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Le Conseil des droits de l'homme tient une réunion-débat de haut niveau sur la question de la peine de mort

APRES MIDI
5 mars 2014

Le Conseil des droits de l'homme a tenu, cet après-midi, une réunion-débat de haut niveau sur la question de la peine de mort.

Par vidéoconférence, le Secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon s'est félicité que, depuis l'appel lancé en 2007 par l'Assemblée générale en faveur un moratoire universel, la tendance à l'abandon de la peine de mort s'est renforcée. Mme Navi Pillay, Haut-Commissaire aux droits de l'homme, a ajouté qu'environ 160 pays sur les 193 États membres de l'ONU avaient soit aboli, soit décrété un moratoire sur la peine de mort. Elle a présenté trois raisons principales à l'abolition de la peine capitale: le respect du droit à la vie et à ne pas subir des traitements cruels, inhumains ou dégradants; le refus de risquer de condamner des innocents; et l'absence d'effet dissuasif de cette peine.

Des exposés ont ensuite été présentés par M. Valentin Djenontin-Agossou, Ministre de la justice, de la législation et des droits de l'homme du Bénin; Mme Khadija Rouissi, Vice-Présidente du Parlement du Maroc; M. Kirk Bloodsworth, Directeur de Witness to Innocence; et Mme Asma Jahangir, Commissaire à la Commission internationale contre la peine de mort. Le débat était animé par le Représentant permanent de la France à Genève, M. Nicolas Niemtchinow, qui a déclaré que la peine de mort n'était pas la justice mais l'échec de celle-ci. La peine de mort n'est pas un châtiment comme un autre, ni un simple enjeu politique; elle est et restera toujours une violation des droits de l'homme.

M. Djenontin-Agossou a déclaré que «La peine de mort est une négation absolue de la dignité et de la valeur de l'être humain». Son caractère définitif et cruel la rend incompatible avec le respect du droit à la vie, a déclaré le ministre béninois, qui a aussi rappelé que le risque d'erreur judicaire ne pouvait jamais absolument être écarté, alors que la peine de mort est irréversible.

La situation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient a fait l'objet de la présentation de Mme Rouissi, qui a noté que «l'argument religieux était celui le plus avancé par les États qui continuent de violer le droit à la vie, appuyé en cela par des conservateurs dont la principale composante est formée des courants islamistes», ajoutant que l'abolitionnisme n'est pas une remise en cause de la foi islamique mais «une remise en question des anachronismes et des interprétations passéistes».

M. Bloodsworth a livré son témoignage de condamné à mort, le premier aux États-Unis à être disculpé grâce à une analyse génétique après plus de neuf ans de prison. Dirigeant aujourd'hui une organisation représentant des personnes injustement condamnées à mort, il a souligné que 143 personnes ont été innocentées aux États-Unis depuis 1973, mais sans doute beaucoup plus sont condamnées à mort pour des crimes qu'elles n'ont pas commis.

Enfin, Mme Jahangir s'est dite encouragée par le fait que de nombreux pays en Asie, où ont lieu la majorité des exécutions capitales, ont décidé d'abolir la peine de mort ou de déclarer des moratoires. Toutefois, une dizaine de pays au moins ont procédé à des exécutions en 2013; dans certains d'entre eux, dont l'Iran et la Chine, il est difficile d'établir le nombre des exécutions.

Les délégations, dont certains hauts-dignitaires, ont souligné l'absence de consensus au sujet de l'abolition de la peine de mort. Les partisans du maintien de la peine capitale, ils ont souligné que ce choix relevait de la souveraineté de chaque État. Certains d'entre eux ont ajouté que leurs traditions culturelles et religieuses avaient prééminence et que la loi divine s'imposait aux lois humaines. Les pays abolitionnistes ont affirmé que la peine de mort était la violation du droit à la vie, reconnu par la Déclaration universelle des droits de l'homme, et n'a aucun effet dissuasif sur la criminalité.

