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Le Comité contre la torture examine le rapport des États-Unis

communiqué de presse du 13 novembre 2014 - Organisation des Nations Unies
Pays :
peine de mort / Etats-Unis
Le Comité contre la torture examine le rapport des États-Unis

13 novembre 2014

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport des États-Unis sur les mesures qui ont été prises pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le chef de la délégation, M. Keith Harper, Représentant des États-Unis au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, a rappelé le rôle de premier plan joué par son pays dans l'élaboration de la Convention contre la torture, tout en reconnaissant qu'aucun pays n'était parfait. Les États-Unis ont tiré les leçons du passé et font le maximum pour renforcer la mise en œuvre de la Convention. M. Tom Malinowski, Secrétaire adjoint au bureau de la démocratie, des droits de l'homme et de l'emploi au Département d'État, a ajouté que les États-Unis militaient activement contre la torture partout dans le monde; ils sont absolument convaincus désormais du caractère autant illicite qu'inefficace de la torture. Le Gouvernement américain a eu par le passé recours à des méthodes d'interrogatoire qui s'apparentaient à la torture, mais aujourd'hui, les organes de sécurité se sont dotés de garde-fous contre la torture qui peuvent constituer des modèles pour d'autres. Conseillère juridique au Département d'État, Mme Mary Mcleod, a déploré que les États-Unis ne se soient pas montrés exemplaires dans le respect de leurs valeurs après les attentats du 11 septembre. Elle a assuré que les mesures d'exception s'agissant de l'interrogatoire des détenus avaient été abrogées, y compris à Guantánamo. Les États-Unis considèrent en outre que l'état de guerre ne suspend pas la Convention contre la torture, qui continue de s'appliquer lorsqu'un État est engagé dans un conflit armé. Enfin, M. David Bitkower, Vice-Procureur général adjoint à la section des droits de l'homme et des poursuites spéciales au Ministère de la justice, a déclaré que depuis leur dernier rapport, les États-Unis avaient accompli des efforts importants pour promouvoir les droits civils et pour réformer leur système de justice pénale et les conditions carcérales.

L'importante délégation des États-Unis était également composée de M. James Hood, ministre de la justice du Mississippi, d'un représentant du département des peines de Rhode Island et de représentants des Ministères de la sécurité intérieure et de la défense. Elle a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité s'agissant, entre autres, de la fermeture annoncée et finalement repoussée sine die du centre de détention de Guantánamo; des indemnités prévues pour des détenus ayant été soumis à la torture; du recours à la détention prolongée des migrants; d'agressions sexuelles en prison. Des questions ont aussi porté sur les bavures policières dont les victimes sont majoritairement des jeunes de couleur, ainsi que sur l'utilisation des pistolets à impulsion électrique - ou taser -, qui peuvent se révéler mortels. La délégation a réitéré qu'outre le caractère illicite de la torture, l'expérience a montré que la torture est un moyen contre-productif d'obtenir des informations dignes de foi. Elle a aussi confirmé que la fermeture du centre de détention de Guantánamo demeurait prévue, sans être en mesure toutefois d'indiquer à quelle échéance. Elle a assuré que les États-Unis ne transféraient aucun individu vers des pays où la torture risquerait d'être pratiquée. Les États-Unis sont par ailleurs soucieux de traiter les migrants sans papiers avec humanité. S'agissant de bavures policières dans des villes comme Ferguson dans le Missouri ou de Chicago, il a été indiqué qu'il est procédé à une évaluation des programmes fédéraux permettant de fournir de l'équipement militaire à des forces de police locales.

Les rapporteurs du Comité pour l'examen du rapport étaient M. Alessio Bruni et M. Jens Modvig, qui ont posé de nombreuses questions relatives aux risques posé par les situations d'extraterritorialité quant à l'application de la Convention, en citant en particulier le cas de Guantánamo. Ils ont demandé quelles étaient les perspectives de voir enfin fermé le centre de détention de Guantánamo, rappelant qu'il s'agissait d'un engagement du chef de la Maison Blanche. La pratique de la peine de mort a aussi été questionnée, les experts appelant de leurs vœux la mise en place d'un moratoire, notamment suite à l'agonie de condamnés récemment exécutés. Les mauvaises conditions d'incarcération en prison ont aussi été mentionnées par les deux rapporteurs.

