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Rapport du Sénat sur l'abolition de la peine de mort (extrait)

No 395
rapport du 28 septembre 1981 - Sénat français - France
Pays :
peine de mort / France
N° 395
SENAT

SECONDE SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1980-1981
Annexe au procès-verbal de la séance du 28 septembre 1981.

RAPPORT

FAIT
Au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale (1), sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant abolition de la peine de mort.

Par M. Paul GIROD, sénateur.



SOMMAIRE


Introduction

I. - La peine de mort à travers l'histoire
1. L'Antiquité et l'Ancien droit
2. La philosophie des Lumières et la remise en cause de la peine de mort
3. Le regain du mouvement abolitionniste et la controverse juridique (1815-1918)

II. - Le contexte international : la suppression de la peine de mort en Europe occidentale
1. Le droit comparé
A. - La peine de mort en Europe
B. - La peine de mort hors de l'Europe
2. Les recommandations internationales
A. - Au niveau mondial
B. - Au niveau européen

III. - Les termes du débat dans la France d'aujourd'hui
1. L'opinion publique
2. L'avis des spécialistes
3. La position des autorités morales
4. Les positions politiques et parlementaires
A. - Les travaux parlementaires de 1791 à nos jours
B. - La position des partis et des élus

IV. - Le projet de loi
1. La législation en vigueur
2. Les articles du projet de loi

Examen en Commission

Conclusion

Tableau comparatif

Annexes
Annexe I - Crimes pour lesquels la peine de mot est encourue en droit français
Annexe II - Etat des condamnations capitales prononcées pour crimes de droit commun
Annexe III - Déclaration de M.Alain Peyrefitte, garde des sceaux
Annexe IV - Nombre d'exécutions de condamnés à mort de 1958 à 1981
Annexe V - Répartition des condamnés à mort et des condamnés à perpétuité selon la durée de détention



Introduction



MESDAMES, MESSIEURS,

Dans toutes les civilisations qui se sont succédé au fil des siècles, la peine de mort semble s'être imposée comme une règle naturelle, voire même indispensable à la bonne organisation de la société.

Ce n'est qu'au "siècle des Lumières" que le châtiment suprême fut remis en question, dans son principe même, au nom de la dignité de l'homme.

Un bref rappel historique montrera, d'ailleurs, que l'attitude des sociétés relative au droit d'infliger ou de ne pas infliger la mort à l'un de ses membres a toujours été influencée par leur situation politique et sociale et par l'importance des tabous religieux.

A la question de savoir qui doit donner la mort (la famille de la victime, la Cité ou l'Etat), s'est progressivement substituée une interrogation sur les conditions de la mise en oeuvre de cette sanction et les modalités de son application. C'est seulement à partir des temps modernes que le problème de la légitimité du châtiment capital s'est imposé comme une question fondamentale.


I. - LA PEINE DE MORT A TRAVERS L'HISTOIRE




1. L'ANTIQUITÉ ET L'ANCIEN DROIT




A. - Les temps primitifs.


Dans les temps primitifs, c'est la vengeance familiale ou privée qui prédomine. La prise en charge de la répression par la Cité, puis par l'Etat, traduisit un degré plus élevé d'organisation des sociétés.

Si les impératifs de la défense de l'ordre public, politique et religieux ont suscité, en particulier durant les périodes troublées, un développement considérable de la peine de mort, un autre courant s'est incontestablement dessiné dès l'Antiquité.

Ce courant s'est d'abord efforcé de soustraire au châtiment suprême celui qui a causé la mort d'autrui par simple imprudence, sans intention malveillante.

Le souci majeur des Pharaons de l'Egypte ptoléméique fut de créer une organisation politique et sociale stable; ceci les conduisit à multiplier le nombre des crimes capitaux. Dès que leur pouvoir sembla plus assuré, ils limitèrent considérablement les cas d'incrimination passibles de la peine de mort.

A Babylone, si la peine de mort est infligée tant pour les crimes contre les personnes que pour les atteintes aux biens, la notion de crime "involontaire" commence à se dégager.

Dans la Grèce classique, le meurtre commis sous l'empire de la colère sera classé dans une catégorie toute proche du crime "involontaire" et ne sera pas non plus sanctionné par la peine de mort.