Les délégations suivantes ont participé au débat : Namibie, Brésil, Soudan, Mongolie, Sierra Leone, Arabie saoudite, Singapour (au nom de 26 pays), Suisse (au nom de 44 pays), Koweït (au nom du Conseil de coopération du Golfe), Union européenne, Irlande, Nouvelle-Zélande, Slovénie, Belgique, Conseil de l'Europe, Indonésie, Maroc, Italie, Suisse, Mexique, Autriche, Australie, Espagne, Rwanda, Chine, France et Égypte. Plusieurs organisations non gouvernementales suivantes ont également participé aux échanges : Penal Reform International, Amnesty International, International Harm Reduction Association, Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, Organisation internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et Verein Sudwind Entwicklungspolitik.

Demain matin, à partir de 10 heures, le Conseil doit entendre les derniers dignitaires dans le cadre de son débat de haut niveau.

Réunion-débat de haut niveau sur la question de la peine de mort



Déclarations liminaires



S'exprimant par vidéoconférence, M. BAN KI-MOON, Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, a rappelé qu'en 2007, l'Assemblée générale avait franchi un pas important en faveur de l'abolition de la peine de mort en demandant un moratoire universel sur l'application de la peine capitale. Depuis lors, la tendance à l'abandon de la peine de mort s'est renforcée. «Prendre une vie est irréversible», a rappelé le Secrétaire général. Estimant que la peine capitale est injuste et incompatible avec les droits de l'homme fondamentaux, il a appelé les États qui ne l'ont pas encore fait à ratifier le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort.

MME NAVI PILLAY, Haut-Commissaire aux droits de l'homme, a affirmé d'emblée et «sans équivoque» qu'en tant que Haut-Commissaire elle était «opposée à la peine de mort en toutes circonstances». Elle a appelé les États qui appliquent toujours cette peine à opter rapidement pour son abolition. Elle a noté l'accélération de la tendance à l'abolition depuis l'adoption en 1948 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui affirme le droit à la vie. À l'époque, il y a 64 ans, 14 pays seulement avaient aboli la peine capitale, la majorité d'entre eux en Amérique du Sud. À l'heure actuelle, environ 160 pays dans le monde ont soit aboli, soit décrété un moratoire sur la peine de mort, soit encore ne l'appliquent pas dans les faits. Récemment encore, le Pakistan, les Émirats arabes unis et l'État de Washington aux États-Unis ont décrété un moratoire ou ont suspendu toute exécution. Mme Pillay a dit déplorer qu'une vingtaine d'États exécutent toujours des personnes, souvent en violation directe des normes internationales des droits de l'homme.

La Haut-Commissaire a dit voir trois raisons principales à l'abolition de la peine capitale. Il s'agit tout d'abord d'une question de respect d'un certain nombre de droits : droit à la vie, à ne pas subir la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants. En outre, la peine capitale viole souvent le droit à l'égalité et à la non-discrimination. En second lieu, se pose la question de la finalité de la peine de mort, alors qu'il est avéré que même dans les pays disposant de systèmes judiciaires fonctionnels, des personnes exécutées se sont avérées être innocentes. Enfin, la troisième raison concerne l'illusion sur le caractère dissuasif de cette peine.

En conclusion, Mme Pillay a appelé les pays pratiquant encore la peine capitale à commencer par décréter un moratoire sur les exécutions, et aux systèmes judiciaires concernés de cesser de prononcer des peines capitales. Elle s'est félicitée du fait que la présidence du Myanmar a commué toutes les peines de mort. Elle s'est dite encouragée par une décision similaire prise par la Cour suprême de l'Inde en faveur de plusieurs condamnés. Elle a enfin appelé le Conseil à continuer de débattre de cette question.