Le Comité adoptera en séance privée des observations finales sur les États-Unis, qui seront rendues publiques à la fin de la session, le 28 novembre prochain.

À sa prochaine séance publique, vendredi 14 novembre dans l'après-midi, le Comité doit conclure l'examen du rapport de la Croatie (CAT/C/HRV/4-5).

Présentation du rapport des États-Unis



Le rapport des États-Unis (CAT/C/USA/3-5) est soumis conformément à la procédure facultative d'établissement de rapports et répond à ce titre à une liste de points à traiter (CAT/C/USA/Q/3-5) préparée par le Comité.

M. KEITH HARPER, Représentant des États-Unis au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, a rappelé que le Président Barack Obama avait affirmé que «la torture viole le droit international et celui des États-Unis, ainsi que la dignité humaine»; elle est «contraire aux textes fondateurs de notre pays et aux valeurs fondamentales de notre peuple». C'est la raison pour laquelle les États-Unis ont joué un rôle de premier plan dans la négociation de la Convention contre la torture. C'est aussi la raison pour laquelle M. Harper s'est dit honoré d'avoir participé la semaine dernière à une cérémonie ayant commémoré ses trois décennies d'existence. Si les États-Unis sont fiers de leur histoire et de leur performance en la matière et s'ils ont accompli de grands progrès depuis leur dernière apparition devant le Comité, ils reconnaissent qu'aucune nation n'est parfaite, à commencer par eux-mêmes. Mais ils estiment avoir appris du passé et ont cherché à renforcer la mise en œuvre de la Convention.

M. Harper a noté la forte présence de la société civile dans la salle et rappelé qu'il en était lui-même issu avant d'entrer au service du Gouvernement, comme c'est aussi le cas d'autres membres de sa délégation. Il a dit avoir ainsi une connaissance de première main du rôle important de la société civile dans l'amélioration de la protection des droits de l'homme.

M. TOM MALINOWSKI, Secrétaire adjoint au bureau de la démocratie, des droits de l'homme et de l'emploi au Département d'État, a rappelé que les États-Unis avaient été fondés sur le principe du respect de la dignité de l'individu. Or, aucun crime n'offense plus la dignité de l'individu que la torture. Son interdiction, ainsi que tout traitement cruel, est inscrite dans la Constitution, et elle lie le Gouvernement fédéral et les 50 États confédérés. Les États-Unis sont convaincus que la torture et les punitions ou traitements cruels, inhumains ou dégradants doivent être interdits en tout lieu, en tout temps, sans aucune exception. L'efficacité éventuelle de la torture ne la rend pas licite pour autant. Mais de surcroit, l'expérience des États-Unis démontre son inefficacité. Il est courant qu'elle soit utilisée pour extorquer de faux aveux ou simplement pour infliger des souffrances. La plupart du temps, ainsi que l'a écrit George Orwell, «l'objet de la torture est la torture». Pour toutes ces raisons, les États-Unis militent activement contre la torture de par le monde. Ils s'efforcent d'en punir les coupables et soutiennent les organisations de la société civile militant pour son éradication.

Les États-Unis ne se considèrent pas comme irréprochables, a ajouté M. Malinowski. Il a rappelé qu'il y a un peu plus d'une dizaine d'années, le Gouvernement des États-Unis avait eu recours à des méthodes d'interrogatoire qui, ainsi que l'a souligné le Président Obama, s'apparentaient à de la torture aux yeux de toute personne sensée. L'épreuve à passer pour tout État partie à la Convention n'est pas tant de reconnaître ses erreurs que d'expliquer ce qu'il a fait pour y remédier, a-t-il souligné. Il a déclaré que désormais, les agences nationales de sécurité des États-Unis se sont dotées de garde-fous contre la torture et la cruauté qui peuvent constituer des modèles pour d'autres.