Dès cette époque, la prise en considération de l'intention coupable permet l'absolution de meurtriers qui auraient, sinon, encouru la peine de mort. Dans de nombreuses cités grecques par exemple, le meurtrier "involontaire" échappe à la mort, la notion de "meurtrier involontaire" s'appliquant tant à l'auteur d'un homicide exempt d'intention malveillante qu'à l'auteur d'un meurtre commis en état de légitime défense.

A Rome, le droit de vie et de mort du pater familias sur ses enfants et sur ses esclaves disparaît corrélativement avec les progrès de la cité romaine, en fait d'abord, sous la pression des moeurs, puis en droit; en cas de crime extérieur à la famille, la famille de l'agresseur peut se mettre à l'abri des représailles en le livrant à la famille de la victime : c'est «l'abandon noxal» qui marque la transition entre la responsabilité collective de la famille et la responsabilité individuelle du coupable.

Les premières sociétés organisées paraissent avoir favorisé la pratique de la compensation pécuniaire : obligation pour le meurtrier de payer une amende à la famille de la victime qui, elle, est obligée d'accepter le rachat.

Les lois germaniques prévoyaient de véritables tarifs telle la loi des Francs Saliens, où le prix d'un meurtre est différent suivant que la victime est un Franc ou un Gallo-Romain, un homme libre ou un esclave.

B. - L'Ancien droit.


Alors que l'époque franque s'était caractérisée par un certain recul de la peine de mort (on préférait, bien souvent, utiliser le procédé de "la compensation pécuniaire") l'époque féodale verra se multiplier les motifs d'exécution capitale et les tortures accompagnant le supplice.

Saint Thomas d'Aquin estimait alors que : "Le péché et la menace pour l'ordre public justifient la peine capitale." On mentionnera, cependant, l'attitude très novatrice de la secte des Vaudois qui, au XII° siècle, au nom du commandement de Dieu "Tu ne tueras point", fit valoir que la vengeance ne pouvait être du ressort des hommes, mais de Dieu seul.

Avec le renforcement du pouvoir monarchique, le droit de donner la mort passe du seigneur au Roi; celui-ci en usera largement dans le but d'asseoir son autorité spirituelle et temporelle, n'hésitant pas à accroître encore les cas d'incrimination (notamment pour les crimes que le droit romain avait qualifiés de lèse-majesté, les crimes contre la religion, contre les moeurs, contre les biens) et les modalités d'exécution des supplices.


D'autre part, l'importance extrême des valeurs religieuses entraîne l'application de la peine de mort chaque fois qu'une société estime qu'une action coupable est une offense à ses lois divines. Les plus légères infractions aux préceptes de la liturgie, de la foi ou de la discipline religieuse seront punies, parfois avec davantage de rigueur que les crimes mêmes barbares perpétrés contre les personnes.


Il faudra attendre la fin de l'Ancien Régime pour que les juges commencent à s'interroger sur la responsabilité du criminel. Au début du XVIII° siècle, on cite encore des cas de procès et d'exécutions publiques d'animaux.

2. "LA PHILOSOPHIE DES LUMIÈRES" ET LA REMISE EN CAUSE DE LA PEINE DE MORT




Les philosophes des Lumières commencent par dénoncer l'usage abusif de la peine capitale. Ils s'interrogent aussi sur la façon la moins inhumaine d'infliger la mort.


Si le châtiment suprême lui apparaît indispensable, Montesquieu considère qu'il faut abolir la torture et éliminer de la liste des crimes capitaux les simples atteintes aux biens; ne remettant pas en cause le principe de la peine de mort ("c'est pour ne pas être la victime d'un assassin que l'on consent à mourir si on le devient"), Jean-Jacques Rousseau s'élève lui aussi contre la pratique de la torture. S'insurgeant de la même manière contre la "barbarie" qui accompagne alors le supplice, Voltaire revendique l'application du principe de la légalité des peines. Le grand magistrat Servan souhaite, quant à lui, limiter la peine capitale à un petit nombre de crimes exceptionnels, cette idée sera, au demeurant, reprise par Diderot et d'Alembert.

Mais c'est avec le Traité des délits et des peines du jeune César Beccaria que va s'amorcer, en 1776, le grand courant abolitionniste qui trouvera toute son ampleur dans la première moitié du XIX° siècle. Pour ce juriste milanais : "L'expérience de vingt siècles le prouve : la crainte du dernier supplice n'a jamais empêché des hommes décidés à offenser la société" et : "En donnant aux hommes l'exemple de la cruauté, la peine de mort n'est pour la société qu'un mal de plus."


