Jean Foyer, Gérard Gouzes, Olivier Guichard, Mme Gisèle Halimi, MM. Alain Hautecoeur, Gérard Houteer, Pierre-Charles Krieg, Georges Labazée, Marc Lauriol, Daniel Le Meur, André Lotte, Louis Maisonnat, Raymond Marcellin, Pierre Messmer, Jean-Pierre Michel, Charles Millon, Michel d'Ornano, Roch Pidjot, Jean Poperen, Amédée Renault, Jacques Roger-Machart, René Rouquet, Roger Rouquette, Michel Sapin, Pierre Sauvaigo, Philippe Séguin, Maurice Sergheraert, Bernard Stasi, Michel Suchod, Pierre Tabanou, Jean Tiberi, Jacques Toubon, Claude Wolff, Jean-Pierre Worms, Jean Zuccarelli.
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