Plan du site

Intervention de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

discours du 21 juin 2016 - Ministère des Affaires Etrangères français - France
6e congrès mondial contre la peine de mort - Intervention de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international (Oslo, 21/06/2016)
(Seul le prononcé fait foi)


Monsieur le Président d'honneur du Congrès, Cher Robert Badinter,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Monsieur le Haut-Commissaire aux droits de l'Homme des Nations unies,

Monsieur le Directeur d'Ensemble contre la peine de mort,

Mesdames et Messieurs,

La lutte contre la peine de mort est un enjeu de civilisation. Mener le combat pour son abolition universelle est donc un impératif.

Lorsque, le 10 septembre 1977, une guillotine ôte pour la dernière fois, en France, la vie d'un homme, seuls 16 pays à travers le monde ont aboli la peine de mort. Aujourd'hui, près de quarante ans plus tard, 103 États - la majorité - ont banni la peine capitale. Parmi eux, plusieurs l'ont fait récemment - Madagascar, Fidji, le Suriname, la République du Congo ou la Mongolie -. Qu'ils en soient félicités.

Ce faisant, ils ont mis fin au plus injuste, au plus inhumain, au plus inefficace des châtiments. Jamais la peine de mort n'a fait reculer la criminalité. Jamais son abolition ne l'a fait augmenter. Jamais aucun système juridique n'a pu éviter l'erreur judiciaire, alors que la perte de vie humaine, elle, est toujours irréparable.

Notre cause gagne donc du terrain. Mais, devons-nous pour autant relâcher nos efforts ?

Bien au contraire. 2015 est, en effet, l'année d'un record, d'un terrible record, d'un record dont l'humanité devrait rougir, du record du plus grand nombre d'exécutions depuis 25 ans. L'épouvantable réalité, c'est que, selon les sources officielles, 1.634, oui, je dis bien 1.634 personnes, ont été exécutées dans 25 pays, en une seule année. Et, nous savons bien que cette affreuse statistique est sous-estimée.

Aux quatre coins du monde, une violence d'État, une violence admise, une violence institutionnalisée, une violence scénarisée se poursuit, implacablement. Et, ce scénario nous ne le connaissons que trop bien. J'ai déjà évoqué la guillotine et ce triste spectacle de la lame qui tranche la vie d'un homme, devant un public réuni dans la cour d'une prison par un matin blafard. Ce spectacle, il a heureusement cessé dans mon pays. Mais, ailleurs ?

Ailleurs, c'est encore parfois une balle dans la nuque administrée par un policier, avec autant de balles que nécessaire, si la mort n'est pas immédiate. Ailleurs, c'est la décapitation en place publique, après la grande prière, ou la lapidation. Ailleurs, c'est la pendaison appliquée, y compris par un pays qui avait pourtant décrété un moratoire.

Ailleurs, ce sont, après la chaise électrique, des injections létales, dont l'efficacité incertaine donne parfois lieu à des procédures aussi hallucinantes que macabres. Cette réalité qui concerne des hommes, des femmes, et aussi des enfants, il faut la voir en face pour en comprendre toute l'horreur.

Pire encore, la tentation irrationnelle d'opposer le sang au sang resurgit. Des responsables politiques de pays ayant aboli la peine de mort ou ayant suspendu son application, évoquent son rétablissement, réclament un retour en arrière, préconisent la loi du talion, prétendant transformer ainsi l'État en bourreau.

Je le dis avec force : rien ne peut servir de prétexte à la peine de mort.

On ne combat pas la barbarie, y compris la plus abjecte à laquelle l'organisation criminelle Daech nous a habitués, en la reproduisant. Brandir la menace de la peine capitale face à des individus pour qui la mort représente une aspiration à devenir des «martyrs» ne ferait que servir leurs objectifs. On ne combat pas plus le crime par l'inhumanité. Avoir recours à la peine de mort, ce n'est pas appliquer une condamnation pénale, c'est commettre une faute morale, c'est violer le plus fondamental des droits de l'Homme, le droit à la vie.

