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Constatations du Comité des droits de l'homme - affaire Ng [Canada] - Opinions individuelles

CCPR/C/49/D/469/1991
constatations du 7 janvier 1994 - Comité des droits de l'homme
Pays :
[...]
Suite et fin des constatations du Comité des droits de l'homme sur l'affaire Ng - 1993

APPENDICE*
Opinions individuelles, présentées conformément au paragraphe 3 de l'article 94 du règlement intérieur du Comité des droits de l'homme, concernant les constatations du Comité relatives à la communication No 469/1991 (Charles Chitat Ng c. Canada)


A. Opinion individuelle de M. Fausto Pocar (partiellement dissidente, partiellement concordante et développant les motifs)




Je ne peux souscrire à la constatation du Comité qui a conclu qu'en l'espèce il n'y avait pas eu violation de l'article 6 du Pacte. À mon avis, il faut répondre par l'affirmative à la question de savoir si, du fait que le Canada a aboli la peine capitale sauf pour certaines infractions militaires, les autorités canadiennes auraient dû refuser l'extradition ou obtenir des États-Unis l'assurance que la peine de mort ne serait pas infligée à M. Charles Chitat Ng.

En ce qui concerne la peine de mort, on se souviendra que, bien que l'article 6 du Pacte ne prescrive pas catégoriquement l'abolition, il impose un ensemble d'obligations aux États parties qui ne l'ont pas encore abolie. Comme le Comité l'a souligné dans son observation générale 6 (16), "d'une manière générale, l'abolition est évoquée dans cet article en des termes qui suggèrent sans ambiguïté que l'abolition est souhaitable". En outre, il ressort clairement des paragraphes 2 et 6 de l'article 6 que - dans certaines limites et en vue de son abolition future - la peine capitale est tolérée dans les États parties qui ne l'ont pas encore abolie, mais ces dispositions ne doivent en aucun cas être interprétées comme autorisant un État partie à retarder l'abolition de la peine de mort ou, à fortiori, à en élargir la portée, à l'introduire, ou à la rétablir. En conséquence, l'État partie qui a aboli la peine de mort a l'obligation légale, conformément à l'article 6 du Pacte, de ne pas la rétablir. Cette obligation concerne à la fois le rétablissement direct de la peine de mort sur le territoire de l'État en question et son rétablissement indirect, comme c'est le cas lorsque l'État agit de telle façon - par exemple en prenant une mesure d'extradition, d'expulsion ou de rapatriement forcé - qu'une personne se trouvant sur son territoire et soumise à sa juridiction risque la peine capitale dans un autre État. J'en conclus donc que, dans le cas considéré, il y a eu violation de l'article 6 du Pacte.

Au sujet des allégations de violation de l'article 7, je pense comme le Comité qu'il y a eu violation du Pacte, mais pour des motifs différents. Je souscris à l'observation du Comité qui note que "par définition, toute exécution d'une sentence de mort peut être considérée comme constituant un traitement cruel et inhumain au sens de l'article 7 du Pacte". Par conséquent, toute violation de l'article 6, qui peut autoriser un tel traitement, dans certaines circonstances, entraîne nécessairement, et indépendamment du mode d'exécution, une violation de l'article 7 du Pacte. C'est pour cette raison que je conclus qu'en l'espèce il y a eu violation de l'article 7 du Pacte.

[Original : anglais]



B. Opinion individuelle de MM. A. Mavrommatis et W. Sadi (dissidente)




Nous ne pensons pas que, sur la foi des documents dont nous sommes saisis, l'exécution par gaz asphyxiant pourrait constituer un traitement cruel et inhumain au sens de l'article 7 du Pacte. Un mode d'exécution comme la lapidation, qui vise à infliger des douleurs et des souffrances prolongées et qui a effectivement ce résultat, est contraire à l'article 7.

Chacune des méthodes connues d'exécution judiciaire utilisées aujourd'hui, y compris l'exécution par injection d'un produit mortel, a été stigmatisée au motif qu'elle cause des souffrances prolongées ou que l'intervention doit être répétée. Nous ne pensons pas que le Comité doive entrer dans le détail, s'agissant d'exécution, et déterminer si une souffrance intense mais brève est préférable à une souffrance moins intense mais plus longue, et utiliser ce critère pour constater une violation du Pacte.

[Original : anglais]



C. Opinion individuelle de M. Rajsoomer Lallah (dissidente)




Pour les raisons que j'ai déjà données dans mon opinion individuelle portant sur l'affaire J. J. Kindler c. Canada (communication No 470/1991) en ce qui concerne les obligations du Canada en vertu du Pacte, je conclus qu'il y a eu violation de l'article 6 du Pacte. Ne serait-ce que pour cette seule raison, l'article 7 a aussi, à mon avis, été violé.

Même à ce stade, le Canada ne devrait épargner aucun effort pour offrir un recours en faisant les démarches appropriées de façon à garantir que, s'il était reconnu coupable et condamné à mort, l'auteur ne serait pas exécuté.

[Original : anglais]



D. Opinion individuelle de M. Bertil Wennergren (partiellement dissidente, partiellement concordante)




Je ne souscris pas aux constatations du Comité qui a conclu à une non-violation de l'article 6 du Pacte, comme il est exposé aux paragraphes 15.6 et 15.7 des constatations. Pour des raisons que j'ai développées en détail dans mon opinion individuelle concernant les constatations du Comité relatives à la communication No 470/1991 (Joseph John Kindler c. Canada), à mon avis le Canada a bien commis une violation du paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte en acceptant d'extrader M. Ng vers les États-Unis sans avoir obtenu l'assurance que, s'il était reconnu coupable et condamné à mort, il ne serait pas exécuté.

