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NIGERIA: Survivre en prison, une lutte quotidienne

dépêche de presse du 13 janvier 2006 - IRIN - Réseaux d'Information Régionaux Intégrés
Pays :
peine de mort / Nigéria
KADUNA - Lorsque l'ombre d'un visiteur se profile à l'entrée du bâtiment des condamnés à mort de la prison centrale de Kaduna, dans le nord du Nigeria, une forêt de mains brandissant des gamelles surgit aussitôt à travers les barreaux des cellules sombres.

“Arrière!” crie le gardien aux 118 détenus qui s'entassent dans ce bâtiment vétuste prévu pour abriter 33 prisonniers, et où règne une forte odeur d'urine et de moisi jusque dans la cour attenante.

Résignés, quelques uns reculent et se rassoient sur la natte usée posée à même le sol qui constitue, avec quelques récipients en plastique, le seul mobilier de ces cellules de moins de quatre mètres carrés, dans lesquelles ils vivent souvent à deux ou trois.

Mais le gardien nerveux écourte les visites, empêchant tout dialogue avec les détenus.

De l'aveu des organisations des droits de l'homme qui travaillent dans les prisons nigérianes et de l'administration pénitentiaire elle même, les conditions de détention des condamnés à mort sont loin d'atteindre les critères minimum établis par les Nations unies en matière de droits des prisonniers.

« Ils sont enfermés toute la journée », a déclaré Festus Okoye, directeur exécutif de l'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Monitor (HRM), basée à Kaduna. « Une fois de temps en temps seulement, ils sortent quelques minutes, un par un, pour prendre le soleil tandis que d'autres détenus sont chargés de collecter les seaux qui leur servent de latrines ».

Selon des sources travaillant dans des organisation de défense des droits de l'homme, la plupart de ces prisonniers sont livrés à eux-mêmes et ne reçoivent jamais de visites, leurs familles habitant trop loin ou les ayant abandonnés par peur d'être associées aux crimes qu'ils ont commis. D'autres n'ont tout simplement pas les moyens de payer les sommes que les gardiens demandent pour obtenir un ‘droit de visite'.

Cette année, l'Etat nigérian a reconnu le triste état de ses prisons, et annoncé la libération de quelque 25 000 détenus en attente de jugement –certains depuis plus de 10 ans- pour essayer de décongestionner les prisons.

Cette action pourrait améliorer les conditions de vies de ceux qui vivent dans le quartier des condamnés à mort depuis des années. Car même si les tribunaux continuent à prononcer des sentences capitales, selon l'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW), depuis 1999, un seul condamné a été exécuté dans le nord du Nigeria, les autorités politiques affichant ouvertement leurs réticences en ce qui concerne la peine de mort.

Au niveau national, sur une population carcérale totale de près de 40 000 personnes, ils sont aujourd'hui 548 condamnés à mort, dont une dizaine de femmes, à languir dans les couloirs de la mort des prisons nigérianes, selon Ernest Ogbozor de Prison rehabilitation and welfare action (Prawa), la plus grosse organisation nigériane de défense des droits des prisonniers.

Selon le code pénal nigérian, la peine capitale peut être prononcée pour des actes tels que le vol à main armée, l'homicide volontaire ou encore la trahison. La Chariah, la loi islamique en vigueur dans 12 Etats du nord du Nigeria, prévoit aussi la peine de mort pour certains actes comme les relations sexuelles hors du mariage.

Manque de nourriture

Si la situation des condamnés à mort est particulièrement difficile, celle des autres prisonniers n'est guère plus enviable, et les conditions d'incarcération équivalent souvent à une condamnation à mort pour les détenus les plus faibles.

“Les deux principaux problèmes des prisons nigérianes sont la surpopulation et la sous-alimentation”, a résumé Hassan Saidi Labo, assistant du Contrôleur général des prisons du Nigeria.

La prison centrale de Kaduna ne fait pas exception. Mi-décembre 2005, 957 détenus s'entassaient dans la dizaine de bâtiments - insalubres pour la plupart - de cet établissement pénitentiaire construit il y a près d'un siècle pour abriter 547 prisonniers. Et selon M. Labo, dans certains pénitenciers du pays, la population carcérale est quatre fois supérieure à la capacité de l'établissement.

Dans ces conditions, survivre en milieu carcéral est une lutte quotidienne, a affirmé Félix Obi, aujourd'hui âgé de 54 ans. En 1986, cet homme d'affaires a été condamné à 27 ans de réclusion criminelle pour trafic de drogue. Il a passé « 13 ans et trois mois » derrière les barreaux d'une prison de Lagos, la capitale économique du pays, avant de bénéficier d'une amnistie en 1999.

« On lutte pour avoir un bout de couverture, un bout de savon, un peu plus de nourriture ou des médicaments quand on est malade », a raconté M. Obi, qui travaille maintenant pour Prawa.