Cet ouvrage considérable a eu une grande influence sur les esprits du temps (Voltaire devient partisan de l'abolition) mais aussi sur les législations de certains pays : en 1786, Léopold II abolit la peine de mort en Toscane, un an plus tard, en 1787, Joseph II la supprime en Autriche. Dans les années qui suivent, la plupart des grands pays européens limiteront considérablement les cas d'incrimination passibles de la peine de mort et s'orienteront vers l'abolition de la torture.

Reprenant l'argumentation de César Beccaria, le grand juriste Pastouret démontre, en 1790, l'inutilité du châtiment capital et souligne les risques d'erreurs judiciaires.


Sous la Révolution, de nombreux constituants s'interrogeront sur la légitimité de la peine de mort, Le Peletier de Saint-Fargeau (rapporteur de la Commission législative chargée d'élaborer un Code pénal) proposera son abolition. Le principe de cette abolition fut même proclamé en 1795, sa mise en oeuvre étant réservée pour la période qui suivrait la fin des hostilités.


En 1810, le nombre des crimes capitaux prévus par le Code pénal est fort réduit par rapport à l'Ancien Régime; les infractions contre la religion et les bonnes moeurs ne sont plus sanctionnées par la peine de mort. Le rétablissement des crimes religieux par la Restauration (loi du sacrilège) expliquera, en partie, le grand mouvement abolitionniste qui s'amorcera dès le deuxième quart du XIX° siècle.


3. LE REGAIN DU MOUVEMENT ABOLITIONNISTE ET LA CONTROVERSE JURIDIQUE (1815-1918)




Sans laisser dans l'ombre les problèmes métaphysiques ou religieux que pose la peine capitale, la controverse juridique du XIX° siècle s'est plus particulièrement préoccupée du caractère utilitaire de cette sanction.

Chaque argument avancé par les partisans du maintien de la peine de mort s'est vu opposer un contre-argument abolitionniste.

Pour les premiers, la peine de mort doit subsister car elle a toujours existé; elle repose sur une idée de réparation qui exige que le châtiment soit proportionné au crime; elle est indispensable au maintien de l'ordre public et chacun doit accepter la suppression d'un petit nombre pour maintenir la conservation du plus grand nombre. Le châtiment capital a de plus, pour les partisans de son maintien, une fonction exemplaire : elle fait diminuer la criminalité car les criminels craignent la sanction.

A ces arguments s'en ajoutaient d'autres que l'on trouverait aujourd'hui plutôt pittoresques : "avec l'abolition de la peine de mort, la France risque de voir accourir sur son territoire les criminels du monde entier" ; par ailleurs, à partir des travaux de Lombroso qui établissaient que la criminalité était d'origine physiologique, certains estimaient que l'épuration de la race nécessitait leur élimination.

A cela les abolitionnistes ont répondu que, si la peine de mort a toujours existé, l'examen des sociétés fait apparaître "le tableau d'un vaste océan d'erreurs", pour reprendre la formule de Beccaria; à l'argument fondé sur l'idée de réparation, qui n'est pour eux que l'idée de la vengeance, ils ont opposé la possibilité de l'amendement du criminel; en ce qui concerne la défense de l'ordre public, les abolitionnistes ont affirmé que la seule détention suffisait à éliminer le criminel et, partant, à préserver la société; contre l'argument de l'exemplarité de la sanction, ils ont répondu que le criminel est la plupart du temps soumis à des pulsions incontrôlables et que la peur du châtiment ne retiendra jamais son geste; utilisant déjà les statistiques de l'époque, les abolitionnistes ont affirmé que la criminalité n'était pas plus importante dans les pays ayant rejeté la peine capitale que dans les autres.

Les idées de certains grands écrivains abolitionnistes (Victor Hugo), ainsi que les travaux de spécialistes (le Belge Thonessen, le Français Charles Lucas) ont contribué à susciter un grand courant d'abolition dans toute une partie du monde dès le milieu du XIX° siècle.

- Aux Etats-Unis, de nombreux Etats abolissent la peine de mort : le Michigan en 1848, le Wisconsin en 1853.