MME MARY MCLEOD, conseillère juridique au Bureau du conseil juridique du Département d'État, a reconnu qu'après les attentats du 11 septembre, les États-Unis ne se sont pas montrés exemplaires dans le respect de leurs valeurs. Mais depuis lors, le pays a pris des initiatives importantes afin de remplir ses obligations juridiques et pour faire en sorte que ces dérives ne se reproduisent pas. Des textes de loi et des procédures ont été adoptés pour renforcer les garde-fous contre la torture et les traitements cruels, notamment le décret 13491 de la Maison Blanche relatif à la légitimité des interrogatoires et qui s'inspire de la Convention. Elle a aussi souligné que tout individu détenu par les États-Unis dans le cadre d'un conflit doit être traité humainement en vertu du manuel militaire de terrain. Toutes les directives passées qui y étaient contraires ont été abrogées. Sont concernés tout territoire sous la juridiction des États-Unis, y compris la base navale américaine de Guantánamo Bay, sur l'île de Cuba. En outre, les États-Unis considèrent que l'état de guerre n'a pas d'effet suspensif sur les dispositions de la Convention contre la torture, qui continue de s'appliquer lorsqu'un État est engagé dans un conflit armé.

M. DAVID BITKOWER, Vice-Procureur général adjoint à la section des droits de l'homme et des poursuites spéciales au Ministère de la justice, a souligné que l'actuel gouvernement avait contribué à l'important effort de longue haleine visant à remédier aux lacunes passées et à faire en sorte qu'elles ne se reproduisent plus. Il a été réaffirmé solennellement que tout détenu devait être traité avec humanité, de même qu'a été réaffirmé l'engagement que les contrevenants devaient répondre de leurs actes.

M. Bitkower a cité un certain nombre de cas de tortionnaires présumés poursuivis par la justice américaine pour des actes commis dans des pays tels que le Liberia, la Bosnie-Herzégovine ou le Guatemala et qui avaient émigré aux États-Unis. Des citoyens américains ont aussi été poursuivis, le vice-procureur citant le cas d'un militaire reconnu coupable d'avoir violé et tué une adolescente iraquienne et d'avoir massacré sa famille. Il a aussi cité les poursuites engagées contre des entreprises de sécurité privées américaines en Iraq.

Depuis le précédent rapport, les États-Unis ont accompli des efforts importants pour promouvoir les droits civils et pour réformer le système de justice pénale, a affirmé M. Bitkower. Si la grande majorité des membres des forces de l'ordre accomplissent leur tâche avec intégrité et dans le respect des communautés qu'elles servent, le Ministère de la justice veille à régler les éventuels problèmes systémiques et à sanctionner ceux qui abuseraient de leur pouvoir. Ainsi, 330 policiers ont été poursuivis ces cinq dernières années.

Des efforts sont aussi déployés pour améliorer la situation carcérale, a-t-il ajouté, citant plusieurs cas de dénonciation d'abus de la détention en isolement, dans les établissements pénitentiaires de Pennsylvanie notamment. Le pays a aussi pris des mesures pour prévenir, détecter et répondre aux abus sexuels en prison avec un texte de loi spécifique.

Examen du rapport



Questions et observations des membres du Comité

M. ALESSIO BRUNI, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport des États-Unis en ce qui concerne les articles 1 à 9 de la Convention, a rappelé que l'interdiction absolue de la torture ne connaissait aucune frontière géographique. Il a souhaité que la délégation confirme que la Convention était appliquée par les États-Unis à l'égard de ses agents à l'étranger, sans limitation géographique. Car si de telles limitations existent, alors les États-Unis ne peuvent affirmer l'absolue interdiction de la torture en ce qui les concerne. Elle se limiterait à ses frontières et serait pleinement autorisée dans le reste du monde. M. Bruni, qui s'est félicité des diverses déclarations du Président Obama condamnant sans équivoque la pratique de la torture, a demandé à la délégation de commenter la position du chef de l'État selon laquelle cette pratique était non seulement criminelle mais aussi totalement inefficace. De même, le manuel de terrain de l'armée américaine semble en arriver à la même conclusion, fruit sans doute d'une longue expérience. M. Bruni a aussi souhaité que la délégation commente les directives de ce manuel. Il a demandé si des études sont disponibles qui analyseraient la pratique de la torture et démontreraient son inefficacité. Dans l'affirmative, le Comité souhaiterait vivement que les États-Unis partage ces résultats avec lui.

Saluant l'approche positive adoptée par le Président Obama dans ce domaine, M. Bruni a demandé quelles mesures concrètes avaient été prises pour concrétiser sa position sans ambiguïté contre la torture. M. Bruni a aussi demandé ce qu'il en était à l'heure actuelle des «techniques d'interrogatoire renforcée» qui, selon le chef de l'État lui-même, constituent une forme de torture. Concrètement, il a souhaité savoir de la délégation ce qu'il fallait entendre par des «conséquences mentales durables» qui, selon diverses analyses officielles aux États-Unis, sont caractéristiques des conséquences de la torture. De quelle durée parle-t-on? Ces techniques renforcées sont-elles concernées? M. Bruni a aussi souhaité savoir si des responsables avaient été poursuivis pour actes de torture.