L'animateur du débat, M. NICOLAS NIEMTCHNIOW, Représentant permanent de la France auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, a souligné qu'il était organisé en application d'une résolution adoptée en mars dernier à l'initiative du Bénin, de la France, du Costa Rica, de la République de Moldova et de la Mongolie. Il a ensuite déclaré que pour la France, qui a aboli la peine capitale en 1981, la peine de mort n'est pas la justice mais l'échec de celle-ci. La peine de mort n'est pas un châtiment comme un autre, ni un simple enjeu politique; elle est et restera toujours une violation des droits de l'homme, a dit le représentant français. C'est pour cette raison que la France se félicite de la tenue de cette réunion-débat, alors que l'on s'apprête à adopter à nouveau la résolution biennale de l'Assemblée générale des Nations Unies appelant à un moratoire universel sur la peine de mort en vue de son abolition définitive. Cela est d'autant plus à propos que la prise de conscience est mondiale, au-delà des continents, des civilisations, des cultures et même des régimes politiques. La lutte contre la peine de mort est certes un combat à long terme, mais c'est aussi une cause universelle pour laquelle il faut redoubler les efforts en faveur de son abolition définitive, a conclu le représentant.

Exposés



M. VALENTIN DJENONTIN-AGOSSOU, Ministre de la justice, de la législation et des droits de l'homme du Bénin, a présenté un historique de l'abolition de la peine de mort dans le contexte international, soulignant que la dernière résolution sur la question adoptée par l'Assemblée générale en 2008 avait été soutenue par 104 pays, tandis que 54 s'y étaient opposés. Pour sa part, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a adopté en 2008 une résolution appelant les États parties à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples à observer un moratoire sur l'application de la peine de mort.

Le Ministre a ensuite évoqué la position du Bénin face au défi de l'abolition de la peine de mort. Dès 2004, a-t-il noté, le Chef de l'État a lancé une réflexion sur l'abolition ou le maintien de la peine de mort. Cependant, la recrudescence de la criminalité et la vindicte populaire n'ont pas, à l'époque, favorisé l'adhésion de la population à l'abolition. Le Bénin, a poursuivi M. Djenontin-Agossou, a voté en faveur du moratoire sur les exécutions capitales aux Nations Unies en 2007 et 2008. Le Bénin a ensuite pris des engagements dans le cadre des Congrès mondiaux contre la peine de mort et de la Conférence régionale sur la peine de mort pour l'Afrique de l'Ouest et du Nord, ainsi que dans le cadre de l'Examen périodique universel. Finalement, l'Assemblée nationale a voté l'abolition de la peine de mort en 2011 au cours d'une session extraordinaire, ouvrant la voie à la procédure d'adhésion du Bénin au Deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

«La peine de mort est une négation absolue de la dignité et de la valeur de l'être humain et son caractère définitif et cruel la rend incompatible avec le respect du droit à la vie», a estimé le Ministre, qui a conclu en rappelant que le risque d'erreur judicaire existe toujours alors que la peine de mort est un châtiment aux conséquences irréversibles.

MME KHADIJA ROUISSI, Vice-Présidente du Parlement du Maroc, a indiqué que cinq pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient sur dix-neuf avaient instauré un moratoire sur l'application de la peine de mort, dont deux l'ont décrété officiellement. Mais, a-t-elle souligné, même dans le cas d'un moratoire, cela signifie qu'il y a des gens dans le couloir de la mort qui subissent «la torture de l'incertitude du lendemain». Selon Amnesty International, la même région connaît le taux le plus élevé d'exécutions dans le monde en comparaison avec le nombre d'habitants, a précisé Mme Rouissi. Parmi les cinq pays ayant exécuté le plus grand nombre de détenus en 2012 figurent trois pays du Moyen-Orient : l'Arabie saoudite, l'Iraq et le Yémen.

S'agissant du Maroc, si la peine de mort n'y est plus appliquée de fait depuis 1993, elle y est toujours prononcée par les juges. Il y a un an a été créé au Maroc un «Réseau des parlementaires contre la peine de mort» qui réunit aujourd'hui 215 élus appartenant à des sensibilités politiques différentes. Ce réseau a déposé au bureau de la Chambre des représentants une proposition de loi pour l'abolition de la peine de mort dans la législation marocaine. «Selon toute vraisemblance», le Maroc devrait très prochainement abolir la peine capitale, a affirmé Mme Rouissi.