- En Europe, dans beaucoup de pays, l'abolition de droit suit l'abolition de fait : Italie, Autriche, Norvège, Pays-Bas.

En Allemagne, une tentative d'abolition échoua en 1848; le Code pénal allemand, publié en 1878, maintint la peine de mort pour les seuls assassinats; elle ne fut guère utilisée jusqu'à l'avènement du nazisme.
En Grande-Bretagne, une évolution lente s'est dessinée : en 1839, les crimes capitaux voient leur nombre réduit (il n'en restera que quatre en 1861); au demeurant, le souverain utilisera assez souvent son droit de grâce.
En France, le courant abolitionniste qu'appuyaient l'éloquence de Victor Hugo et celle de Lamartine ne parvint pas à ébranler le législateur; la Constitution de 1848 abolit, cependant, solennellement la peine de mort en matière politique.

On remarquera, d'autre part, que revenant sur le système des peines fixes prévu par le Code pénal de 1810, la loi du 28 avril 1832 introduisit, dans notre législation, la notion de circonstances atténuantes; la conséquence en fut une diminution considérable du nombre des exécutions.

[...]

III. - LES TERMES DU DEBAT DANS LA FRANCE D'AUJOURD'HUI




1. L'OPINION PUBLIQUE



Si l'on en croit les enquêtes effectuées par les instituts de sondage depuis une vingtaine d'années, seules sources d'information dont on dispose sur cette question, les Français se partagent entre adversaires et partisans de la peine de mort suivant des proportions assez variables.

Selon un sondage effectué par l'Institut français d'opinion publique en mai 1960, une majorité de Français se prononçait en faveur de l'abolition de la peine de mort (contre la peine de mort : 50% ; pour la peine de mort : 39% ; sans opinion : 11%); selon un autre sondage effectué en octobre 1969, le courant abolitionniste s'était sensiblement renforcé (contre la peine de mort : 58% ; pour la peine de mort : 33% ; sans opinion : 9%).

Au mois de décembre 1972, un nouveau sondage d'opinion publique révélait une perte de vitesse du courant abolitionniste (contre la peine de mort : 27% ; pour la peine de mort : 63% ; sans opinion :10%).

En 1974, cependant, les personnes interrogées favorables à la peine de mort ne sont plus que 50% ; en revanche, une nouvelle enquête réalisée par l'institut S.O.F.R.E.S., au mois de février 1975, montrait que 83% des personnes interrogées approuvaient le ministre de l'Intérieur d'alors qui réclamait la peine capitale en cas de prise d'otage, d'enlèvement suivi de mort et de meurtre de policier. En octobre 1975, le nombre des partisans de la peine capitale retombe à 58%. Plus récemment, au mois de janvier 1979, un sondage S.O.F.R.E.S. marquait, semble-t-il, une stabilisation des proportions de partisans et d'adversaires de la peine capitale (56% de l'échantillon interrogé restaient favorables à la peine de mort tandis que 34% se prononçaient "contre").

Au tout début de l'année 1981, les adversaires de l'abolition ne représentaient plus que 52% des personnes interrogées au cours d'une nouvelle enquête ; si l'on en croit les conclusions des très récents sondages dont les résultats sont actuellement publiés, ce chiffre serait remonté à 62 ou 63% des réponses.

Il n'est pas douteux qu'un certain malaise, lié à l'impression d'insécurité, contribue, depuis quelques années, au maintien d'une proportion relativement élevée de Français se déclarant adversaires de l'abolition de la peine capitale.


2. L'AVIS DES SPECIALISTES



Au cours des dernières années, un certain nombre de spécialistes se sont penchés sur les problèmes généraux du droit pénal et de la procédure devant les tribunaux répressifs.

En avril 1978, la commission de révision du Code pénal a publié un "avant-projet définitif de Code pénal" (Livre 1. - Dispositions générales). En ce qui concerne la peine capitale, le projet précise que tous les membres de la commission se sont déclarés hostiles à son principe et ont souhaité qu'elle disparaisse à terme de notre législation.

