Plan du site

L. contre la BELGIQUE

requête No 17232/90
décision du 7 avril 1992 - Cour européenne des droits de l'homme
Pays :
peine de mort / Belgique
SUR LA RECEVABILITE

de la requête No 17232/90
présentée par E.L.
contre la Belgique

__________


La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 7 avril 1992 en présence de

MM. C.A. NØRGAARD, Président
J.A. FROWEIN
S. TRECHSEL
F. ERMACORA
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
Sir Basil HALL
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
J.C. GEUS
A.V. ALMEIDA RIBEIRO
M.P. PELLONPÄÄ
B. MARXER

M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;

Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 20 juin 1990 par E.L. contre la
Belgique et enregistrée le 27 septembre 1990 sous le No de dossier
17232/90 ;

Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;

Après avoir délibéré,

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, de nationalité belge, né le 6 juin 1965, est
domicilié à Mons. Avant sa condamnation, il travaillait en tant
qu'ouvrier dans une usine.

Devant la Commission, il est représenté par Maître Emmanuel
Leclercq et Maître Didier Cardyn, avocats à Bruxelles.

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par le
requérant, peuvent se résumer comme suit :

Le 12 octobre 1989, le requérant a été condamné par la cour
d'assises de la province de Hainaut à la peine de mort du chef
notamment de meurtre et de plusieurs vols qualifiés.

Le requérant s'est pourvu en cassation et, invoquant les articles
3 de la Convention et 1er du Protocole N° 6 à la Convention, allégua
que la peine de mort constituait une peine ou un traitement inhumain
ou dégradant.

Par arrêt du 20 décembre 1989, la Cour de cassation rejeta le
pourvoi. D'une part, elle considéra qu'il résultait de l'article 2 de
la Convention que la peine de mort n'était pas, comme telle,
incompatible avec la Convention, si les conditions prévues par cette
dernière étaient réunies. Elle releva que le moyen qui n'indiquait pas
en quoi la condamnation à la peine de mort pourrait, en la cause,
constituer une violation de l'article 3 de la Convention était
irrecevable à défaut de précision. D'autre part, elle souligna que le
Protocole N° 6 visé par le requérant n'avait pas, à ce jour, été
ratifié et que dès lors il ne pouvait avoir aucun effet dans l'ordre
juridique interne.

GRIEF

Le requérant se plaint d'avoir été condamné à la peine de mort
en violation de l'article 3 de la Convention qui interdit les peines
ou traitements inhumains et dégradants. Il invoque également l'article
1er du Protocole N° 6.

EN DROIT

Le requérant se plaint que sa condamnation à la peine de mort
viole l'article 3 (art. 3) de la Convention qui dispose que nul ne peut
être soumis à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Il
invoque également le Protocole N° 6 à la Convention, dont l'article 1er
(P6-1) prévoit l'abolition de la peine de mort.

La Commission remarque tout d'abord que si la Belgique a signé
le Protocole N° 6, elle ne l'a pas encore à ce jour ratifié. La
Belgique n'étant donc pas partie à cet instrument, celui-ci ne peut
être invoqué à l'appui de la présente requête.

La Commission rappelle ensuite que l'article 2 par. 1 (art. 2-1)
de la Convention autorise la peine capitale, sous certaines conditions.
Cette disposition se lit comme suit :

"Le droit de toute personne à la vie est protégé par la
loi. La mort ne peut être infligée à quiconque
intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence
capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est
puni de cette peine par la loi."

Dans l'affaire Soering (Cour eur. D.H., arrêt du 7 juillet 1989,
série A n° 161), la Cour a examiné la question de savoir si la peine
capitale elle-même, compte tenu de l'interprétation évolutive de la
Convention et de l'abandon de fait de la peine capitale en Europe,
constituait désormais un mauvais traitement prohibé par l'article 3
(art. 3) de la Convention. A cet égard, elle a déclaré :

"(La Convention) doit se comprendre comme un tout, de sorte qu'il
y a lieu de lire l'article 3 (art. 3) en harmonie avec l'article
2 (art. 2) (...).
Dès lors, les auteurs de la Convention ne peuvent certainement
pas avoir entendu inclure dans l'article 3 (art. 3) une
interdiction générale de la peine de mort, car le libellé clair
de l'article 2 par. 1 (art. 2-1) s'en trouverait réduit à néant.

Une pratique ultérieure en matière de politique pénale nationale,
sous la forme d'une abolition généralisée de la peine capitale,
pourrait témoigner de l'accord des Etats contractants pour
abroger l'exception ménagée par l'article 3 (art. 3). Le
Protocole N° 6 (P6), accord écrit postérieur, montre qu'en 1983
encore les Parties contractantes, pour instaurer une obligation
d'abolir la peine capitale en temps de paix, ont voulu agir par
voie d'amendement, selon la méthode habituelle, et, qui plus est,
au moyen d'un instrument facultatif laissant à chaque Etat
le choix du moment où il assumerait pareil engagement. Dans ces
conditions et malgré la spécificité de la Convention,
l'article 3 (art. 3) ne saurait s'interpréter comme prohibant en
principe la peine de mort.

Il n'en résulte pas que les circonstances entourant une sentence
capitale ne puissent jamais soulever un problème sur le terrain
de l'article 3 (art. 3). La manière dont elle est prononcée ou
appliquée, la personnalité du condamné et une disproportion par
rapport à la gravité de l'infraction, ainsi que les conditions
de la détention vécue dans l'attente de l'exécution, figurent
parmi les éléments de nature à faire tomber sous le coup de
l'article 3 (art. 3) le traitement ou la peine subie par
l'intéressé. L'attitude actuelle des Etats contractants envers
la peine capitale entre en ligne de compte pour apprécier s'il
y a dépassement de seuil tolérable de souffrance ou
d'avilissement." (Ibidem, pp. 40-41, par. 103 et 104).

La Commission relève que si la peine de mort est encore prononcée
en Belgique, elle n'est plus exécutée. En effet, depuis 1863, cette
peine, lorsqu'elle a été prononcée par les juridictions pour des crimes
de droit commun, est systématiquement commuée en travaux forcés à
perpétuité par la voie de la grâce. Une seule fois, en 1918, pendant
la première guerre mondiale et pour un crime de droit commun commis par
un militaire, elle a été exécutée. En l'espèce, la condamnation du
requérant date du 12 octobre 1989, et il n'a pas soutenu qu'il n'aurait
pas bénéficié de la grâce royale.

Il s'ensuit que la requête est à cet égard manifestement mal
fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

Par ces motifs, la Commission, à la majorité,

DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.


Secrétaire de la Commission Président de la Commission



(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)
Partager…