Plan du site

La Pakistanaise accusée de blasphème Asia Bibi est arrivée au Canada

dépêche de presse du 8 mai 2019 - Presse Canadienne
Pays :
(La Presse canadienne) Islamabad - L'avocat représentant une chrétienne acquittée de blasphème au Pakistan après avoir passé huit ans dans le « couloir de la mort » affirme qu'elle est maintenant arrivée au Canada.

Asia Bibi avait été reconnue coupable de blasphème en 2009 à la suite d'une querelle avec une collègue ouvrière dans les champs. La Cour suprême du Pakistan a finalement annulé sa condamnation à mort l'année dernière et elle avait été depuis placée en lieu sûr, protégée par les forces de sécurité pakistanaises - des islamistes menaçaient de la tuer. Les mêmes extrémistes, dont plusieurs ont été emprisonnés par la suite, avaient également appelé au renversement du gouvernement à la suite de l'acquittement de Mme Bibi.

« Elle est enfin libérée de toutes ses épreuves », a déclaré Saif-ul Malook à La Presse canadienne, mercredi, dans une entrevue téléphonique depuis Lahore, au Pakistan. Me Malook n'a pas rencontré sa cliente ni ne lui a parlé avant son départ, mais il assure qu'elle est arrivée au Canada mardi matin. « Ses filles sont à Ottawa. Elles étaient arrivées en décembre, alors elle a dû les rejoindre, j'imagine », a déclaré l'avocat.

Des responsables pakistanais et d'autres personnes impliquées dans cette affaire ont aussi affirmé mercredi que Mme Bibi avait quitté le Pakistan pour retrouver ses filles au Canada, où l'asile leur avait été accordé.

Me Malook a déclaré que sa cliente, aujourd'hui dans la cinquantaine, était impatiente de venir au Canada. « Si vous êtes en enfer et que quelqu'un vous dit que vous serez bientôt au paradis, il n'y a pas de question à se poser. » Quand Mme Bibi était en prison, son avocat lui disait : « Quand vous serez libérée, le président américain vous enverra son avion, et elle partait à rire. »

Retrouver l'anonymat

L'avocat, qui dit avoir été lui aussi victime de menaces, espère maintenant que Mme Bibi trouvera la paix au Canada. « La Cour suprême du Pakistan a annoncé que les accusations de blasphème portées contre elle étaient fausses », a-t-il rappelé. « De grâce, ne la suivez pas : laissez-la mener le reste de sa vie en paix. »

Wilson Chawdhry, de l'Association des chrétiens britanniques d'origine pakistanaise, a déclaré à l'Associated Press mercredi qu'il avait reçu un message texte d'un diplomate britannique dans lequel il était écrit : « Asia est partie. » Dans un communiqué, l'association indique qu'elle a reçu une confirmation mardi soir que Mme Bibi « avait quitté le Pakistan en toute sécurité ».

« Asia Bibi a courageusement gardé sa foi malgré la plus brutale des incarcérations, au cours de laquelle elle avait accès à la lumière du jour deux heures par mois », selon l'association. « Maintenant, elle se rend enfin au Canada pour y rejoindre ses enfants. »

M. Chowdhry indique d'ailleurs dans le communiqué de l'association que Mme Bibi est « malade » après une décennie d'isolement _ d'abord en prison puis, plus tard, pour sa sécurité. « Elle doit être traitée avec le plus grand soin et recevoir les soins médicaux appropriés maintenant qu'elle est libre », a-t-il déclaré.

Un ami proche de Mme Bibi, s'exprimant sous le couvert de l'anonymat par peur de représailles, a également confirmé qu'elle avait quitté le pays. Cet ami, qui lui a parlé pour la dernière fois mardi, a déclaré que Mme Bibi et son mari, Ashiq Masih, avaient passé les dernières semaines à mettre leurs documents en ordre. Il a ajouté que Mme Bibi avait hâte de voir ses filles, avec qui elle s'entretenait presque quotidiennement.

Des responsables des ministères pakistanais de l'Intérieur et des Affaires étrangères ont également confirmé son départ, s'exprimant sous le couvert de l'anonymat, car ils n'étaient pas autorisés à informer les médias.

À Ottawa

Le premier ministre Justin Trudeau, qui avait déclaré en novembre que le Canada était en pourparlers avec le gouvernement pakistanais au sujet de Mme Bibi, n'a pas voulu discuter de l'affaire, mercredi. « De toute évidence, il y a des problèmes de confidentialité et de sécurité délicats à cet égard et, malheureusement, je ne peux pas en dire plus pour le moment », a-t-il dit.

Affaires mondiales Canada n'a pas voulu commenter non plus.

L'affaire avait attiré l'attention du monde sur cette controversée loi pakistanaise qui interdit le blasphème _ et qui prévoit automatiquement la peine de mort. Mais le simple soupçon de blasphème contre l'islam dans ce pays suffit aussi à déclencher les lynchages de la foule. L'accusation de blasphème a également été utilisée au Pakistan pour intimider les minorités religieuses et régler des comptes.

Les islamistes radicaux ont fait de la punition du blasphème un grand cri de ralliement, en mobilisant des dizaines de milliers de personnes dans les rues et en paralysant les grandes villes.

Salman Taseer, gouverneur de la province du Pendjab, a été assassiné par l'un de ses gardes du corps en 2011 pour avoir défendu Mme Bibi et critiqué la loi sur le blasphème. L'assassin, Mumtaz Qadri, a été élevé au rang de martyr par les extrémistes après sa pendaison, et des millions de personnes se sont rendues dans un sanctuaire érigé pour lui près d'Islamabad. Le ministre pakistanais des Minorités, Shahbaz Bhatti, a été assassiné plus tard la même année après avoir demandé que justice soit faite pour Mme Bibi.

Le premier ministre Imran Khan a juré de ne pas se laisser intimider par les émeutiers, affirmant que l'État de droit prévaudrait dans ce dossier. Mais on a quand même refusé à Mme Bibi la permission de quitter le pays pendant plusieurs mois, jusqu'à ce que les esprits s'apaisent.

En janvier, un comité de trois juges de la Cour suprême a finalement levé le dernier obstacle juridique en concluant qu'il n'y avait aucune raison de revenir sur l'acquittement prononcé un peu plus tôt. Les juges ont d'autre part accusé de parjure ceux qui avaient porté les accusations de blasphème contre Mme Bibi _ mais ils ont déclaré que ces accusés ne seraient pas poursuivis, en raison de la sensibilité de l'affaire.

Les juges de la Cour suprême ont par ailleurs confirmé la validité de la loi sur le blasphème.
Partager…