L'opinion publique ne peut pas davantage servir d'argument. Pour abolir la peine de mort, il faut savoir précéder l'évolution de nos sociétés, être le phare qui ouvre la voie - pour reprendre une formule familière à Robert Badinter.

L'exemple français en est l'illustration. En 1981, une majorité de mes compatriotes était en faveur de la peine de mort. Cela n'empêchera pas François Mitterrand, alors candidat à l'élection présidentielle, d'avoir le courage de montrer le chemin, de croire en l'intelligence de son peuple et de déclarer peu avant le vote : «Je ne cacherai pas ma pensée. (...) Dans ma conscience, dans le for de ma conscience, je suis contre la peine de mort».

Cher Robert, je n'oublierai jamais ce courage et cette persévérance, dont vous avez fait preuve aux côtés de François Mitterrand pendant de longues années. Ce courage a changé le cours de notre histoire.

Les différences culturelles ou religieuses ne peuvent pas non plus être invoquées. Les droits de l'Homme sont universels. Et, d'ailleurs, des pays de toutes les régions du monde, de toutes les cultures et de toutes les confessions ont choisi de reconnaître la valeur suprême de la vie humaine et ont dit non à la peine de mort. Votre présence aujourd'hui en témoigne.

Car notre choix est bien celui des valeurs, celles sur lesquelles reposent la démocratie et l'État de droit. Dans un monde troublé, ces valeurs sont notre boussole et notre force, pas notre faiblesse. C'est en elles que nous puiserons toute l'énergie nécessaire à la lutte contre le crime et contre la terreur, en leur apportant une réponse d'autant plus forte, d'autant plus ferme, qu'elle continuera à s'inscrire dans les principes de justice et de liberté qui sont notre vrai bouclier contre la barbarie.

Pour toutes ces raisons, l'abolition universelle de la peine de mort est une priorité pour la France. C'est pourquoi je me réjouis d'être aujourd'hui parmi vous pour promouvoir haut et fort cet objectif commun. Bien sûr, nous sommes tous mobilisés dans les enceintes multilatérales et notamment aux Nations unies, où il nous appartient sans relâche de favoriser le mouvement abolitionniste.

Mais cette lutte passe aussi par un travail de terrain, et la France est pleinement engagée. Nos ambassades agissent avec ténacité pour alerter, mobiliser, convaincre. Une grande partie de nos financements consacrés aux droits de l'Homme va aux campagnes pour l'abolition de la peine de mort. Les nombreuses initiatives réunissant et accompagnant les avocats, les magistrats, les journalistes et les parlementaires abolitionnistes reçoivent notre soutien.

Sur le modèle de celui organisé à Paris en 2013, un séminaire parlementaire, consacré à l'Afrique subsaharienne francophone sera prochainement organisé par «Ensemble contre la peine de mort» et l'organisation internationale de la Francophonie. Avec nos partenaires de la société civile, les actions de sensibilisation des jeunes sont fondamentales, parce que ces jeunes sont les citoyens et, pour certains, les décideurs de demain. Ils portent la promesse d'un monde sans peine de mort.

Mesdames et Messieurs,

Victor Hugo écrivait que le combat contre la peine de mort était «le plus élevé, le plus saint, le plus auguste» des combats. Près de deux cents ans plus tard, c'est toujours vrai. Car quelle légitimité peut-on avoir à défendre des valeurs, des principes, aussi nobles et indispensables soient-ils, si dans le même temps on tolère la mise à mort comme mode de régulation de nos sociétés. La peine de mort représente la négation de nos valeurs les plus chères, la négation de toute justice, une marche à revers de l'histoire, une victoire de l'inhumanité.

C'est un hommage à l'humanité, à la démocratie et à la liberté que je propose de rendre, à l'occasion de ce 6ème congrès contre la peine de mort.

Je vous remercie./.
(Jean-Marc Ayrault)

Documents liés

Partager…