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Sénégal - Des islamistes s'opposent à l'abolition de la peine de mort

dépêche de presse du 20 août 2004 - Inter Press Service (IPS)
Pays :
peine de mort / Sénégal
DAKAR, 20 août (IPS) - Des religieux réunis au sein du Collectif des associations islamiques (CAI) du Sénégal, s'insurgent contre le projet d'abolition de la peine de mort dans le pays, proposé par le président Abdoulaye Wade, et qui sera soumis prochainement à l'Assemblée nationale.

''Dans un pays à 95 pour cent musulman, supprimer la peine de mort est inconcevable'', a déclaré à IPS, Assane Sylla, membre du CAI et professeur à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, la capitale sénégalaise.

Créé en 1974, le CAI regroupe environ 17 associations islamiques.

Etat laïc d'Afrique de l'ouest, le Sénégal compte plus de 10 millions d'habitants, dont une forte majorité de musulmans, selon des sources officielles. ''Le Coran n'exclut pas la peine de mort. Donc, nous ne pouvons pas cautionner l'abolition de la peine capitale au Sénégal, car elle constitue une excellente arme de dissuasion'', indique Sylla, qui est également le vice-président du Cercle d'études et de recherches islamiques du Sénégal (CERID).

Selon Sylla, le Coran note que la peine de mort favorise un gain de vie, car son application empêche le meurtrier de récidiver. ''La peine de mort n'est appliquée dans l'islam que si le meurtrier a tué froidement, et a prémédité son acte'', explique-t-il à IPS, ajoutant : ''Un Sénégal sans l'application de la peine de mort serait inadmissible''.

Pour le CAI, si la peine de mort est abolie au Sénégal, les délinquants et les voleurs pourront faire tout ce qu'ils veulent sans craindre d'être tués en représailles.

Le collectif, qui n'envisage, pour le moment, aucune mobilisation, invite les députés, la société civile et tous les musulmans à ne pas défendre ce projet de loi qui, selon le CAI, est en contradiction avec les préceptes de l'islam.

Dans une déclaration faite le 15 juillet, en Conseil des ministres, le président Wade avait annoncé un projet de loi supprimant la peine de mort. Il a rappelé que depuis les premiers jours de son investiture à la tête du Sénégal, il avait déjà assuré qu'il n'y aurait pas d'exécution à la peine capitale. ''Pour cela, j'exprime un point de vue et une sensibilité; seul Dieu a le droit d'enlever la vie à quelqu'un'', avait-il ajouté.

Par ailleurs, avait expliqué Wade, ''il y a, dans le monde, un courant abolitionniste et depuis que je suis à la tête du Sénégal, je suis saisi par des demandes d'association et d'ONG, et même de pays qui proposent la suppression de la peine de mort''.

Le président Wade est déjà assuré du soutien d'une bonne partie de la société civile et des organisations de défense des droits de l'Homme dans sa volonté d'abolir la peine capitale au Sénégal.

La Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme (RADDHO) recommande fortement aux parlementaires sénégalais de voter comme ''un seul homme'' le projet de Loi sur l'abolition de la peine de mort, qui consacre le droit à la vie inhérent à tout être humain.

Le secrétaire exécutif de la RADDHO, Alioune Tine, a salué la décision du président Wade qui, dit-il, ''a fini de mettre en adéquation l'article 7 de la constitution votée par référendum en février 2001 et qui consacre le caractère sacré de la personne humaine avec la pratique et la culture abolitionniste du Sénégal''.

Le Comité sénégalais des droits de l'Homme (CSDH) a également exprimé sa ''satisfaction'' par rapport à la décision du gouvernement de proposer au parlement un tel projet de loi.

Le CSDH, qui a qualifié la décision ''d'action salutaire'', souligne le contexte international marqué par un mouvement abolitionniste depuis la conférence sur la question, tenue en 1997 à Ibadan, au Nigeria. Selon le CSDH, ''la peine de mort constitue une source d'erreurs irréparables qui sapent le fondement démocratique de l'Etat''. Le comité a par ailleurs estimé que son application ''constitue une atteinte grave au droit à la vie''.

Le même sentiment de satisfaction est noté du coté de la section d'Amnesty International au Sénégal. ''Cette décision doit être accueillie comme un désir de concrétiser la volonté de sacraliser la vie, exprimée par les Sénégalais à travers la constitution plébiscitée par référendum'', explique Demba Ciré Bathily, avocat et président d'Amnesty International/Sénégal.

Selon des statistiques publiées cette année par Amnesty International/Sénégal, ce sont 118 pays et territoires, dans le monde, qui ont aboli la peine capitale de jure ou de facto.

Depuis 1990, plus de 35 pays et territoires ont aboli la peine de mort pour tous les crimes. Parmi eux, figurent des pays africains (Afrique du Sud, Angola, Côte d'Ivoire, Ile Maurice, Mozambique). En moyenne, plus de trois pays par an ont aboli la peine capitale pour tous les crimes au cours de la dernière décennie.

Le barreau sénégalais, qui n'a jamais cessé de lutter pour l'abolition définitive de la peine de mort, a salué à sa juste valeur cette décision. ''La peine de mort n'a plus sa raison d'être dans notre arsenal juridique'', clame MBaye Jacques Ndiaye, avocat, qui affirme : ''Avec la constitution adoptée par référendum le 7 janvier 2001, les Sénégalais ont implicitement accepté d'abolir la peine de mort''.

Se prononçant sur la levée de bouclier de certains islamistes sénégalais suite à l'annonce du projet de loi supprimant la peine de mort, Ndiaye estime qu'il ne faut pas faire d'amalgame et qu'il faut ''éviter les confusions inutiles parce que la charia n'est pas applicable au Sénégal''.

''Avec ce projet de loi, le Sénégal vient d'opérer le saut de l'ange dans les profondes mutations en cours qui exigent une rationalisation et une harmonisation rigoureusement conformes avec ses engagements internationaux et avec l'évolution de nos lois nationales'', a ajouté l'avocate défenseur des droits humains, Mame Bassine Niang.

Le Sénégal a connu seulement deux exécutions capitales depuis l'indépendance, en 1960. D'abord en 1967, avec l'exécution de l'assassin d'un député et ancien ministre de la Jeunesse et des Sports.

La même année, a eu lieu la deuxième exécution capitale à la suite d'une tentative d'assassinat de l'ancien président sénégalais, Léopold Sédar Senghor, venu assister à la prière de la Tabaski à la grande mosquée de Dakar, le 22 mars 1967. Malgré les nombreuses interventions des chefs religieux et coutumiers, le président Senghor n'avait pas accédé à la demande de grâce présidentielle.

Les crimes de sang sont de plus en plus fréquents au Sénégal ces dernières années, avec une montée du grand banditisme. A sa dernière session de l'année, la Cour d'assises de Dakar a condamné à la peine capitale les auteurs de deux cas de vols avec violence ayant entraîné la mort. Le chômage des jeunes, l'exode rural et la pauvreté pourraient expliquer en partie cette flambée de violence, selon des analystes.

Actuellement, quatre condamnés à mort attendent d'être exécutés. La peine de mort est prévue par le Code pénal sénégalais dont l'article 287 indique notamment que ''tout coupable d'assassinat, de parricide... sera puni de mort''.
(Par Abdou Faye)
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