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Pakistan : l'échafaud se rapproche pour Shafqat, condamné à mort à l'adolescence

dépêche de presse du 22 décembre 2014 - Agence mondiale d'information - AFP
Pays :
peine de mort / Pakistan
Thèmes :
Le Pakistan exécutera-t-il des jeunes pour venger d'autres jeunes? Condamné à mort pour un meurtre alors qu'il était adolescent, Shafqat Hussain pourrait être l'un des prochains à monter sur l'échafaud avec la reprise des exécutions décidées dans la foulée du carnage taliban dans l'école de Peshawar.

Depuis cette attaque qui a choqué le pays, il a fallu moins d'une semaine à Islamabad pour décréter la fin de son moratoire sur les exécutions de peine de mort et pendre six de ces condamnés.

Et ce n'est apparemment que le début: le Pakistan a annoncé lundi qu'il prévoyait d'en exécuter 500 autres ces prochaines semaines, soit la totalité ou presque de ceux condamnés par des tribunaux antiterroristes, la catégorie concernée par la fin du moratoire.

Ces tribunaux spéciaux ont été mis en place en 1997 pour accélérer les procédures judiciaires, parfois interminables dans ce pays très bureaucratique de près de 200 millions d'habitants, pour les cas d'attaques contre l'Etat. Mais au fil des ans, des personnes sans lien avec des groupes terroristes y ont été jugées, et elles aussi risquent aujourd'hui d'être pendues.

C'est le cas de Shafqat Hussain, un jeune condamné originaire des montagnes du Cachemire (nord) dont le cas symbolise pour plusieurs organisations de défense des droits de l'Homme les "dérives" des tribunaux antiterroristes pakistanais.

En avril 2004, Shafqat travaille comme garde à Karachi, l'instable mégalopole portuaire du sud, lorsqu'un garçon de sept ans de son quartier, Umair, disparaît.

Quelques jours après, la famille d'Umair reçoit des appels passés du téléphone portable de Shafqat et exigeant une rançon d'un demi million de roupies (environ 8.500 dollars à l'époque) pour sa libération, selon des documents judiciaires obtenus par l'AFP.

La famille d'Umair porte plainte, et Shafqat est interpellé 41 jours plus tard. Lors de son premier interrogatoire, l'accusé avoue le kidnapping et le meurtre d'Umair, dont le corps glissé dans un sac plastique a été retrouvé dans un ruisseau.

Il se rétractera ensuite, affirmant avoir avoué sous la menace des policiers. Mais l'affaire est portée devant un tribunal antiterroriste, qui le condamne à mort en moins d'un an.

Or Shafqat n'avait que 15 ans à l'époque des faits, selon des documents judiciaires, et aurait donc dû être jugé par un tribunal pour mineurs, et échapper à la peine de mort qui ne peut pas être infligée à un mineur au Pakistan, selon Amnesty international. Saisie en appel, la justice n'a toutefois pas vu dans ce jeune âge un motif valable pour casser le premier verdict.

La famille de Shafqat a écrit au président pour lui demander de commuer sa peine de mort en prison à vie. Mais en vain, et son nom a resurgi cette semaine dès l'annonce de la levée du moratoire en vigueur depuis 2008.

Les autorités carcérales de Karachi, où Shafqat est écroué depuis une décennie, ont demandé vendredi à un tribunal antiterroriste de signer son ordre d'exécution, au grand dam de sa famille et d'associations mobilisées pour lui sauver la vie.

"Que les autorités appliquent la peine de mort contre des terroristes ne me pose aucun problème. Mais elles font fausse route en exécutant des criminels ordinaires", souffle au bout du téléphone Gul Zaman, le frère aîné de Shafqat, en continuant à plaider son innocence.

Une équipe de l'AFP avait demandé l'an dernier à rencontrer Shafqat, écroué à la prison centrale de Karachi. Mais la demande avait été refusée en raison de menaces d'attentats dans l'établissement, selon les autorités carcérales.

Selon Chiara Sangiorgio, spécialiste des détentions de mineurs chez Amnesty International, le cas de Shafqat n'est pas isolé.

Au moins sept personnes se trouvent actuellement dans les couloirs de la mort au Pakistan pour des crimes qu'ils auraient commis étant mineurs, dit-elle. Dans ce groupe, deux, dont Shafqat, ont été condamnés par des tribunaux antiterroristes.

"La majorité de la population pakistanaise n'a pas de certificat de naissance, et il est très difficile à un inculpé de prouver qu'il est bien mineur, à moins d'avoir un bon avocat... ce qui est rarement le cas pour nombre de citoyens", explique-t-elle.

Et avec le traumatisme national né de l'attaque talibane contre une école de Peshawar, qui a fait 149 morts dont 133 écoliers, les défenseurs des droits de l'homme craignent de voir le droit sacrifié sur l'autel de la guerre contre le terrorisme.

Samedi, au lendemain des deux premières exécutions, Human Rights Watch a dénoncé "une lâche réaction politicienne aux assassinats de Peshawar", et demandé la reprise du moratoire.

"Qui pendons-nous ?", s'interroge Sarah Belal, une avocate pakistanaise qui défend les condamnés à mort. Pour elle, "une chose est claire: beaucoup de ceux qui seront amenés à l'échafaud dans les prochains jours ne sont pas des terroristes".
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