S'agissant des cas d'extraditions extraordinaires (transferts illégaux) en vertu desquelles des individus soupçonnés d'activités terroristes ont été enlevés par la CIA (services de renseignement) et remis aux autorités de pays pratiquant la torture, le rapporteur a souhaité que la délégation s'exprime à ce sujet et dise si des mesures avaient été prises afin de condamner publiquement cette pratique.

M. Bruni a par ailleurs relevé que le rapport des États-Unis (§ 15) affirme que «la Convention ne contient aucune disposition imposant de tenir un registre des détenus». Le rapporteur a indiqué à cet égard que le Comité considérait que l'enregistrement de tout détenu était le premier acte susceptible de prévenir la torture et les mauvais traitements. Il s'est demandé pour quelle raison les États-Unis considéraient que l'enregistrement des détenus ne s'imposait pas parmi les mesures visant à prévenir la torture.

Après avoir posé des questions concrètes sur les méthodes d'interrogatoire, la privation de sommeil notamment, M. Bruni a abordé la question du centre de détention américain de Guantánamo Bay sur l'île de Cuba. Le rapport indique que 166 détenus y étaient incarcérés en 2013, chiffre qui était semble-t-il de 149 en mai dernier, selon la presse. Combien sont-ils aujourd'hui? Combien d'entre eux sont sujets à des poursuites en justice? Combien sont détenus en tant que suspects sans avoir jamais été inculpés? Où en est-on de l'intention maintes fois réaffirmées du Président Obama de fermer ce centre de détention, a demandé M. Bruni, qui a souhaité savoir si un plan et un calendrier ont été fixés. Il a aussi souhaité savoir comment les États-Unis justifiaient l'alimentation forcée des détenus en grève de la faim, qui peut être considéré comme un traitement interdit par la Convention. Enfin, il a demandé pour quelle raison il avait été opposé un refus au Rapporteur spécial sur la torture d'avoir des entretiens en tête à tête avec des détenus de Guantánamo, refus que M. Bruni a jugé inacceptable. Suite aux réponses de la délégation à ce sujet, il a souligné que le Rapporteur spécial ne pouvait travailler de façon efficace que s'il avait la possibilité de s'entretenir en tête à tête avec des détenus. Il a dit ne pas comprendre quel problème de sécurité pouvait poser le refus qui lui était opposé de rencontrer des détenus de Guantánamo.

La délégation peut-elle donner des exemples de personnes qui n'auraient pas été extradées des États-Unis vers des pays où elles auraient risqué d'être soumises à la torture, a demandé M. Bruni. Le rapport met en effet en avant l'obtention d'«assurances diplomatiques» avant tout transfert, alors que le Comité considère qu'aucune assurance de cette nature ne peut remplacer le principe de non-refoulement. En effet, si de telles assurances sont demandées, c'est qu'il existe de fortes présomptions que la torture soit pratiquée dans le pays vers lequel le détenu est susceptible d'être renvoyé.

M. Bruni a mentionné le «phénomène dramatique des mineurs non accompagnés entrant illégalement aux États-Unis. Depuis l'an dernier, plus de 68 000 d'entre eux ont été appréhendés à la frontière mexicaine. Selon des sources fiables, la majorité d'entre eux ont été placés en centres de rétention pour de longues périodes quand ils n'ont pas été immédiatement expulsés.

Le rapporteur a soulevé la question de la peine capitale et mentionné les longues années que les condamnés passaient dans le «couloir de la mort», soulignant que cette situation d'incertitude pouvait s'apparenter à de la torture mentale. Il a aussi dénoncé les longues agonies lors de la mise à mort dans des cas récents et appelé les États-Unis à la mise en place d'un moratoire.

En ce qui concerne les conditions de détention dans les prisons des États-Unis, M. Bruni a relevé que les risques de sévices, sexuels notamment, semblent courants. Il a demandé si les mesures prises pour y remédier avaient eu un impact. Il a relevé plusieurs cas témoignant des mauvaises conditions de détention, s'agissant en particulier de la surpopulation carcérale et de l'absence de climatisation l'été dans certains centres, au Texas notamment. Il a enfin demandé à la délégation les raisons pour lesquelles les États-Unis n'adhèrent pas au Protocole facultatif sur la prévention de la torture.