En revanche, je partage la conclusion du Comité, exposée aux paragraphes 16.1 à 16.5, que le Canada ne s'est pas acquitté de ses obligations en vertu du Pacte en extradant M. Ng vers les États-Unis où, s'il était condamné à mort, il serait exécuté selon une méthode qui constitue une violation de l'article 7. À mon avis, l'article 2 du Pacte fait au Canada obligation non pas simplement de demander l'assurance que M. Ng ne sera pas exécuté mais aussi, s'il décidait néanmoins d'extrader M. Ng sans demander ces garanties, comme tel a été le cas, de veiller à tout le moins à obtenir l'assurance que le mode d'exécution ne serait pas l'asphyxie par le gaz de cyanure.

Le paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte permet aux tribunaux des pays qui n'ont pas aboli la peine de mort de prononcer cette peine si l'individu en cause a été reconnu coupable d'un crime des plus graves, et de faire exécuter la peine. Cette exception au paragraphe 1 de l'article 6 ne s'applique qu'à l'égard de l'État partie en question et non à l'égard d'autres États parties au Pacte. Elle ne s'appliquait donc pas au Canada puisqu'il s'agissait d'une exécution aux États-Unis.

Par définition, toute forme de privation de la vie est inhumaine. Dans la pratique toutefois, certaines méthodes d'exécution ont été reconnues d'un commun accord comme acceptables. L'asphyxie par le gaz ne figure certainement pas parmi les méthodes acceptables. Les opinions demeurent toutefois divergentes à ce sujet. Le 21 avril 1992, la Cour suprême des États-Unis a refusé à un condamné le sursis à exécution par gaz asphyxiant en Californie, par sept voix contre deux. L'un des juges favorables au sursis, le juge John Paul Stevens, a écrit :

"L'usage barbare du gaz de cyanure pendant l'Holocauste, la mise au point d'agents au cyanure en tant qu'armes chimiques, notre philosophie contemporaine de l'exécution par gaz mortel et la mise au point de méthodes d'exécution moins cruelles sont autant d'éléments qui prouvent que l'asphyxie par le gaz de cyanure est une méthode inutilement cruelle. Étant donné tout ce que nous savons des souffrances extrêmes et inutiles infligées par l'exécution au gaz de cyanure."

Le juge Stevens a conclu que la requête du condamné était fondée.

À mon avis, les considérations qui précèdent résument de façon très convaincante les raisons pour lesquelles l'asphyxie par le gaz doit être considérée comme une peine cruelle et inusitée, qui représente une violation de l'article 7. Qui plus est, en août 1992, l'État de Californie a promulgué un texte législatif permettant à tout condamné à mort de choisir l'injection d'un produit mortel comme méthode d'exécution, au lieu de la chambre à gaz. Ce texte est entré en vigueur le 1er janvier 1993. Deux exécutions par gaz mortel ont eu lieu en 1992, à peu près un an après l'extradition de M. Ng. En modifiant ainsi sa législation, la Californie a rejoint 22 autres États des États-Unis. Toutefois, l'objectif de cet amendement législatif n'était pas de supprimer une peine jugée cruelle et inusitée, mais d'empêcher les recours de dernière minute formés par des condamnés qui pourraient arguer de la cruauté de l'exécution par asphyxie. Non que je considère comme acceptable l'exécution par injection d'un produit mortel du point de vue humain, mais au moins ne s'agit-il pas d'une méthode d'exécution inutilement cruelle et inhumaine, contrairement à l'asphyxie par le gaz. En extradant M. Ng vers les États-Unis (vers l'État de Californie), où il risque de subir une telle peine, le Canada ne s'est pas acquitté de son obligation de protéger M. Ng contre une peine cruelle et inhumaine. Et de plus, il l'a extradé sans chercher àobtenir l'assurance qu'il ne serait pas exécuté par la seule méthode appliquée dans l'État de Californie au moment matériel de l'extradition.

[Original : anglais]


E. Opinion individuelle de M. Kurt Herndl (dissidente)




1. Tout en approuvant la conclusion du Comité selon laquelle il n'y a pas eu en l'espèce violation de l'article 6 du Pacte, je ne partage pas l'opinion de la majorité des membres qui considèrent qu'il a pu y avoir violation de l'article 7. En réalité, je ne partage aucunement la conclusion selon laquelle, comme la majorité des membres du Comité l'affirme au paragraphe 16.4 des constatations, "le Canada, qui pouvait raisonnablement prévoir que M. Ng, s'il était condamné à mort, serait exécuté par un moyen qui représente une violation de l'article 7 du Pacte, a manqué à ses obligations en vertu du Pacte en extradant M. Ng sans avoir demandé et reçu l'assurance qu'il ne serait pas exécuté".

2. Les raisons de mon désaccord sont les suivantes :

M. Ng ne peut pas être considéré comme "victime" au sens de l'article premier du Protocole facultatif

3. Dans la décision concernant la recevabilité (prise le 28 octobre 1992), la question de savoir si M. Ng pouvait être considéré ou non comme une victime a été laissée en suspens. Dans cette décision, le Comité a fait observer que, conformément à l'article premier du Protocole facultatif, il était habilité seulement à recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de la juridiction d'un État partie au Pacte et au Protocole facultatif "qui prétendent être victimes d'une violation, par cet État partie, de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte". En l'espèce, le Comité a conclu que seul l'examen quant au fond des circonstances dans lesquelles la procédure d'extradition, avec tous ses effets, avait été appliquée lui permettrait de déterminer si l'auteur est victime d'une violation au sens de l'article premier du Protocole facultatif. En conséquence, il a estimé qu'il était approprié d'examiner conjointement la question de savoir si l'auteur était victime, et le fond de l'affaire. Jusque-là, je n'ai pas d'objection.