Dans le rapport remis au Président de la République par le "comité d'études sur la violence, la criminalité et la délinquance", au mois de juillet 1977, figure une recommandation n° 103 qui : "propose l'abolition de la peine de mort et - dans le cas où le législateur prendrait une pareille décision, qui appartient à lui seul -, son remplacement par une peine dite de sûreté, qui pourrait être prononcée dans les cas suivants

- rapt d'enfant et prise d'otage quand la victime n'est pas rendue vivante;
- assassinat de toute personne concourant directement ou indirectement au fonctionnement d'un service public;
- assassinat d'une personne choisie comme victime en raison de sa faiblesse;
- récidive de crime de sang.

Au cours de sa séance du 29 avril 1981, le Conseil économique et social a adopté, sur le rapport de M. Marcel Blanchart-Jacquet, un avis sur la "sécurité des personnes et des biens en France".

Dans un paragraphe consacré à "la répression des crimes particulièrement odieux", celui-ci souligne que "la peine de mort n'est plus guère appliquée que dans les règlements de compte entre "gens du milieu". (On remarquera, entre parenthèses, que le caractère dissuasif de la peine capitale est au moins reconnu dans le "milieu" : ce qui peut constituer un argument pour les anti-abolitionnistes.) "Officiellement abandonnée dans un certain nombre de pays, elle est souvent contestée et peu mise en pratique..." et, se plaçant dans la perspective de son éventuelle abolition, cet avis propose que : "La peine capitale soit remplacée par une peine de sûreté quasi définitive, sans recours possible."


3. LA POSITION DES AUTORITÉS MORALES



- Au mois de janvier 1978, l'épiscopat français rendait publique la conclusion d'une réflexion de sa commission sociale qui déclarait : "Le refus de la peine de mort correspond, chez nos contemporains, à un progrès accompli dans le respect de la vie humaine. Pour nous, ce progrès dans le respect de l'homme est une approche du respect dont Dieu entoure sa créature..."

Un an plus tard, la commission sociale de l'épiscopat et la commission sociale, économique et internationale de la fédération protestante de France publiait une déclaration oecuménique où l'on pouvait lire : "... Témoins de Jésus-Christ qui ne désespère d'aucun homme quelle que soit sa faute, nous souhaitons que la peine de mort soit abolie dans notre pays."

Dans sa séance du 22 février 1981, le conseil de la fédération protestante a réaffirmé son opposition à la peine de mort.

Le grand rabbin Samuel Sirat a, d'autre part, rappelé il y a un mois : "Pour nous, la peine de mort doit être vue comme ce qu'elle est : un homicide. Elle relève donc d'un interdit qu'aucun être humain ne peut enfreindre."


4. LES POSITIONS POLITIQUES ET PARLEMENTAIRES




A. - Les travaux parlementaires de 1791 a nos jours.

Depuis la Révolution, de très nombreuses propositions de loi ont été déposées en vue d'abolir la peine de mort.
Dès le vote du Code pénal de 1791, des pétitions furent adressées aux assemblées révolutionnaires tant et si bien que le rapporteur, Le Peletier de Saint-Fargeau, dépose un rapport proposant l'abolition de la peine de mort qu'il avait, d'ailleurs, lui-même défendu.

Au XIX° siècle, les périodes de "libéralisation" virent se succéder les propositions d'abolition : 1830, 1848 (on sait que les Constituants de 1848 abolirent la peine de mort en matière politique) et même, à la fin du second Empire, en mars 1870. Sous la III° République, des propositions d'abolition furent de nouveau déposées en grand nombre : 1872, 1876, 1878, 1886, 1898, 1900, 1902.

En 1906, la commission du Budget de la Chambre des députés supprima le crédit affecté à l'indemnisation du bourreau et aux frais d'exécution, pour tenter d'obtenir un vote abolitionniste du Parlement, et le Garde des Sceaux, Guyot-Desaigne, déposa un projet d'abolition.

Un certain nombre de parlementaires, parmi lesquels figuraient Caillaux, Jaurès, Ferdinand Buisson, Millerand, François Arago, Francis de Pressensé, Camille Pelletan, Viviani, Deschanel..., déposèrent une proposition d'abolition l'année suivante. Un grand débat parlementaire eut lieu à la Chambre des députés au mois de novembre 1908. Y participèrent, en faveur de l'abolition de la peine capitale, Jaurès, Briand, Deschanel, Marcel Sembat et Georges Clémenceau, contre l'abolition, Maurice Barrès.

Pour Paul Deschanel, qui intervint longuement dans le débat, les arguments avancés en faveur du maintien de la peine capitale étaient naguère utilisés pour la défense de la torture.