« On lutte pour trouver une place par terre pour dormir et pour la conserver. On lutte pour ne pas déprimer, ne pas subir de violences ou pour avoir accès à des activités. En fait, on lutte pour survivre ».

L'implication d'intervenants extérieurs a eu un impact certain sur la vie des détenus. Ainsi, depuis que les établissements pénitentiaires ont été ouverts il y a un peu plus d'une décennie aux organisations humanitaires et religieuses, la mortalité en prison a chuté, passant de plus de 1500 morts par an à la fin des années 80, à 89 décès en 2003, selon les autorités.

Mais le risque de mourir en détention reste élevé, notamment parce que la majorité des prisonniers sont sous-alimentés, a reconnu le docteur Harp Damulak, médecin à l'hôpital de la prison de Kaduna.

La ration alimentaire quotidienne est généralement constituée d'un bol de haricots le matin, puis de manioc l'après-midi et le soir. L'Etat prévoit 150 Nairas (environ un dollar) pour la ration quotidienne d'un prisonnier. Mais cette somme, déjà peu élevée, ne lui parvient pas intégralement.

L'approvisionnement alimentaire des prisons est confié à des sous-traitants, selon les organisations Prawa et HRM. Or ces sous-traitants, en général puissants, ont des connections au plus haut niveau de l'Etat et se servent au passage, avant que les officiels de la prison, « mal payés et démoralisés » ne fassent de même, ont reconnu les autorités pénitentiaires.

Selon le Bureau des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), le salaire mensuel d'un fonctionnaire de l'administration pénitentiaire en début de carrière est de 6 000 Nairas (environ 40 dollars), et au maximum de 40 000 Nairas (quelque 280 dollars) en fin de carrière. La corruption est donc chose commune au regard de ces revenus.

Des conditions qui favorisent la prolifération des maladies

En raison de la malnutrition et de la promiscuité, les prisonniers sont plus fragiles aux infections, comme la tuberculose ou les maladies de peau dues au manque d'hygiène, mais les médicaments manquent, a souligné le docteur Damulak.

Les femmes de la prison de Kaduna sont confrontées aux mêmes difficultés. Elles sont 18 détenues à occuper deux cellules meublées de lits superposés en fer, parfois sans matelas, où les installations sanitaires n'ont plus d'eau depuis longtemps.

« On est dévorées par les moustiques, on a toutes le paludisme mais on n'a pas de moustiquaires et l'hôpital n'a pas de médicaments mis à part du paracétamol », a déclaré Zainab, 32 ans, incarcérée depuis avril dernier. « Il n'y a rien, même pas de serviettes hygiéniques: on doit en partager une pour deux femmes tous les mois ou même parfois pour deux mois ».

Des conditions de détention qui, ajoutées à l'absence d'activités ludiques, professionnelles ou sportives, pèsent sur le moral des détenus. Ainsi, le docteur Damulak a reconnu devoir faire face à de nombreux problèmes psychologiques, notamment des dépressions, alors que le personnel pénitentiaire n'est pas formé pour les prendre en charge.

Pour survivre dans cet environnement, certains prisonniers ont pris les choses en main et se sont organisés.

« Ils ont monté un véritable gouvernement avec par exemple un prisonnier président, un autre chef de la police et un de la justice », a expliqué Okoye de HRM. Une organisation interne que les responsables pénitentiaires voient d'un bon oeil car elle les aide à faire respecter l'ordre dans les établissements, a-t-il ajouté.

Et les autres détenus doivent respecter les règlements, quels qu'ils soient.

« Certains inventent des règles impossibles à suivre », a indiqué Felix Obi. « Par exemple, si un prisonnier influent veut se rendre aux toilettes, tous les autres doivent s'arrêter de parler ou de bouger ».

Les punitions se traduisent en général par des corvées, comme le fait de devoir laver les vêtements des ‘chefs', a-t-il précisé. Mais parfois, il s'agit de châtiments physiques, les violences, y compris sexuelles, entre détenus étant courantes.

Mais cette organisation interne n'empêche pas les émeutes lorsque les conditions de détention deviennent insupportables, a souligné M. Ogbozor de Prawa.

« Ces six derniers mois, il y a eu cinq émeutes dans différentes prisons du pays, elles étaient quasiment toutes liées aux problèmes de sous-alimentation », a-t-il noté.

Selon le programme de libération des détenus récemment annoncé par le gouvernement, ceux qui sont en attente de jugement depuis plus de 10 ans seront immédiatement libérés, de même que les personnes âgées, les personnes en phase terminale, séropositives, ou celles qui ont été emprisonnées pour des périodes allant au-delà de la peine encourue pour leur délit.

Par ailleurs, a reconnu Labo de l'administration centrale des prisons, certains sont là « par hasard », après avoir été arrêtés par erreur par la police ou parce que, trop pauvres, ils ont été emprisonnés pour n'avoir pas pu payer une amende pour des délits mineurs, a ajouté Ogbozor de Prawa.
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