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Chine: pour sa fille violée, le combat acharné d'une "mère courage"

dépêche de presse du 20 mai 2013 - Agence mondiale d'information - AFP
Pays :
peine de mort / Chine
PEKIN (AFP) - L'enlèvement, le viol et la prostitution forcée de sa fille avaient amené Tang Hui à demander justice. Mais l'obstruction permanente des autorités chinoises, et jusqu'à son propre emprisonnement, a fait d'elle une activiste prête à tout.

Pendant sept ans, elle s'est battue contre les hommes qui avaient violé sa fille et le système qui l'empêchait d'agir, jusqu'à obtenir la mobilisation de l'opinion lors de son internement en camp de travail l'an dernier, faisant d'elle une "cause célèbre" en Chine.

L'indignation soulevée par sa condamnation a contraint les autorités à la libérer. Tang a repris aussitôt son combat, sans illusion. Mais elle refuse de baisser les bras.

"Ce qui a le plus changé pour moi, c'est que je ne crois plus en la justice dans cette société", lance-t-elle en élevant la voix, lors d'une interview à Changsha, capitale de sa province natale du Hunan (centre).

La mère de 40 ans secoue ses cheveux fatigués: une coupe au carré, qui repousse doucement après avoir été tondue à blanc dans le camp de travail.

"Je continuerai, bien-sûr", prévient-elle.

Tang a voulu que les sept hommes qui ont forcé sa fille --11 ans à l'époque-- à se prostituer en 2006 soient châtiés. Mais aussi la dizaine de policiers qu'elle accuse d'avoir violé l'enfant et falsifié des preuves pour couvrir les proxénètes.

Elle a retrouvé sa fille trois mois plus tard dans un bordel. Le policier en charge du dossier a refusé d'intervenir, selon elle. "Il n'est pas même pas entré à l'intérieur (du bordel). Il est resté devant, puis il est reparti en voiture".

Finalement, d'autres policiers sont venus sauver sa fille. Mais ce n'était que le début, pour Tang, et au long de son combat, raconte-elle, elle s'est fait tabasser, accuser à tort et interner en camp de travail.

Pour Yu Jiangrong, chercheur à l'Académie chinoise des sciences sociales, Tang Hui est tombée dans ce qu'il qualifie de "cercle vicieux": ces citoyens ordinaires qui deviennent des militants obsessionnels parce que le tort qu'ils ont subi n'est pas traité correctement.

"Les autorités locales ont recours à des méthodes si violentes que les revendications des gens se radicalisent", écrivait-il dans une des rares critiques publiques du régime en décembre dernier.

La fillette en est sortie terrifiée. Elle a attrapé un herpès, fait encore des cauchemars aujourd'hui et fuit les hommes. Pour éviter d'être stigmatisée, elle a déménagé dans une autre province et change d'école presque tous les ans.

Sa mère est restée au Hunan pour obtenir justice. Elle a suivi impatiemment les étapes du procès des ravisseurs. Un an pour qu'il s'ouvre, puis, de tribunaux en tribunaux, l'affaire a traîné quatre ans de plus. Un temps singulièrement long pour un système judiciaire volontiers expéditif.

Du coup, Tang Hui en est devenue "activiste", dans un pays où l'agitation est vite étouffée.

Elle qui a arrêté ses études au primaire et survit en tenant une boutique a écrit son histoire sur des tracts qu'elle a distribués dans la rue. A deux reprises, elle est restée des heures agenouillée devant le tribunal de Changsha. De là, elle est allé à Pékin porter sa requête aux autorités centrales, un mode de contestation ancestral en Chine.

Soucieux de conserver leur poste en parant aux moindres troubles dans leur province, le chefs locaux l'ont mise sous surveillance: "Chaque fois que je me rendais à Pékin, ils me ramenaient de force", raconte-t-elle.

Détenue à plusieurs reprises à Changsha, elle est si violemment battue une fois qu'elle passe plus d'une semaine à l'hôpital, vomissant, le visage tuméfié.

En juin 2012, deux des sept kidnappeurs sont condamnés à mort, quatre à la prison à vie et un à quinze ans de réclusion.

Mais Tang veut la condamnation des policiers. Elle récolte 12 mois de travaux forcés dans un camp proche de Changsha.

Dans ces camps, les tortures sont courantes: décharges électriques, mise aux fers, positions insupportables, ainsi que l'a révélé un magazine chinois en avril.

Tang n'était pas autorisée à parler avec ses co-détenues et n'a donc jamais su ce qu'elles avaient enduré.

En une semaine, la nouvelle de sa détention a fait le tour de l'internet et provoqué la colère de l'opinion. L'Etat doit "protéger les citoyens", dira un internaute.

Tang a saisi la justice pour sa condamnation. Demande rejetée, elle fait appel. Ses chances de victoire sont "infimes", dit-elle.

"Les gens ordinaires, comme moi, on peut bien s'agenouiller mille fois, dix mille fois, on obtiendra jamais de résultat", mais "si on ne le fait pas, ces gens ne paieront jamais pour ce qu'ils ont fait", dit-elle.
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