4. Dans ses constatations, toutefois, le Comité ne se penche plus sur la question de savoir si M. Ng est victime. À cet égard, le raisonnement ci-après doit être fait.

5. Pour ce qui est de la notion de victime, le Comité, dans les décisions qu'il a adoptées récemment, a toujours rappelé sa jurisprudence, fondée sur la décision concernant la recevabilité dans l'affaire E. W. et consorts c. Pays-Bas (communication No 429/1990), dans laquelle il a déclaré la communication irrecevable en vertu du Protocole facultatif. Dans l'affaire mentionnée, le Comité a déclaré "toute personne qui se prétend victime de la violation d'un droit protégé par le Pacte doit démontrer soit qu'un État partie a, par action ou par omission, déjà porté atteinte à l'exercice de son droit, soit qu'une telle atteinte est imminente".

6. Dans l'affaire John Kindler c. Canada (communication No 470/1991), le Comité, dans sa décision concernant la recevabilité (prise le 31 juillet 1992), a élaboré quelque peu sur la notion de victime en déclarant que l'État partie n'est manifestement pas tenu de garantir les droits des personnes dans une autre juridiction, mais que si un État partie prend une décision concernant une personne sous sa juridiction, dont la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de cette personne en vertu du Pacte seront violés sous une autre juridiction, l'État partie lui-même peut violer le Pacte. À titre d'illustration, le Comité a mentionné l'exemple d'un État partie qui remettrait une personne à un autre État... "où un traitement contraire au Pacte est certain ou constitue le but même de la remise de cette personne" (par. 6.4). Dans sa décision ultérieure quant au fond de l'affaire Kindler (prise le 30 juillet 1993), le Comité a introduit la notion de "risque réel". Il a déclaré : "Si un État partie procède à l'extradition d'une personne relevant de sa juridiction dans des circonstances telles qu'il en résulte un risque réel pour que les droits de l'intéressé au regard du Pacte soient violés dans une autre juridiction, l'État partie lui-même peut être coupable d'une violation du Pacte" (par. 13.2).

7. Dans le cas de M. Ng, aucun de ces critères ne sont apparemment applicables : rien ne permet d'affirmer que la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (au sens de l'article 7 du Pacte) seraient une conséquence nécessaire et prévisible de l'extradition de M. Ng, ni qu'il y aurait un risque réel que de tels traitements soient infligés.

8. M. Ng est accusé en Californie de 19 infractions pénales, notamment d'enlèvements et de 12 meurtres, commis en 1984 et 1985. Toutefois, il n'a été jusqu'à présent ni jugé, ni reconnu coupable, ni condamné. S'il était reconnu coupable, il pourrait encore faire divers recours contre la condamnation et le verdict auprès des instances californiennes et fédérales, en allant même jusqu'à saisir la Cour suprême des États-Unis. En outre, étant donné la nature des crimes dont M. Ng est inculpé, rien ne prouve au stade actuel que la peine capitale sera prononcée, un recours pour insanité pouvant être introduit et pouvant aboutir.

9. Dans une opinion individuelle cosignée concernant la décision de recevabilité d'une communication analogue (non encore rendue publique), plusieurs membres du Comité, dont moi-même, avons de nouveau souligné que la violation qui toucherait personnellement l'auteur dans une autre juridiction devait être une conséquence nécessaire et prévisible de l'acte de l'État défendeur. Dans cette affaire, l'auteur n'ayant pas été jugé et, à fortiori, n'ayant pas été reconnu coupable, ni condamné à la peine capitale, les membres du Comité, dans leur opinion dissidente, ont estimé que les critères n'avaient pas été remplis.

10. Compte tenu de ce qui précède, les mêmes considérations s'appliqueraient au cas de M. Ng, qui, en conséquence, ne peut pas être considéré comme victime au sens de l'article premier du Protocole facultatif.

Il n'existe pas d'élément vérifié permettant de conclure que l'exécution par gaz asphyxiant constituerait en elle-même une violation de l'article 7 du Pacte

11. La majorité des membres du Comité considèrent que l'exécution judiciaire par gaz asphyxiant, si la peine capitale était appliquée à M. Ng, ne répondrait pas au critère selon lequel l'exécution doit se faire "de manière à causer le moins de souffrances possible, physiques ou mentales" et qu'elle constituerait en conséquence un traitement cruel et inhumain, en violation de l'article 7 du Pacte (par. 16.4). La majorité des membres du Comité tente ainsi d'établir une distinction entre les diverses méthodes d'exécution.

12. La raison avancée pour affirmer que la méthode particulière d'exécution actuellement appliquée en Californie ne répondrait pas au critère susmentionné selon lequel l'exécution doit se faire de manière à causer "le moins de souffrances possible, physiques ou mentales", qui est la seule raison donnée pour affirmer qu'il y a eu violation de l'article 7, est que "l'exécution par gaz asphyxiant peut provoquer des souffrances et une agonie prolongées et n'entraîne pas la mort aussi rapidement que possible, puisque l'asphyxie par le gaz de cyanure peut prendre plus de 10 minutes" (par. 16.3).

13. Aucune preuve scientifique ou autre n'est citée à l'appui de cette affirmation. Le soin d'apporter de telles preuves est laissé à l'État partie qui, de l'avis de la majorité des membres, avait la possibilité de réfuter les allégations de l'auteur concernant les faits, mais ne l'a pas fait. Ce raisonnement est entièrement injustifié.

14. Comme on le constatera d'après le résumé analytique concernant l'affaire, les observations du Gouvernement canadien sur la question de "la peine de mort conçue comme une violation de l'article 7" occupe plus de deux pages et demie. Dans ces observations, le Gouvernement canadien déclare notamment :

"S'il est possible que certains modes d'exécution violent le Pacte, il est loin de ressortir clairement, à l'examen du texte du Pacte et des observations et de la jurisprudence du Comité, où, dans l'éventail, se trouve le point séparant les modes d'exécution judiciaire qui violent l'article 7 de ceux qui ne le violent pas."

15. Cet argument correspond à l'opinion de Cherif Bassiouni qui, dans son analyse des traitements qui pourraient constituer une peine cruelle et inusitée, en arrive à la conclusion suivante :

"Les théories en matière de criminologie et les normes de traitement des délinquants diffèrent si largement d'un pays à l'autre qu'il n'existe pas de norme unique ... l'interdiction des peines cruelles et inusitées peut être considérée comme constituant un principe général de droit international, car elle est considérée comme telle dans les systèmes judiciaires des nations civilisées, mais ce seul fait ne lui confère pas un contenu suffisamment défini donnant lieu à des applications précises dépassant le simple cadre de la reconnaissance générale."(a)

16. Dans ses observations, le Gouvernement canadien souligne en outre "qu'aucun mode actuellement utilisé aux États-Unis est d'une nature telle qu'il viole le Pacte ou quelque autre norme du droit international. En particulier, rien n'indique que l'asphyxie par le cyanure gazeux, le mode d'exécution judiciaire auquel il est recouru dans l'État de Californie, soit contraire au Pacte ou au droit international". Enfin, le Gouvernement canadien a indiqué qu'il avait examiné le mode d'exécution "à la lumière de ses effets sur Ng selon les faits qui lui sont particuliers" et qu'il en était arrivé à la conclusion selon laquelle "il n'existe aucun fait relativement à Ng qui lui permette d'échapper au principe d'application générale exposé". À cet égard, il s'est référé explicitement aux garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, adoptées par le Conseil économique et social dans sa résolution 1984/50 du 25 mai 1984 et approuvées par l'Assemblée générale dans sa résolution 39/118 du 14 décembre 1984. Le Gouvernement canadien a ainsi clairement tenu compte d'un certain nombre d'éléments importants dans l'analyse qu'il a effectuée pour déterminer si le mode d'exécution en Californie pouvait constituer un traitement inhumain ou dégradant.

17. Il ressort également de ce qui précède que l'État défendeur a examiné toute la question en profondeur et ne l'a pas traitée superficiellement comme le Comité le laisse entendre au paragraphe 16.3 de ses constatations. L'auteur et son conseil en étaient parfaitement conscients. Déjà, dans une lettre du 26 octobre 1989 adressée au conseil de l'auteur, le Ministre de la justice du Canada déclarait ce qui suit :

"Vous avez affirmé que la méthode d'exécution employée en Californie était cruelle et inhumaine en elle-même. J'ai examiné cette question. La méthode d'exécution appliquée en Californie est employée depuis plusieurs années et a été acceptée par les tribunaux des États-Unis."

18. Outre les considérations ci-dessus qui, à mon avis, prouvent qu'il n'existe pas de norme reconnue ou fondée sur une étude scientifique pour affirmer que l'exécution judiciaire par gaz asphyxiant est une méthode plus cruelle et inhumaine que d'autres méthodes, la requête adressée par le conseil de l'auteur à la Cour suprême du Canada (avant l'extradition de Ng) et, dont le Comité a pris connaissance, pour que l'exécution se fasse par injection d'un produit mortel (plutôt que par un gaz mortel) a une signification évidente.

19. Le Comité fait observer dans ses constatations (par. 15.3) - et il a également affirmé dans l'affaire Kindler (par. 6.4) - que l'imposition de la peine capitale (même si je considère personnellement que celle-ci est en elle-même regrettable à tous points de vue et manifestement contraire aux principes fondamentaux de la morale et de l'éthique appliqués dans l'ensemble des pays d'Europe et dans d'autres parties du monde) était encore légalement autorisée en vertu du Pacte. Logiquement, il doit en conséquence exister des méthodes d'exécution qui soient compatibles avec le Pacte. Bien que toute exécution judiciaire doive causer le moins de souffrances possible, physiques ou mentales, (voir l'observation générale 20 (44) du Comité sur l'article 7 du Pacte), la souffrance physique et mentale est inévitablement l'une des conséquences de l'imposition d'une sentence de mort et de son exécution. Il est inutile d'essayer de classer les méthodes d'exécution judiciaire en diverses catégories, du moment que ces méthodes ne sont pas manifestement arbitraires et radicalement contraires aux valeurs morales de la société démocratique et qu'elles sont définies dans une législation d'application générale adoptée démocratiquement, de même qu'il est inutile de tenter de quantifier les souffrances de tout être humain soumis à la peine capitale. À cet égard, je souhaite également me référer aux arguments avancés au paragraphe 9 de l'opinion individuelle formulée conjointement par M. Waleed Sadi et moi-même dans l'affaire Kindler (décision du 30 juillet 1993, appendice).

20. Je partage donc en toute logique les opinions individuelles formulées par un certain nombre de membres du Comité et figurant à l'appendice du présent document. Ces membres concluent que le Comité ne doit pas entrer dans le détail, s'agissant d'exécution, et s'interroger pour savoir s'il est préférable d'infliger une souffrance intense mais brève ou une souffrance moins intense mais plus longue et si ces considérations peuvent constituer un critère pour conclure à une violation du Pacte.

21. À mon avis, la conclusion du Comité selon laquelle la méthode particulière d'exécution judiciaire appliquée en Californie équivaut à un traitement cruel et inhumain et que, de ce fait, le Canada a violé l'article 7 du Pacte en extradant M. Ng aux États-Unis, est en conséquence dénuée de fondement.

En l'espèce, l'État défendeur, le Canada, a fait tout son possible pour respecter ses obligations en vertu du Pacte

22. Il convient d'apporter une dernière précision à propos des obligations du Canada en vertu du Pacte.

23. Bien que l'évolution récente de la jurisprudence des organes internationaux chargés de veiller à ce que les autorités nationales respectent pleinement les droits fondamentaux des individus indique que ces organes assument un rôle de surveillance accru (voir par exemple la décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Soering, paragraphe 85, et également, dans ce contexte, les observations sur la notion élargie de "victime" évoquée au paragraphe 6 ci-dessus), la question de la mesure dans laquelle, s'agissant d'extradition, un État partie à un instrument international relatif aux droits de l'homme doit tenir compte de la situation dans l'État de destination reste un sujet de discussion. C'est pourquoi je souhaite réitérer l'avis que j'ai émis conjointement avec M. Waleed Sadi dans notre opinion individuelle concernant l'affaire Kindler (décision du 30 juillet 1993, appendice). Les mêmes considérations s'appliquent dans la présente affaire.

24. Nous avons fait observer, au paragraphe 5 de notre opinion individuelle conjointe, qu'étant donné que les allégations de l'auteur concernaient des violations hypothétiques de ses droits par les États-Unis (après que la légalité de l'extradition de l'auteur eut été vérifiée par les tribunaux canadiens et confirmée par la Cour suprême du Canada), une responsabilité déraisonnable avait été imposée au Canada en demandant à ce pays de défendre, d'expliquer ou de justifier devant le Comité le système d'administration de la justice des États-Unis. Je continue à penser que cette exigence est déraisonnable. Tant au niveau judiciaire qu'au niveau de la procédure administrative, le Canada a accordé à tous les aspects de l'affaire concernant M. Ng l'attention qu'ils méritaient, compte tenu de ses obligations en vertu du Pacte. Il s'est acquitté raisonnablement et en bonne foi des obligations qui incombent à tout État partie.

[Original : anglais]


Note


a Cherif Bassiouni, International Extraditio and World Public Order (Dobbs Ferry, Leyden, 1974), p. 465.



F. Opinion individuelle de M. Nisuke Ando (dissidente)






Je ne peux pas souscrire aux constatations du Comité qui a conclu que "l'asphyxie par le gaz de cyanure ... ne répondrait pas au critère selon lequel l'exécution doit se faire 'de manière à causer le moins de souffrances possible, physiques ou mentales' et qu'elle constitue un traitement cruel et inhumain, en violation de l'article 7 du Pacte" (par. 16.4). De l'avis du Comité "l'auteur a fourni des renseignements détaillés d'où il ressort que l'exécution par gaz asphyxiant peut provoquer des souffrances et une agonie prolongées et n'entraîne pas la mort aussi rapidement que possible, puisque l'asphyxie par le gaz de cyanure peut prendre plus de 10 minutes" (par. 16.3). Ainsi il semble que la rapidité de la mort soit le critère précis qui a guidé le Comité pour conclure que l'exécution par le gaz de cyanure représentait une violation de l'article 7.

Dans un grand nombre d'États parties au Pacte qui n'ont pas aboli la peine de mort, d'autres méthodes d'exécution sont utilisées comme la pendaison, la fusillade, la chaise électrique ou l'injection de produits mortels. Selon les méthodes, la mort survient plus rapidement ou moins rapidement qu'avec l'asphyxie. Toutefois je me demande si, indépendamment de la nature et de l'intensité des souffrances infligées au condamné, toutes les méthodes qui entraînent la mort au bout de plus de 10 minutes constituent une violation de l'article 7 et toutes celles qui entraînent la mort en moins de 10 minutes sont compatibles avec cet article. Autrement dit, j'estime que les critères à retenir pour déterminer que des souffrances sont tolérables au regard de l'article 7 ne doivent pas être exclusivement la rapidité de la mort.

L'expression "le moins de souffrances possible, physiques ou mentales" est tirée de l'Observation générale du Comité consacrée à l'article 7 [observation générale 20 (44)] selon laquelle la peine de mort doit être "exécutée de manière à causer le moins de souffrances possible, physiques ou mentales". Cette affirmation implique en fait qu'il n'existe pas de méthode d'exécution qui n'entraîne aucune souffrance physique ou mentale et que toute méthode d'exécution cause nécessairement une certaine dose de souffrances.

Je dois reconnaître toutefois qu'il m'est impossible de déterminer quelles sortes de souffrance l'article 7 permet et quel degré de souffrance il ne permet pas. Je suis totalement incapable de proposer un critère absolu pour déterminer l'ampleur des souffrances tolérées par l'article 7. Ce que je peux dire c'est que l'article 7 interdit toute méthode d'exécution qui vise à prolonger les souffrances du condamné ou à lui causer des douleurs inutiles. Comme je ne pense pas que la méthode de l'asphyxie par le gaz soit appliquée avec cette intention, je ne peux souscrire aux constatations du Comité qui a conclu que l'exécution par gaz asphyxiant constituait une violation de l'article 7 du Pacte.

[Original : anglais]



G. Opinion individuelle de M. Francisco José Aguilar Urbina (dissidente)




L'extradition et la protection accordée par le Pacte


1. En analysant le rapport entre le Pacte et l'extradition, je ne peux souscrire à l'opinion du Comité selon laquelle "l'extradition en tant que telle ne relève pas du domaine d'application du Pacte" (constatations, par. 6.1). J'estime qu'il est hasardeux - voire dangereux pour le plein exercice des droits consacrés par le Pacte - de formuler une telle affirmation. Le Comité se fonde en cela sur ses conclusions concernant l'affaire Kindler, selon lesquelles il ressort des travaux préparatoires que "l'article 13 du Pacte, qui prévoit des droits spécifiques en ce qui concerne l'expulsion des étrangers se trouvant légalement dans le territoire d'un État partie, ne vise pas à s'écarter des arrangements normaux d'extradition" (a). En premier lieu, il faut bien voir que même si, prise au sens large, l'extradition pourrait constituer une forme d'expulsion, au sens strict, elle relèverait davantage des procédures régies par l'article 14 du Pacte. Les procédures d'extradition d'un individu vers un État requérant diffèrent certes d'un pays à l'autre, mais on peut toutefois - grosso modo - les classer en trois grandes catégories : a) procédure judiciaire pure, b) procédure exclusivement administrative, c) procédure mixte avec intervention du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif. Le Canada applique la troisième formule. Ce qui est important toutefois c'est que les autorités chargées d'examiner la demande d'extradition représentent, au moins dans le cas d'espèce, un "tribunal" qui applique une procédure devant être conforme aux dispositions du Pacte, en particulier à son article 14.

2.1 Il est assez logique que les rédacteurs du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n'aient pas prévu l'extradition dans les cas visés à l'article 13. Ce n'est pas une raison pour affirmer que leur intention était de laisser les procédures d'extradition en dehors de la protection accordée par le Pacte. Ce qui se passe en réalité c'est que la définition juridique de l'extradition n'entre pas dans le cadre des cas visés à l'article 13. À mon avis la différence essentielle réside dans le fait que cette disposition vise exclusivement l'expulsion de l'étranger "qui se trouve légalement sur le territoire d'un État partie".

2.2 L'extradition est une forme d'"expulsion" qui dépasse celle qui est prévue dans cette disposition. Premièrement, l'extradition est une procédure spécifique alors que l'article 13 énonce une règle générale; toutefois, l'article 13 stipule seulement que l'expulsion doit faire l'objet d'une décision prise conformément à la loi et - s'il y a des raisons impérieuses de sécurité nationale - cette disposition permet que l'étranger ne soit pas entendu par l'autorité compétente et que son cas ne puisse être réexaminé. Deuxièmement, alors que l'expulsion représente une décision unilatérale d'un État, fondée sur des raisons qui appartiennent à cet État seul - à condition qu'elles ne soient pas contraires à ses obligations internationales, comme celles qui découlent du Pacte -, l'extradition se fonde sur la requête d'un autre État. Troisièmement, l'article 13 vise exclusivement les étrangers qui se trouvent sur le territoire d'un État partie au Pacte, alors que l'extradition peut porter sur des étrangers aussi bien que sur des nationaux; même, s'agissant de l'expulsion en général (et non à la suite d'une décision d'extradition), le Comité a estimé que l'expulsion de nationaux (par exemple l'exil) était contraire à l'article 12, et c'est dans le cadre de cet article que le Comité a examiné la question (b). Quatrièmement, l'article 13 vise les personnes qui se trouvent légalement sur le territoire d'un pays. Les personnes qui font l'objet d'une mesure d'extradition ne se trouvent pas nécessairement sur le territoire du pays de façon licite; tout au contraire - surtout si l'on tient compte du fait qu'en vertu de l'article 13 la question de la légalité du séjour reste du ressort de la législation nationale -, très souvent les personnes qui font l'objet d'une procédure d'extradition sont entrées illégalement sur le territoire de l'État auquel ils sont réclamés; tel est le cas de l'auteur de la communication.

3. Si l'extradition ne peut pas être considérée comme une forme d'expulsion au sens de l'article 13, cela ne veut pas dire pour autant qu'elle soit exclue du champ d'application du Pacte. L'extradition doit être strictement conforme, et dans tous les cas, aux règles prévues dans le Pacte. Ainsi, la procédure d'extradition doit respecter les garanties judiciaires telles qu'elles sont énoncées à l'article 14 et de plus ses conséquences ne doivent pas entraîner une violation d'une quelconque autre disposition. Ainsi, un État ne peut prétendre que l'extradition n'entre pas dans le champ d'application du Pacte afin de se soustraire à la responsabilité qui lui incomberait du fait de l'absence de protection de la victime éventuelle sur un territoire étranger.


L'extradition de l'auteur vers les États-Unis d'Amérique


4. En l'espèce, le Canada a extradé l'auteur de la communication vers les États-Unis d'Amérique où il doit répondre de 19 chefs d'inculpation, dont 12 meurtres. Il faut déterminer - comme l'a indiqué le Comité dans sa décision sur la recevabilité de la communication - si le Canada, en accordant l'extradition de M. Ng, a exposé celui-ci, de façon nécessaire et prévisible, à une violation de l'article 6 du Pacte.

5. L'État partie lui-même a indiqué que "l'auteur ne saurait être considéré comme une victime au sens du Protocole facultatif, puisque ses allégations se fondent sur des conjectures concernant l'éventualité d'événements futurs, qui ne se réaliseront pas nécessairement et qui dépendent de la législation des États-Unis et de décisions des autorités de ce pays" (constatations, par. 4.2). Il est certes impossible de prédire l'avenir, mais il faut comprendre que la qualification de victime dépend du caractère prévisible de l'événement - c'est-à-dire de la possibilité, induite par la simple logique, que l'événement se produise, sauf si des circonstances exceptionnelles l'empêchent de survenir - ou du caractère nécessaire - c'est-à-dire de l'inéluctabilité de l'événement, en l'absence de circonstances exceptionnelles qui l'empêcheraient de se produire. Le Comité lui-même, en concluant à une violation par le Canada de l'article 7 (constatations, par. 17), a conclu que l'exécution de l'auteur de la communication sera nécessaire et prévisible. C'est pourquoi je n'aborderai pas la question du caractère nécessaire et prévisible et je me contenterai de souscrire aux constatations de la majorité.

6. En ce qui concerne les "circonstances exceptionnelles" évoquées par l'État partie (constatations, par. 4.4), l'aspect le plus important est révélé par l'État partie lui-même, qui affirme qu'elles se rapportent à l'application de la peine de mort. À mon avis, l'essentiel est le lien entre l'application de la peine de mort et la protection de la vie des personnes qui se trouvent sous la juridiction de l'État canadien. Pour ces personnes, la peine capitale constitue à elle seule une "circonstance spéciale". Pour cette raison - et vu qu'il apparaît que la peine de mort sera appliquée nécessairement et de façon prévisible - le Canada aurait dû demander l'assurance que Charges Chitat Ng ne serait pas exécuté.

7. Le problème que pose l'extradition sans demande de garanties de l'auteur de la communication vers les États-Unis est qu'il a ainsi été privé de l'exercice de ses droits conformément au Pacte. Si le paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte n'interdit pas la peine de mort, on ne saurait l'interpréter comme l'autorisant sans restriction. Tout d'abord, il faut l'interpréter à la lumière du paragraphe 1 de l'article 6 qui proclame que "le droit à la vie est inhérent à la personne humaine" : c'est un droit absolu qui ne souffre aucune exception. En deuxième lieu, ce paragraphe impose aux États qui n'ont pas aboli la peine de mort une limite à son application : elle ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves. Pour ceux qui l'ont abolie, ce paragraphe représente une barrière infranchissable. L'esprit de l'article 6 est d'éliminer la peine de mort comme sanction, et les limites qu'il impose ont un caractère absolu.

8. Ainsi, en pénétrant sur le territoire canadien, M. Ng jouissait déjà d'un droit sans restriction à la vie. En l'extradant sans avoir demandé l'assurance qu'il ne serait pas exécuté, le Canada l'a privé de la protection dont il bénéficiait et l'a exposé de façon nécessaire et prévisible à être exécuté, ainsi que le Comité en a émis l'opinion, à laquelle je souscris dans ce sens. Le Canada a donc commis une violation de l'article 6 du Pacte.

9. Par ailleurs, étant donné que le Canada a donné une interprétation fausse au paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il se pose la question de savoir s'il a également violé l'article 5 (plus précisément son paragraphe 2). Le Gouvernement canadien a interprété le paragraphe 2 de l'article 6 comme autorisant la peine de mort. Pour cette raison, il a estimé que l'extradition de M. Charles Chitat Ng, même s'il est exposé de façon nécessaire à être condamné à mort et de façon prévisible à être exécuté, ne serait pas interdite par le Pacte puisque cet instrument autoriserait l'application de la peine de mort. En partant de cette interprétation fausse du Pacte, l'État partie affirme que l'extradition de l'auteur de la communication ne serait pas contraire à cet instrument. À mon sens, le Canada a donc dénié à M. Charles Chitat Ng un droit dont il jouissait sous sa juridiction, sous-entendant que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques accorderait une moindre protection que le droit interne, c'est-à-dire qu'il reconnaîtrait le droit à la vie dans une moindre mesure que la législation canadienne. Vu que son interprétation erronée du paragraphe 2 de l'article 6 a conduit le Gouvernement canadien à considérer que le Pacte reconnaissait le droit à la vie dans une moindre mesure que sa propre législation interne et à exciper de ce fait pour extrader l'auteur vers une juridiction où il sera inévitablement exécuté, il a commis également une violation du paragraphe 2 de l'article 5 du Pacte.

10. Il faut insister sur le fait que le Canada a donné une interprétation erronée du paragraphe 2 de l'article 6 et que, quand il a aboli la peine de mort, il a contracté l'obligation de ne pas l'appliquer sur son territoire directement (exception faite des infractions militaires pour lesquelles la peine est maintenue) ou indirectement, en remettant à un autre État un individu qui risque d'être exécuté ou qui va être exécuté. Ayant aboli la peine de mort, le Canada est tenu de garantir le droit à la vie de quiconque se trouve sous sa juridiction, sans aucune restriction.

11. Pour ce qui est de la violation éventuelle de l'article 7 du Pacte, je ne souscris pas à l'opinion du Comité selon laquelle, en l'espèce, et sur la foi des renseignements dont il dispose, le Comité conclut que l'asphyxie par le gaz de cyanure, si la peine capitale était appliquée à l'auteur, ne répondrait pas au critère selon lequel l'exécution doit se faire de manière "à causer le moins de souffrances possible, physiques ou mentales" et qu'elle constitue un traitement cruel et inhumain, en violation de l'article 7 du Pacte (constatations, par. 16.4). Je ne peux partager l'opinion selon laquelle l'exécution d'une sentence de mort dans ces conditions peut constituer par elle seule un traitement cruel, inhumain ou dégradant. J'estime plutôt que l'imposition de la peine capitale en elle-même représente un traitement cruel, inhumain et dégradant et est en conséquence contraire à l'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ainsi, je considère en l'espèce que l'application de la peine capitale constitue une violation de l'article 6 et non pas une violation spécifique de l'article 7 du Pacte.

12. Un dernier aspect dont il faut s'occuper est la façon dont M. Ng a été extradé, sans qu'il soit fait cas de la requête du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications qui, conformément à l'article 86 du règlement intérieur du Comité des droits de l'homme, a demandé que l'auteur ne soit pas extradé tant que le Comité n'aurait pas communiqué à l'État partie ses vues définitives sur la communication. En ratifiant le Protocole facultatif, le Canada s'est engagé envers les autres États parties à respecter les procédures suivies au titre de cet instrument. En ayant procédé à l'extradition sans tenir compte de la requête du Rapporteur spécial, le Canada a manqué à la bonne foi qui doit régner entre les parties au Protocole et au Pacte.

13. Cela étant, ce fait soulève également la question de savoir s'il n'y a pas eu violation d'un autre article du Pacte : l'article 26. Le Canada n'a donné aucune explication sur les raisons pour lesquelles il a extradé aussi promptement l'intéressé, après qu'il eut appris que celui-ci avait adressé une communication au Comité. Par cet acte, condamnable au regard de ses obligations à l'égard de la communauté internationale, l'État partie a entravé l'exercice des droits qui appartenaient à l'auteur, en tant que sujet placé sous sa juridiction, et qui découlent du Protocole facultatif. Vu que le Protocole facultatif fait partie du droit canadien, toutes les personnes qui se trouvent sous la juridiction du Canada ont le droit d'adresser des communications au Comité des droits de l'homme pour que celui-ci examine leurs griefs. Il apparaît donc que M. Charles Chitat Ng a été extradé en raison de sa nationalité (c) et, comme il n'a eu aucune possibilité de se prévaloir de la protection accordée par le Protocole facultatif, on peut conclure que l'État partie a également commis une violation de l'article 26 du Pacte.

14. En conclusion, j'estime que le Canada a violé le paragraphe 2 de l'article 5 et les articles 6 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

San Rafael de Escazú (Costa Rica), 1er décembre 1993.

[Original : espagnol]


Notes


a Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-huitième session, Supplément No 40 (A/48/40), annexe XII.U, communication 470/1991 (Joseph Kindler c. Canada), constatations adoptées le 30 juillet 1993, par. 6.6.

b À cet égard, voir les comptes rendus analytiques se rapportant à l'examen par le Comité des rapports du Zaïre et du Burundi (au sujet de l'expulsion de nationaux) et du Venezuela (au sujet du maintien dans la législation pénale de la peine d'exil).

c À ce sujet, il faut se reporter aux différents passages des observations où il est question des relations entre le Canada et les États-Unis, des 4 800 kilomètres de frontière commune non gardée, et du nombre croissant de demandes d'extradition adressées par les États-Unis au Canada. L'État partie a indiqué qu'il ne pouvait permettre que des fugitifs des États-Unis voient dans la suspension de l'extradition de l'auteur jusqu'à obtention de garanties une incitation à se réfugier au Canada. À cet égard, les allégations de l'État partie sont identiques à celles qui ont été faites concernant la communication No 470/1991.


H. Opinion individuelle de Mme Christine Chanet (dissidente)



Au regard de l'application de l'article 6 dans le cas d'espèce, je ne peux que renouveler les termes de mon opinion individuelle développée dans l'affaire John Kindler c. Canada (communication No 470/1991).

Dès lors, je ne peux accepter l'expression "le paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte permet l'imposition de la peine capitale" figurant au paragraphe 16.2 de la décision. Le texte du Pacte de mon point de vue "n'autorise" pas l'imposition - ou le rétablissement de la peine de mort pour les pays qui l'ont abolie - il se limite à poser des conditions que l'État doit impérativement respecter lorsque la peine de mort existe.

Tirer les conséquences d'un état de fait ne saurait en droit être assimilé à une autorisation.

Sur l'article 7 je partage la conclusion du Comité lorsqu'il constate une violation de ce texte au cas d'espèce.

En revanche, je trouve contestable la discussion dans laquelle le Comité s'engage au paragraphe 16.3, lorsqu'il se livre à une évaluation des souffrances provoquées par le gaz de cyanure et qu'il prend en considération la durée de l'agonie estimant que celle-ci n'est pas acceptable au-delà de dix minutes.

A contrario, devrait-on conclure que le Comité estimerait qu'il n'y a pas violation de l'article 7 si l'agonie est de 9 minutes?

Lorsqu'il entre dans ce débat le Comité est amené à prendre des positions peu compatibles avec son rôle d'organe de contrôle d'un instrument international dans le domaine des droits de l'homme.

Une interprétation stricte de l'article 6 dans le sens que j'ai exposé précédemment et qui exclurait toute "autorisation" relative au maintien ou au rétablissement de la peine de mort permettrait au Comité d'éviter ce débat scabreux sur les méthodes d'exécution de la peine capitale dans les États parties.

[Original : français]

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