M. Bruni a félicité les États-Unis d'être le principal contributeur – à hauteur de 75% - au Fonds volontaire des Nations Unies pour les victimes de la torture.

M. JENS MODVIG, rapporteur pour l'examen du rapport des États-Unis en ce qui concerne les articles 10 à 16 la Convention, a d'abord abordé la question de l'application extraterritoriale de la Convention et demandé si les États-Unis considèrent que la Convention s'applique dans les territoires sur lesquels ils ont un contrôle de droit ou de fait. Il a demandé quel était le statut de l'application de la Convention au centre de détention de Guantánamo Bay, qui est sous le contrôle effectif des États-Unis. Comment le pays justifie-t-il le refus du droit à un procès équitable opposé à certains détenus?

L'expert a demandé des précisions sur l'obligation d'inclure l'interdiction de la torture dans la formation des fonctionnaires de l'État. S'agissant de l'éthique médicale face aux pratiques d'alimentation forcée, pouvant être considérées comme un mauvais traitement, M. Modvig a demandé combien de détenus de Guantánamo étaient actuellement en grève de la faim et quelles réponses avaient été apportées à leurs revendications.

De manière générale aux États-Unis, les détenus n'ont pas le droit fondamental d'avoir accès au médecin de leur choix car ils doivent obligatoirement consulter un médecin pénitentiaire. M. Modvig a abordé à son tour certains chapitres du manuel militaire de terrain, s'interrogeant sur certaines techniques de transfert des prisonniers permettant de les priver de leurs capacités sensorielles pendant de longues heures.

M. Modvig a demandé quelles mesures avaient été prises à la fois par les autorités fédérales et les États pour revoir les pratiques de la police à la suite des récents événements de Ferguson dans le Missouri. Il a aussi souhaité avoir des précisions sur les militaires traduits devant un tribunal militaire pour mauvais traitements.

Se félicitant de l'engagement des États-Unis à favoriser la réhabilitation des victimes de la torture, il s'est toutefois inquiété de capacités d'accueil inférieures aux besoins, en donnant pour preuve de longues listes d'attente dans la plupart des centres. Les États-Unis envisagent-t-il d'accroître leurs moyens? Il a constaté par ailleurs que les personnes se plaignant d'avoir été torturées aux États-Unis se heurtaient généralement au fait qu'on leur opposait l'immunité des fonctionnaires concernés, quand ce n'est pas le secret d'État. Il a aussi souhaité savoir combien de victimes de torture à Guantánamo aujourd'hui libérés avaient obtenu réparation. M. Modvig a demandé quelles mesures avaient été prises pour appliquer le principe de l'inadmissibilité des preuves obtenues par la contrainte, y compris par le tribunal militaire de Guantánamo.

Afin de parvenir à une prévention effective de la torture, les États-Unis pourraient-il envisager de permettre aux organisations de la société civile de surveiller les lieux de détention, y compris les hôpitaux psychiatriques? M. Modvig a lui aussi souligné la prévalence de sévices sexuels commis par des membres du personnel pénitentiaire et dans l'armée. Il a aussi demandé quelles mesures avaient été prises pour éviter les mauvais traitements envers les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres en détention. Il a souhaité connaître la réglementation de la détention à l'isolement.

Le corapporteur a posé une série de questions concernant la situation des migrants, souhaitant notamment savoir comment la délégation justifiait les mesures expéditives de renvoi, ainsi qu'à l'inverse la rétention prolongée d'individus pacifiques ne représentant pas une menace. Quelles garanties ont été mises en place pour éviter les mauvais traitements à l'égard de demandeurs d'asile?

Enfin, M. Modvig a demandé à la délégation si elle pouvait fournir des informations sur l'existence passée ou présente de centres de détention secrets, ainsi que le nombre de personnes qui pourraient y être détenues.