Jean Jaurès s'en prit longuement à la "doctrine de fatalité" des partisans de la peine de mort qu'il estimait contraire à l'esprit du christianisme et à l'esprit de la Révolution. Le maintien du châtiment capital avait, d'autre part, pour lui, l'inconvénient de "détourner les nations de la recherche des responsabilités sociales dans le crime".

En sens inverse, Maurice Barrès soutint que l'abolition ferait croître les menaces pesant sur les classes les plus défavorisées.

Ce débat se termina par un vote rejetant l'abolition par 330 voix contre 201. Ce fut le dernier grand débat parlementaire sur la peine capitale.

Après la guerre de 1914, quelques propositions furent encore déposées à la Chambre : 1921, 1927 (3 propositions), 1932.

Sous la IV° République, sept propositions de lois abolitionnistes furent déposées sur le Bureau de l'Assemblée nationale (1947, 1949, 1952, 1953, 1956, janvier et mars 1958).

Le courant parlementaire en faveur de l'abolition de la peine capitale se manifeste toujours avec vigueur dès le début de la V° République ; un certain nombre de parlementaires décident de s'attacher passionnément à cette cause (notamment M. Eugène Claudius-Petit et M. Pierre Bas à l'Assemblée nationale).

L'année 1978 verra le courant abolitionniste prendre une ampleur nouvelle. Sous la cinquième législature, quatre propositions de loi seront déposées sur le Bureau de l'Assemblée : celle de M. Georges Bustin et les membres du groupe communiste, celle de M. Eugène Claudius-Petit et plusieurs de ses collègues, celle de M. François Mitterrand et les membres du groupe socialiste et des radicaux de gauche et apparentés, la proposition de loi de M. Georges Marchais et les membres du groupe communiste. Sous la sixième législature, à la suite du dépôt de trois propositions de loi abolitionnistes signées respectivement par M. Pierre Bas et plusieurs de ses collègues, par Mme Hélène Constans et les membres du groupe communiste et par M. François Mitterrand et les membres du groupe socialiste, la commission des Lois de l'Assemblée nationale adoptera un rapport tendant à l'abolition de la peine capitale qui ne sera pas mis à l'ordre du jour.

Le 16 octobre 1979, un grand "débat de réflexion et d'orientation" sur une déclaration du Gouvernement relative à l'échelle des peines criminelles eut lieu au Sénat, quatre mois après un débat analogue à l'Assemblée nationale.
A l'issue des débats d'orientation au Sénat, le Garde des Sceaux avait envisagé le système suivant : les deux cents crimes environ qui, à l'heure actuelle, sont passibles de la peine de mort seraient répartis en trois catégories :

Dans une première catégorie, entreraient les crimes pour lesquels la peine de mort n'est plus ni requise ni prononcée, et pour lesquels elle serait désormais abolie. Dans cette catégorie, pourraient également se ranger les crimes politiques.
Dans une deuxième catégorie, on classerait certains crimes qui sont encore effectivement punis de mort, comme l'assassinat ou l'empoisonnement. Pour les crimes entrant dans cette catégorie, le Parlement pourrait se voir proposer de suspendre la peine de mort pour une durée probatoire de cinq ans.
La troisième catégorie serait celle des crimes abominables, comme les meurtres d'enfants pris en otage ou les meurtres accompagnés de sévices et de tortures, et également les crimes perpétrés par un prisonnier déjà condamné à la détention perpétuelle : dans ces cas-là, la peine de mort serait maintenue pour une durée de cinq ans, en se réservant de revoir plus tard la législation compte tenu de l'évolution tant des moeurs que de l'insécurité et de la criminalité en France. Le Garde des Sceaux avait ajouté qu'une contrepartie de la suspension de la peine de mort pourrait être un allongement du délai de prescription de l'action publique, actuellement de dix ans pour les crimes.
Ces propositions, on le remarquera, s'analysaient comme une abolition temporaire de la plupart des crimes actuellement encore passibles de la peine de mort.