Mme Rouissi a noté que «l'argument religieux était celui qui est le plus avancé par les États qui continuent de violer le droit à la vie, appuyé en cela par des conservateurs dont la principale composante est formée des courants islamistes». La Vice-Présidente du Parlement de Rabat leur rétorque qu'il «s'agit non pas d'une remise en cause de la foi islamique mais plutôt d'une remise en question des anachronismes et des interprétations passéistes». Mme Rouissi a conclu en insistant sur l'importance fondamentale de la mise en place de réseaux pour l'abolition de la peine de mort dans les pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

M. KIRK BLOODSWORTH, Directeur de Witness to Innocence, a déclaré que le système de la peine de mort est inefficace et dysfonctionnel dans son pays, les États-Unis. M. Bloodsworth a passé plus de neuf ans en prison après avoir été arrêté en 1984 dans l'État du Maryland et condamné à mort pour le viol et le meurtre d'une fillette de neuf ans, alors qu'aucun élément probant ne le liait à ce crime. Il a finalement été innocenté en 1993 grâce à des tests ADN qui ont confirmé son innocence. Aujourd'hui, il dirige une organisation qui représente des personnes injustement condamnées à mort. Depuis 1973, 143 personnes ont été officiellement innocentées, a-t-il dit, soulignant qu'il y en a en fait beaucoup plus, compte tenu du nombre de personnes emprisonnées aux États-Unis, soit 2,3 millions aujourd'hui.

Citant le Marquis de La Fayette, homme politique français qui a combattu pour l'indépendance des États-Unis, M. Bloodsworth a déclaré que tant que la responsabilité d'un individu n'est pas prouvée, on ne peut lui appliquer la peine de mort. Aux États-Unis, le système ne fonctionne pas, a-t-il affirmé, ajoutant que s'il avait pu être victime d'une telle injustice, celle-ci pouvait arriver à n'importe qui. Il a conclu en appelant le Conseil des droits de l'homme à faire tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir l'abolition universelle de la peine de mort.

MME ASMA JAHANGIR, Commissaire à la Commission internationale contre la peine de mort, s'est dite encouragée par le fait que de nombreux pays en Asie, où ont lieu la majorité des exécutions capitales, ont décidé d'abolir la peine de mort ou de mettre en place des moratoires, y compris au Cambodge, aux Philippines, au Bhoutan, au Népal et au Timor-Leste. De nombreux autres pays ont décidé d'imposer des moratoires sur les exécutions. Cependant, plusieurs pays continuent d'appliquer la peine capitale: au moins dix pays ont procédé à des exécutions en 2013. Dans de nombreux pays, dont l'Iran et la Chine, il est difficile d'établir le nombre des exécutions.

Les ressortissants étrangers condamnés à la peine de mort sont confrontés à une situation particulièrement préoccupante, a souligné la Commissaire, qui a rappelé que cette question avait fait l'objet récemment d'une Conférence. De nombreux systèmes ne sont pas suffisamment efficaces pour assurer une procédure équitable, a ajouté Mme Jahangir, qui a déploré que l'absence de transparence conduise de nombreux innocents à être condamnés à mort.

Débat



Plusieurs délégations - celle de l'Union européenne (UE) en particulier - ont souligné que la peine capitale constituait une violation du droit à la vie qui est la base de l'ensemble des droits de l'homme, la Namibie soulignant en outre qu'elle portait aussi atteinte à la dignité humaine. Le Brésil et la Suisse, qui s'exprimait pour sa part au nom de 42 États membres du Conseil de l'Europe, ont renchéri en évoquant «une agression intolérable contre la dignité humaine».