Parmi les autres membres du Comité, un expert a demandé si des indemnités étaient prévues pour des détenus ayant avoué sous la torture. Une autre experte a posé une question sur les sans-abris et si des mesures avaient été prises pour améliorer leur situation. Elle a aussi posé une question sur la stérilisation forcée des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres et évoqué les sévices sexuels commis par des membres du clergé catholique, ainsi que dans les prisons. Elle s'est inquiétée du sort des migrants en rétention et souhaité des précisions sur la réglementation les concernant.

Une autre experte a demandé si les «détenus de haute importance», suspects de terrorisme, mentionnés dans le rapport (§ 278), concernaient uniquement ceux de Guantánamo. Elle a souhaité savoir qu'elle était la base juridique de la classification de ces détenus. L'experte a en outre constaté une sorte d'immunité générale dans le temps et dans l'espace et a souhaité savoir s'il existait une possibilité de sortir de l'impunité. Elle a mentionné par ailleurs les nombreuses bavures policières enregistrées, notamment dans une ville comme Chicago, dont les victimes sont essentiellement des jeunes de couleur, s'étonnant d'une telle situation dans le pays qui a été le théâtre de la lutte victorieuse pour les droits civils. Plusieurs membres du Comité se sont interrogés sur l'utilisation des pistolets à impulsion électrique (taser), qui auraient fait plus de 400 morts selon certaines sources. Enfin, le vice-président du Comité, M. George Tugushi, qui présidait la réunion, a demandé quelles mesures avaient été prises pour diminuer le recours à la détention prolongée des migrants et quels étaient les recours dont ils disposaient face à cette situation.

Un membre du Comité a souligné le risque que les pratiques abusives du passé n'aient laissé des traces, appelant les autorités américaines à se montrer vigilants à cet égard. Un autre membre du Comité a observé que dans une ville comme Chicago, 75% des victimes de tirs de la police étaient noirs alors que cette communauté ne dépasse pas les 3% de la population dans cette ville. Une experte a demandé si des sanctions avaient été prises à la suite des violences policières de Ferguson. Elle a aussi souligné que les détenus de Guantánamo vivaient dans une situation de non-droit, estimant que les Conventions de Genève n'autorisaient pas un tel cas.


Réponses de la délégation

La délégation des États-Unis a réaffirmé que la Convention contre la torture s'applique non seulement dans les situations de conflit armé mais aussi dans les situations où existe une menace de guerre. Les États-Unis n'émettent aucune réserve dans ce domaine et aucun militaire américain ne peut se dédouaner en déléguant la pratique de la torture à des autorités étrangères. Toute allégation de mauvais traitement doit faire l'objet d'une enquête. Plusieurs milliers d'enquêtes ont été ouvertes depuis 2001 qui ont conduit à la mise en cause de plusieurs centaines de militaires, a rappelé la délégation. Plus de 70 enquêtes ayant conduit à des procès devant un tribunal militaire ont ainsi été menées en Afghanistan. La délégation a ajouté qu'il existe une trentaine de centres de soins pour les victimes de torture, répartis dans 19 États.

Au-delà des principes, l'expérience des États-Unis et de nombreux autres pays montrent que la torture est un moyen contre-productif d'obtenir des informations dignes de foi. Au bout du compte, loin d'affaiblir le principe de rejet de la torture, les regrettables pratiques du passé l'ont renforcé. Elle a réitéré que les États-Unis étaient juridiquement liés par l'interdiction de la torture, y compris à Guantánamo et dans la base de Bagram en Afghanistan.

S'agissant des techniques d'interrogatoire, les anciennes méthodes ne seront plus jamais appliquées, a assuré la délégation américaine. Elle a répété que toute forme de torture était formellement interdite. Il s'agit d'une interdiction juridiquement contraignante, a-t-elle insisté, rappelant qu'outre la Convention, d'autres instruments - tels que les Conventions de Genève - interdisaient la torture. S'agissant de la portée géographique, les États-Unis estiment que ces obligations s'étendent à tous les lieux où l'État-partie a autorité. C'est le cas de la base navale de Guantánamo Bay, ainsi que de tout navire et bâtiment battant pavillon américain. Les États-Unis considèrent donc qu'ils ont obligation d'y respecter la Convention. Aucune déclaration obtenue par la torture n'est recevable devant une commission militaire.

