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"Persister": un film poignant redonne une voix à une avocate iranienne emprisonnée

dépêche de presse du 12 octobre 2020 - Agence mondiale d'information - AFP
Pays :
peine de mort / Iran
Mars 2018, à Téhéran: l'avocate Nasrin Sotoudeh se confiait sur sa carrière durant laquelle elle a mené avec un inlassable courage les combats les plus difficiles en Iran: sauver des adolescents de la peine de mort, défendre des minorités religieuses interdites ou se mobiliser pour les droits des femmes.

"Même si ce mouvement n'a pas atteint les résultats escomptés, c'est une expérience et un atout pour nos futurs combats. Et je devrais me dire que +oui, j'ai le droit d'être heureuse!+", confiait-elle dans son magnifique sourire, irradiant un visage doux et de grands yeux noirs déterminés.

Trois mois plus tard, cette défenseure des droits humains en Iran, co-lauréate 2012 du prix Sakharov décerné par le Parlement européen, était emprisonnée pour une durée de cinq ans pour espionnage. En 2019, elle a été à nouveau condamnée, à 12 ans de prison "pour avoir encouragé la corruption et la débauche".

Son arrestation était intervenue après qu'elle ait défendu une femme arrêtée pour avoir manifesté contre l'obligation faite aux Iraniennes de porter le voile.

Avocate réputée, Nasrin Sotoudeh, 57 ans, est depuis incarcérée dans la redoutée prison d'Evine à Téhéran, avec d'autres prisonniers politiques, et a peu de contacts avec le monde extérieur. Son cas a ému dans de nombreux pays. Elle avait déjà été emprisonnée pendant trois ans entre 2010 et 2013, pendant lesquels elle avait mené au moins une grève de la faim.

Elle a mis sa vie en danger lors d'une nouvelle grève de la faim d'un mois et demi entre août et septembre pour dénoncer les conditions d'incarcération des prisonniers politiques détenus pour des motifs "invraisemblables" et leur horizon judiciaire bouché, en pleine crise du Covid-19 en Iran.

Alors que l'avocate reste derrière les barreaux, un documentaire poignant, "Nasrin", réalisé par Jeff Kaufman, lui redonne une voix. Présenté en avant-première en octobre au festival du film américain GlobeDocs, il a été tourné en Iran par des "anonymes" dont les noms ne seront pas dévoilés pour raison de sécurité.

- "Tenir bon" -

Le film relate le parcours de l'avocate et la suit dans son quotidien trépidant et risqué, aux côtés d'enfants victimes d'abus, de proches d'un père de famille tué pour son appartenance à une minorité religieuse ou défendant une femme arrêtée pour avoir manifesté contre l'obligation de porter le voile.

On la voit plusieurs fois, pancartes à la main, manifester pour réclamer la libération de prisonniers d'opinion.

Après sa libération lors de sa première incarcération, elle organise des sit-in sur une chaise, dehors sous une neige tombant drue, entourée de soutiens, devant les bureaux de l'association du barreau d'Iran qui souhaitait l'empêcher d'exercer.

Le documentaire donne à voir sa ténacité pour faire valoir les droits de ses clients face aux autorités judiciaires, confrontée à des décisions incompréhensibles ou au désespoir de familles dont les proches sont morts sous la torture en prison.

Mais aussi expliquant avec douceur à la jeune femme arrêtée pour avoir manifesté contre l'obligation de porter le voile qu'elle doit se préparer à être condamnée à de la prison. "Ma chère Narges, mange une pâtisserie... tu dois prendre des forces", lui lance-t-elle en la réconfortant.

Cheveux courts et rouge à lèvres grenat, l'avocate se confie souvent au volant de sa voiture, tentant de circuler dans les embouteillages monstres de Téhéran.

"Nous devons nous exprimer. Nous devons revendiquer. Nous devons persister. Nous devons tenir bon", martèle-t-elle. "Nos enfants ne devraient pas hériter de notre silence. Tous les groupes, tous les individus devraient être libres de toute peur ou menace (...) Les jeunes de notre pays veulent pouvoir s'habiller comme ils le souhaitent, écouter la musique de leur choix, fréquenter les amis qu'ils veulent... bref, choisir leur destin. Mais aujourd'hui, ce sont eux les plus opprimés", dénonce-t-elle.

L'émotion est palpable lorsque que sa fille et son fils ne sont dans la possibilité de lui parler que lors de rares visites au parloir de la prison ou par téléphone.

Le réalisateur a expliqué à l'AFP que les conditions de tournage en Iran avait "changé radicalement" ces dernières années, et que cela n'avait été possible qu'avec une équipe réduite et discrète. "Ils ont pris beaucoup de risques", dit-il.

Parmi les témoins du film figurent le mari et infatigable soutien de Nasrin, Reza Khandan, l'avocate iranienne et lauréate du Prix Nobel de la Paix 2003 Shirin Ebadi ou le cinéaste iranien dissident Jafar Panahi, interdit de tournage par les autorités et défendu par Nasrin.

Le réalisateur espère que le film permettra d'alerter la communauté internationale sur la situation actuelle de l'avocate. "Ce régime a une politique de pression sur les familles pour les réduire au silence. Mais pour Nasrin et Reza, le silence est l'ennemi du progrès".
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