B. - La position des partis et des élus.

Les programmes récents des partis politiques témoignent du regain d'intérêt suscité par le problème de la peine capitale. Le "projet républicain" de 1980 propose l'abolition de la peine de mort en matière politique (rétablie par les ordonnances du 4 juin 1960). Le "programme commun", signé en 1972, compte l'abolition de la peine de mort parmi ses premières grandes mesures. On peut lire, d'autre part, dans le "projet socialiste": "le second objectif est d'orienter clairement la justice pénale dans le sens du reclassement des condamnés, quels qu'ils soient - ce qui implique l'abolition de la peine de mort, la réforme pénitentiaire...".

Conscient de la nécessité d'un grand débat national, sanctionné par un vote, sur ce grave sujet, le précédent gouvernement a, cependant, estimé que l'opinion publique, sensibilisée par un certain climat de violence, n'était pas prête à envisager dans l'immédiat une telle réforme.

Problème de conscience par excellence, la question de la peine de mort a souvent fait l'objet de plaidoyers contradictoires à l'intérieur d'une même formation politique.

Un certain nombre d'élus, appartenant à des partis n'ayant pas, en tant que tels, pris position dans le débat, ont ainsi régulièrement défendu la cause de l'abolition de la peine capitale; d'autres, en revanche, ont expliqué pourquoi ils estimaient son maintien nécessaire.

A l'Assemblée nationale, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1979, par exemple, M. Maurice Charretier, alors député du Vaucluse, a opposé la notion de justice aux réactions instinctives nées de la peur.

M. Bernard Stasi, député de la Marne, a souligné, quant à lui, l'urgence du débat et a réfuté l'argument de "l'impréparation de l'opinion publique".

M. Pierre Bas, député de Paris, défenseur infatigable de l'abolition du châtiment capital, en appelle au passé pour montrer "l'inefficacité de la terreur" : "Nos pères ont cru à l'efficacité de la terreur. Leurs châtiments étaient horribles. Ils ont roué, écartelé, tenaillé, brûlé, écorché, pendu, bouilli, décapité, selon la nature des délits ou des crimes, mais ils n'ont pas tué la bête, ils n'ont pas tué la violence." Pour le député de Paris, l'exemple de la générosité et de la clémence dans un monde de violence est un devoir pour la République : "Ne vous croyez pas obligés de conserver une peine sous le seul prétexte que durant des siècles la peine de mort a été l'apanage du pouvoir, le signe du pouvoir. Je suis persuadé qu'en France le pouvoir politique ou judiciaire ne sera pas diminué s'il perd la peine de mort... ... La République vous invite justement, en tous domaines, au dépassement dans la recherche de la dignité de notre peuple."

Mais d'autres voix s'élevèrent, telle celle de M. Emmanuel Hamel pour qui "l'honneur d'un Etat est d'abord d'assurer la protection des faibles". Pour notre collègue député : "Un procureur de la République qui requiert la peine de mort en son âme et conscience, au nom du peuple français, n'est animé ni par la vengeance, ni par la haine mais par une exigence douloureuse. Il en est de même pour la cour d'assises qui, ayant entendu des avocats aussi éloquents que l'était tout à l'heure M. Fomi, décide, elle aussi librement, en son âme et conscience, que doivent être considérés comme des crimes et punis comme tels l'agression d'un enfant incapable de se défendre, l'assassinat d'un vieillard, la mort d'un pompiste, tué d'une balle dans la nuque, ou celle d'un gendarme exécuté à bout portant dans l'exercice de son devoir. Cette décision du tribunal, prise dans la sérénité et sans haine, ce n'est pas la vengeance qui l'inspire, mais le sentiment de devoir protéger le faible et de sanctionner le crime..."

Au Sénat, un certain nombre de points de vue différents ont pu s'exprimer, en particulier lors du "débat de réflexion et d'orientation" sur une déclaration du Gouvernement relative à l'échelle des peines criminelles, le 16 octobre 1979, ainsi que lors de l'examen du projet de loi "sécurité et liberté", à propos d'un amendement déposé par M. Lederman, le 7 novembre 1980.