Les techniques d'interrogatoire prévues par le Army Field Manual (manuel des opérations de l'armée sur le terrain) respectent les obligations juridiques américaines et internationales, a poursuivi la délégation. Elles s'appliquent à toute institution américaine concernée, y compris le «Groupe d'interrogatoire des détenus de haute importance» (High-Value Detainee Interrogation Group) chargé des terroristes les plus dangereux. Cela s'applique à tout individu détenu aux États-Unis ou dans tout lieu sous contrôle effectif des États-Unis. Ce Groupe a été créé pour améliorer la capacité des États-Unis à interroger ces suspects en réunissant des fonctionnaires du FBI, de la CIA et du Ministère de la défense. Quant aux «techniques d'interrogatoire renforcé», elles ne sont plus pratiquées et la CIA a fermé ses centres de détention en 2009. Quant au FBI (police fédérale), il dispose d'une gamme de contrôles internes et de mécanismes de surveillance visant à prévenir, détecter et régler toute violation de la loi ou des politiques en vigueur à cet égard.

S'agissant de la question relative à l'engagement du Président Obama de fermer le centre de détention de Guantánamo Bay, la délégation a rappelé que cette intention avait été réaffirmée par lui en mai 2013 lors d'un discours devant la National Defense University dans lequel il a énuméré les étapes pour y parvenir. Depuis lors, 18 détenus de Guantánamo ont été transférés. Les autorités ont pour préoccupation de ne plus détenir que des individus qui continuent de représenter une menace importante pour les États-Unis. À l'heure actuelle, 148 individus sont détenus en vertu de l'autorité de la loi de la guerre. Sur ce nombre, 79 ont vocation à être transférés dès que seront obtenues des garanties sur les conditions de sécurité et un traitement humain; 33 détenus sont passibles de poursuites, soit devant des tribunaux fédéraux, soit par des commissions militaires; et 36 sont couverts par la loi sur la détention en temps de guerre, un statut qui est réévalué périodiquement.

Ces détentions sont légales, à la fois en vertu du droit international et des lois américaines, a insisté la délégation américaine. En vertu du droit international, les États-Unis sont impliqués dans un conflit armé avec al Qaida, les taliban et les forces qui leur sont associées. Dans le cadre de ce conflit, les États-Unis ont capturé des belligérants et, en vertu du droit de la guerre, ils peuvent les détenir jusqu'à la fin des hostilités.

La délégation a par ailleurs assuré que les commissions militaires appliquaient toutes les garanties minimales fondamentales de procédures édictées par les Conventions de Genève et qu'elles allaient même parfois au-delà. Parmi ces garanties, figurent la présomption d'innocence et le droit à un conseil. Depuis 2009, tout aveu obtenu par la torture est expressément invalidé. Tout détenu de Guantánamo a droit à des soins de santé de qualité respectant la déontologie médicale. La proposition de soumettre les détenus à des examens par des médecins non militaires porterait atteinte à l'efficacité du suivi médical. Toutefois, au cas par cas, les autorités ont permis à titre exceptionnel des visites médicales de médecins non militaires. Face aux grèves de la faim, l'alimentation forcée n'est utilisée qu'en mesure de dernier recours pour remédier à des conséquences sur la santé, notamment par déshydratation. Les États-Unis ont pour politique de préserver la vie par tout moyen clinique approprié. Cela est fait dans le respect des règles du droit local et international compatible avec un traitement humain. En réponse à d'autres questions, la délégation a réitéré qu'il s'agissait de maintenir en vie le détenu et qu'il ne s'agit en aucun cas, bien au contraire, de lui faire du mal.

Le chef de la délégation, M. Harper, a dit que son gouvernement était favorable à une visite du Rapporteur spécial sur la torture à Guantánamo. Toutefois, l'accès privé à des détenus est accordé uniquement aux avocats ou au Comité international de la Croix-Rouge.

Toute personne détenue pour une période durable est inscrite dans un registre et immatriculée. Toute personnes ainsi enregistrée est signalée au Comité international de la Croix-Rouge qui a connaissance du lieu de détention. Elle est soumise à un entretien lors de sa libération au cours de laquelle elle peut exprimer ses préoccupations et signaler tout éventuel mauvais traitement. La délégation a toutefois reconnu qu'aux États-Unis, il n'existe pas de règle unifiée quant au mode d'enregistrement des détenus.

S'agissant des conditions de détention, la délégation a indiqué que pour la première fois depuis 1980, le nombre de détenus dans les prisons fédérales avait diminué de quelques 4800 personnes entre septembre 2013 et 2014, sur un total de 216 000 détenus. Cette diminution s'inscrit dans les efforts prioritaires en ce sens entrepris par le Ministère de la justice, notamment pour lutter contre la surpopulation carcérale. La délégation a en outre souligné que les détenus ont la possibilité de porter plainte. Ils ont notamment obtenu gain de cause dans un recours intenté en raison de la chaleur excessive régnant dans un pénitencier de Louisiane. La détention à l'isolement est interdite aux États-Unis, étant considérée comme un traitement cruel. La division des droits civils a toutefois connaissance de cas de violations de cette interdiction dans une vingtaine d'États et de territoires.

Par ailleurs, le Ministère de la justice a le devoir de protéger les droits des jeunes détenus. En 2011, environ 7400 adolescents étaient détenus dans des prisons pour adulte. En 2011-2012, 4,7% d'entre eux ont été victimes d'agressions sexuelles, ce pourcentage étant du double dans les établissements pour mineurs. Celui-ci est toutefois en baisse en raison d'une diminution des attitudes répréhensibles du personnel.

Pour ce qui a trait à la peine capitale et aux longs délais entre la condamnation et l'exécution, les États-Unis ne pensent pas que ces retards dus à la possibilité qu'a tout condamné d'introduire des recours puissent être assimilables à de la torture mentale.

En réponse à des questions relatives aux bavures policières et s'exprimant sur les émeutes de Ferguson dans le Missouri, la délégation a indiqué qu'une enquête criminelle était en cours au sujet du décès du jeune Michael Brown, enquête qui est distincte de l'enquête locale et qui concerne d'éventuels violations des droits civils au niveau fédéral. Par ailleurs, le Président Obama a ordonné au Gouvernement d'évaluer les programmes fédéraux permettant de fournir de l'équipement militaire à des forces de police locales. S'agissant de la situation à Chicago, les enquêtes menées n'ont pas démontré de violations passibles de poursuite. La délégation a expliqué, s'agissant de l'usage du pistolet à impulsion électrique (taser), que celui-ci obéissait à des règles garantissant son innocuité. Tout usage inapproprié par les forces de l'ordre peut faire l'objet de sanctions. Elle a par la suite ajouté que les tasers ne provoquent pas d'accidents cardiaques et ils apparaissent comme un moyen fiable pour le maintien de la sécurité publique.

En matière de non-refoulement, la délégation américaine a assuré que les États-Unis ne transféraient aucun individu vers des pays où la torture risquerait d'être pratiquée. Si le risque de mauvais traitements est plus probable qu'improbable, il n'y a pas de renvoi. Dans certains cas, des assurances diplomatiques du pays concernés ne suffisent pas: c'est le cas par exemple en ce qui concerne la Chine. En cas d'assurances diplomatiques retenues par les États-Unis, ceux-ci demandent à avoir accès à la personne renvoyée une fois de retour dans son pays. En cas de problème, il est mis un terme à tout renvoi vers ce pays.

Les États-Unis ont pour priorité de traiter de façon humaine les migrants sans papiers dans le respect de la loi et de la Constitution, a indiqué la délégation, et ils privilégient autant que faire se peut les alternatives à la détention. Tout demandeur d'asile est référé à un fonctionnaire chargé des cas de demande d'asile. Les fonctionnaires de l'immigration bénéficient d'une formation spécifique en matière de droits des migrants. Ces derniers ont en outre accès à un conseil juridique. Quant aux mineurs non-accompagnés, ils ne sont pas retenus plus longtemps que la période nécessaire pour examiner leur cas.

S'agissant de l'adhésion des États-Unis au Protocole facultatif (prévoyant la mise en place d'un mécanisme de prévention de la torture), la délégation a souligné qu'un certain nombre d'obstacles pratiques et juridiques s'y opposaient.

Conclusion



Le chef de la délégation des États-Unis, M. HARPER, a déclaré que les deux derniers jours de débat avait confirmé que les États-Unis et le Comité partageaient les mêmes valeurs. L'interdiction de la torture est absolue et ne souffre aucune restriction. Il a rendu hommage aux membres de la société civile présents dans la salle pour assister à l'examen de leur pays. Cet examen par les experts du Comité aura constitué un dialogue de grande valeur qui se poursuivra en particulier lors du prochain examen périodique des États-Unis par le Conseil des droits de l'homme.
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