La Suisse a souligné que le Conseil de l'Europe et la Convention européenne des droits de l'homme avaient eu un rôle de «catalyseur» pour l'abolition de la peine capitale sur le continent. L'Union européenne a rappelé que le Bélarus était le dernier pays à appliquer la peine capitale en Europe. La Nouvelle-Zélande s'est félicitée que des pays tels que la Chine, le Viet Nam, Singapour et le Myanmar aient restreint l'application de la peine capitale.

Pour la France, la Slovénie et l'Australie, la peine de mort est non seulement inhumaine, elle comporte également le risque de commettre des erreurs irréparables. Ainsi, l'Espagne a affirmé qu'aucun système judiciaire n'est infaillible. La délégation slovène a en outre souligné que l'abolition de la peine de mort dans de nombreux pays sur tous les continents démontre le caractère universel de cette lutte.

La Belgique a souligné que plus de 150 États membres des Nations Unies ont aboli la peine de mort ou instauré un moratoire. Il est donc indéniable qu'une tendance claire existe en faveur de l'abolition totale dans toutes les circonstances, a-t-elle estimé.

L'Italie a déploré que l'opinion publique ne puisse avoir accès à des informations pertinentes sur la peine de mort, comme la question de l'absence d'effet dissuasif ou encore le risque d'erreur judiciaire. Pour sa part, l'Autriche a lancé un appel aux pays non-abolitionnistes pour qu'ils mettent cessent aux exécutions de mineurs ou de consommateurs de drogue. La Suisse s'est interrogée sur les meilleurs moyens de soutenir les pays qui sont à un stade avancé du processus abolitionniste et où la décision ultime relève avant tout du courage politique des décideurs nationaux. De son côté, le Conseil de l'Europe s'est déclaré fier d'être l'une des principales forces qui lutte en faveur de l'abolition, car la peine de mort n'a pas sa place dans une société démocratique. Bien que 140 pays aient aboli en fait ou en droit la peine capitale, le Conseil de l'Europe déplore le fait que 21 pays ont exécuté des condamnés à mort l'an passé. Aucune exécution n'a cependant été constatée dans les 47 États membres du Conseil de l'Europe.

Parmi les délégations ayant détaillé leur marche vers l'abolition, l'Irlande a indiqué avoir décrété un moratoire sur la peine de mort dès 1954 avant de l'abolir formellement en 1990, un référendum confirmant son interdiction constitutionnelle en 2001. La Mongolie a souligné qu'elle s'était rangée aux côtés des quelque 150 pays n'appliquant plus la peine de mort en décrétant un moratoire. La dernière exécution a eu lieu en 2008 et depuis lors un certain nombre de condamnés à la peine capitale ont vu leur peine commuée. À ce stade, la réclusion à perpétuité est la peine la plus lourde que peut infliger la justice mongole. Si la Sierra Leone figure parmi les 46 pays abolitionnistes de fait depuis l'adoption d'un moratoire en 1998, le caractère potentiellement dissuasif de la peine capitale fait l'objet d'un débat dans le pays.

Le Rwanda a indiqué avoir aboli la peine de mort en 2008, tout en précisant que ce processus n'avait pas été aisé, du fait du désir légitime de justice des victimes du génocide de 1994. Cependant, suite à une large consultation nationale, les Rwandais sont arrivés à la conclusion que la peine de mort ne peut en aucun cas constituer un instrument de justice. Le Mexique a réitéré son refus de la peine capitale qui viole le droit le plus fondamental, à savoir le droit à la vie. La peine de mort constitue une peine cruelle et inhumaine et le Mexique l'a expressément abolie en 2005. Le Maroc, pays abolitionniste de fait, a indiqué avoir engagé un dialogue public fructueux sur la pertinence du maintien de la peine de mort dans sa législation pénale. Cependant, le Maroc s'est abstenu lors du vote de la résolution pertinente de l'Assemblée générale, car son dispositif est redondant avec le contenu de la législation marocaine.

Le Soudan a indiqué que sa Constitution affirmait le droit à la vie et que la peine capitale ne pouvait être infligée que dans les cas les plus graves, avec un certain nombre d'exemptions concernant les mineurs, les personnes âgées et les femmes enceintes, ainsi que les femmes allaitantes dans la limite des deux premières années de l'enfant. L'Arabie saoudite a exprimé sa fierté d'appliquer la charia, loi islamique inspirée par le Créateur, qui est au-dessus de tout et de chacun. Les appels à abolir la peine de mort ne doivent pas faire oublier les droits des victimes, a expliqué le ministre et Président de la Commission saoudienne des droits de l'homme, qui a aussi réaffirmé le droit souverain de chaque pays à édicter sa propre législation en la matière. Pour Singapour aussi, cette question relève de la souveraineté de chaque État. Singapour se dit en outre convaincu du caractère dissuasif de la peine de mort, étant entendu que les justiciables doivent bénéficier d'une justice équitable. Au nom du Conseil de coopération du Golfe (CCG), le Koweït a souligné le caractère sensible de la question, les pays pouvant avoir des avis divergents, notamment en fonction de leur culture. Cette question doit faire l'objet d'un dialogue «constructif» entre eux. Chaque État a le droit de choisir son modèle de droit pénal, a-t-il estimé, avant de préciser que, dans les États du CCG, la charia et l'islam avaient de toute façon la prééminence.

L'Égypte a indiqué que pour avoir des résultats positifs, il faut repositionner le débat. En effet, la peine de mort est une question de justice pénale et il n'existe aucune obligation internationale d'abolir la peine de mort. Pour l'Égypte, chaque État doit décider librement sa voie conformément à ses spécificités sociales et culturelles. L'Indonésie a relevé qu'il s'agit d'une question sensible, à la croisée de la justice pénale et des droits de l'homme. Les débats sur ce sujet doivent être constructifs et il faut éviter de jeter l'opprobre sur certains pays. La peine de mort a fait l'objet d'un contrôle judiciaire en 2007 par la Cour constitutionnelle indonésienne, qui a décidé que toute condamnation devait strictement se baser sur la loi. Pour la Chine la peine de mort répond aux exigences de la population en matière de justice. Cependant, la Chine applique la peine capitale avec précaution, seuls les crimes les plus odieux étant punis de mort. En outre, 15 types de crimes ont été retirés de la liste des délits passibles de la peine capitale.

Pour les organisations non gouvernementales, Penal Reform International a dénoncé les conditions de détention de nombreux condamnés à mort, conditions qui s'apparentent à des peines inhumaines, cruelles ou dégradantes, y compris lorsqu'un moratoire est en vigueur ou lorsque la peine n'a pas été formellement commuée et même si elle n'est plus appliquée. Amnesty International a noté que 18 des 50 États des États-Unis avaient renoncé à la peine de mort. Elle estime que l'adoption d'un moratoire permet aux États de prendre le temps nécessaire pour débattre de la question et réexaminer leur législation autorisant la peine de mort, notamment à la lumière des instruments juridiques internationaux. International Harm Reduction Association, s'exprimant au nom de plusieurs autres organisations, a constaté que la lutte contre le trafic de drogue donnait lieu à des violations des droits de l'homme. Dans certains pays la majorité des exécutions capitales concernent ce délit, plusieurs centaines de cas étant concernés tous les ans. Ces organisations s'inquiètent que des fonds de l'ONU consacrés à la lutte contre le trafic de stupéfiants contribuent à l'arrestation, aux poursuites en justice et à la condamnation à mort de trafiquants présumés.

La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme a salué la poursuite de la tendance abolitionniste à travers le monde, tout en notant que de nombreux défis subsistent, notamment en Iran et en République populaire démocratique de Corée. L'Organisation internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, dans une déclaration conjointe, a déclaré que l'application de la peine de mort a diminué significativement ces dernières années et de nombreux pays ont aboli la peine capitale, mais a déploré la poursuite des exécutions par l'Iraq. Verein Sudwind Entwicklungspolitik s'est dite préoccupée par l'augmentation du nombre d'exécutions en République islamique d'Iran, et notamment par l'exécution de mineurs. En outre, les mineurs assistent à des exécutions publiques et au moins trois enfants sont morts en 2013 en «jouant à l'exécution».

Observations et conclusions des panélistes



M. BLOODSWORTH a déploré que certains États aient évoqué leur droit d'imposer la peine de mort. Maintenir cette «pratique barbare» qui ne protège personne n'est en rien dissuasif, a-t-il insisté, affirmant qu'aux États-Unis, ceux des États où la peine de mort est appliquée sont ceux où la criminalité est la plus élevée. Il faut donc convenir que la peine de mort n'a jamais un effet dissuasif.

M. Bloodsworth a aussi expliqué que, lorsqu'il avait été injustement accusé d'un crime passible de la peine de mort, il avait compris qu'une telle injustice pouvait arriver à n'importe qui. J'ai 143 raisons pour lesquelles la peine de mort devrait être abolie, a-t-il dit, en référence au nombre condamnées à mort officiellement innocentées aux États-Unis.

MME ROUISSI a pour sa part estimé qu'il est temps que la communauté internationale interdise la peine de mort, en tant que peine inhumaine. La justice ne doit pas tuer, elle doit rendre justice, a-t-elle plaidé. Mme Roussi a observé qu'en Afrique du Nord, d'où elle est originaire, il avait été aussi très difficile d'abolir l'esclavage. Pourtant, personne ne peut plus aujourd'hui défendre cette pratique. Elle a déploré que certains invoquent leur religion pour appliquer la peine de mort, du fait d'une interprétation qu'elle a jugée partisane. Les pays qui ont été pionniers dans l'abolition de la peine de mort enregistrent aujourd'hui une baisse de la criminalité, comme en Scandinavie, a-t-elle souligné.

Mme Rouissi s'est déclarée très fière du Sénégal, pays musulman qui a aboli la peine de mort. Dans ce contexte, elle a appelé les autres pays, arabes ou non, pratiquant cette religion à faire de même. Pour elle, l'erreur judiciaire n'est pas exclue et cela impose la poursuite du dialogue actuel. Il faut également faire face aux reculs dans les pays qui ont pris la direction opposée à l'abolition.

MME JAHANGIR a estimé que pour mener le combat de l'abolition, il fallait se servir des témoignages de personnes ayant échappé à la peine de mort ou ceux de proches de condamnées exécutés. D'autres sanctions sont possibles, a-t-elle rappelé, soulignant le caractère inhumain de la peine de mort.

Mme Jahangir a souligné que, dans de nombreux pays, le nombre de personnes condamnées et exécutées reste inconnu. Il faut dans ce cas convaincre les dirigeants avant les populations, car seuls les premiers peuvent changer la donne. Elle a également déploré que certains pays continuent d'appliquer la peine de mort à des mineurs.

M. DJENONTIN-AGOSSOU a également plaidé pour une intensification de la campagne contre la peine de mort et en faveur du moratoire universel sur son application. Il faut également plaider en faveur d'une commutation des sentences de mort en peines à perpétuité, comme cela a été le cas au Bénin.

M. Djenontin-Agossou a estimé que la communauté internationale doit se focaliser sur les Parlements, qui détiennent le pouvoir législatif et ratifient les instruments internationaux. Il faut parallèlement sensibiliser la société civile, qui peut aussi participer à ce combat.

En tant qu'animateur du débat, M. NIEMTCHNIOW a observé que l'abolition de la peine de mort est plus proche que jamais. Il n'existe aucun obstacle insurmontable, a-t-il estimé, appelant toutes les délégations à soutenir de l'adoption prochaine de la résolution biennale de l'Assemblée générale appelant à un moratoire sur la peine de mort.
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