IV. - LE PROJET DE LOI




1. LA LEGISLATION EN VIGUEUR




La peine de mort figure en tête de l'échelle des peines dites "afflictives et infamantes" énumérées à l'article 7 du Code pénal. Son application est prévue, dans plusieurs articles du Code, concernant en particulier les crimes contre les personnes (dix articles dont l'article 302 qui punit de mort l'assassinat, le parricide, l'empoisonnement et l'infanticide prémédité commis par une personne autre que la mère), et les crimes les plus graves contre la sûreté de l'Etat (trahison et espionnage prévus par les articles 70 à 73; atteintes à l'autorité de l'Etat et à l'intégrité du territoire, avec usage d'armes réprimées au titre des articles 86 à 91). Quelques textes spéciaux prévoient aussi l'application de la peine de mort : la loi du 18 avril 1825 sur la sûreté de la navigation et du commerce maritime, la loi du 17 décembre 1926 portant Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, le décret-loi du 1er septembre 1939 réprimant le pillage en temps de guerre et l'ordonnance du 28 août 1944 relative à la répression des crimes de guerre.
D'autre part, 18 articles du Code de justice militaire prévoient pour certaines infractions graves l'application du châtiment capital.

2. LES ARTICLES DU PROJET




Le bref projet de loi qui nous est proposé retient, dans son article premier, le principe d'une abolition générale de la peine de mort. L'article 2 dispose que : "Dans tous les textes en vigueur prévoyant que la peine de mort est encourue, la référence à cette peine est remplacée par la référence à la réclusion criminelle à perpétuité ou à la détention criminelle à perpétuité suivant la nature du crime concerné." Les articles 3, 4, 5 et 6 du projet éliminent du Code pénal, du Code de procédure pénale et du Code de justice militaire les dispositions prévoyant ou évoquant la peine capitale.

En vertu de l'article 7, le texte est rendu applicable aux territoires d'outre-mer, ainsi qu'à la collectivité territoriale de Mayotte.


EXAMEN EN COMMISSION




M. Edgar Tailhades, rapporteur, a pris la parole en annonçant qu'il abordait le grand sujet de la peine de mort avec gravité, qu'il renonçait à toute démagogie et qu'il s'efforcerait à l'objectivité.
Il a commencé, dans un bref rappel historique, par retracer l'évolution de la peine de mort à travers les civilisations et a souligné que c'est au XVIII° siècle, siècle des lumières et des droits de l'homme, que le principe même de la peine capitale a été remis en question au nom de la dignité de l'homme.

Evoquant le grand mouvement abolitionniste du XIX° siècle, M. Edgar Tailhades a énoncé les grands arguments que les partisans et les adversaires de la peine de mort avaient développés dès cette époque.

Abordant le contexte international, le Rapporteur a d'abord indiqué que la France restait l'un des seuls pays du monde occidental à prévoir et à appliquer effectivement la peine de mort. Il a ensuite rappelé les nombreuses recommandations émanant des institutions mondiales et européennes en faveur de l'abolition de la peine capitale.

S'appuyant sur les résultats des enquêtes effectuées par les instituts de sondage depuis une vingtaine d'années, le Rapporteur en a conclu que l'opinion publique était fluctuante. Puis, il a rappelé la position des églises et des spécialistes de la criminalité sur le problème de la peine de mort avant d'évoquer les grands débats parlementaires consacrés à ce grand sujet. Le Rapporteur s'est, enfin, attaché à montrer que l'abolition de la peine capitale était, selon lui, une réforme légitime et opportune. Quant au recours au référendum sur le thème de l'abolition du châtiment capital, il a estimé qu'il était contraire à l¼article 11 de la Constitution et aux principes du régime représentatif. A propos du problème de la "peine de substitution", M. Edgar Tailhades a considéré qu'il serait temps d'en discuter au moment du débat sur le projet de révision du Code pénal, que le Gouvernement s'est engagé à soumettre au Parlement. Après s'être personnellement déclaré hostile à l'institution d'une peine perpétuelle "incompressible", il n'en a pas moins fait valoir que générosité ne signifiait pas faiblesse et qu'il conviendrait de continuer à punir très sévèrement les grands criminels.

A la suite de cet exposé général, M. Edgar Faure a développé une argumentation en faveur du recours au référendum afin que le peuple soit appelé à se prononcer en une matière - la fixation des peines - qui relève de sa souveraineté.

Selon M. Edgar Faure, en effet, si le peuple délègue sa souveraineté à ses représentants en matière politique, il conserve l'exercice du pouvoir judiciaire en matière criminelle. La justice criminelle a toujours été, a souligné M. Edgar Faure, une justice retenue, comme en témoigne l'institution du jury aujourd'hui choisi par le moyen du tirage au sort.

M. