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La peine de mort de plus en plus mise en doute aux Etats-Unis

dépêche de presse du 1 décembre 2005 - Associated Press - AP
Pays :
peine de mort / Etats-Unis
NEW YORK - "Let's do it". "Allons-y". En 1977, les derniers mots de Gary Gilmore, fusillé par un peloton d'exécution dans l'Utah, sonnaient le retour de la peine de mort aux Etats-Unis après dix ans de moratoire. Depuis, les Etats-Unis ont exécuté en moyenne une personne tous les dix jours, le Texas, la Virginie et l'Oklahoma, se distinguant par leur efficacité en la matière.

Mais près de 30 ans et mille exécutions plus tard, les adversaires de la peine capitale ont relancé le débat, en s'appuyant sur les failles d'un système qui envoie parfois des innocents dans le couloir de la mort.

Immortalisée par Norman Mailer dans "Le Chant du Bourreau", l'histoire de Gary Gilmore, premier condamné exécuté après la décision de la Cour suprême de 1976 qui mit fin au moratoire, est restée dans les mémoires.

Les Américains auraient en revanche du mal à citer le nom d'un seul des plus de 3.400 détenus, dont 118 ressortissants étrangers, qui attendent actuellement dans les couloirs de la mort.

Et le doute a commencé à s'installer ces dernières années au sein de l'opinion publique. Le soutien à la peine de mort n'a jamais été aussi bas: 64% contre 80% en 1994, selon un récent sondage Gallup. Les jurés ont eux-même la main moins lourde: les condamnations à mort ont chuté de moitié depuis la fin des années 90, les exécutions de 40% depuis 1990.

Outre les 12 Etats qui n'appliquent pas la peine de mort, au moins deux, l'Illinois et le New Jersey, ont décrété des moratoires sur les exécutions. La Californie et la Caroline du Nord ont installé des commissions d'évaluation sur la peine capitale, selon le Centre d'information sur la peine de mort à Washington.

Et à la fin de son mandat en 2003, le gouverneur de l'Illinois de l'époque, George Ryan, avait pris l'initiative sans précédent de libérer quatre détenus du couloir de la mort et de commuer la peine de 167 autres, invoquant un système "hanté par le démon de l'erreur".

Ce qui n'empêche pas certaines forces politiques influentes de chercher à accélérer les procédures d'exécutions. Des propositions de loi déposées devant le Sénat et la Chambre des Représentants visent à limiter les recours devant les tribunaux fédéraux, accusés de retarder de 15 ans les procédures. Pour leurs adversaires, c'est encore accroître le risque de voir des innocents exécutés.

A ce jour et depuis 1973, 122 condamnés à mort ont été libérés, la plupart au cours des 15 dernières années, avec la généralisation des tests ADN.

Grâce aux analyses génétiques, l'association new-yorkaise Innocence Projet a pu contribuer à des libérations dans plus de la moitié des 163 affaires traitées, dont 14 détenus des couloirs de la mort. "Nous avons démontré qu'il y avait trop d'innocents dans le couloir de la mort", dit Barry Scheck, son co-fondateur. "Les gens peuvent avoir des positions morales différentes", insiste-t-il, mais ils sont forcés de reconnaître que le système américain de la peine capitale est "rongé par les problèmes".

Pour les opposants à la peine capitale, l'objectif est d'arriver à prouver qu'un innocent est déjà passé sur la chaise électrique, ce qui n'a encore jamais été établi officiellement. L'un des dossiers qu'ils épluchent en ce moment est celui de Larry Griffin, exécuté en 1995 à Saint-Louis pour le meurtre d'un dealer de 19 ans, Quintin Moss, tué par balle en 1980. Les témoignages qui l'avaient fait condamner sont aujourd'hui remis en cause.

Mais les erreurs ne sont pas si courantes, tempère le procureur de Saint-Louis Jennifer Joyce. Sur près de 1.400 dossiers réexaminés par ses services à la lumière des possibilités des tests ADN, seuls trois ont conduit à innocenter des condamnés, dont aucun à mort: "je crains que les gens ne pensent que les erreurs judiciaires sont la règle (...), "c'est généralement l'exception".

Les partisans de la peine capitale préfèrent mettre en avant son côté dissuasif, selon eux, et arguent que leurs adversaires représentent une élite libérale et aisée, qui n'a pas, elle, à souffrir de la criminalité. "De plus en plus, les crimes violents concernent les membres de la classe ouvrière, les pauvres et les personnes de couleur", dénonce Michael Paranzino, président de Throw Away the Key (Jeter la clé), organisation basée à Washington.

Le châtiment est encore plus injuste et discriminatoire que le crime, répond Barry Scheck. Depuis 1976, 34% des condamnés exécutés étaient noirs, selon le Centre d'information de la peine de mort, alors qu'ils représentent 12% de la population.

Et dans 80% des condamnations à mort, la victime était blanche, alors qu'il y a six fois plus de victimes noires de meurtres, selon le FBI. "Quand on a un système injuste, arbitraire et sous-financé dans le plus riche pays du monde, cela porte atteinte à ce qui est, en théorie, le meilleur système judiciaire".
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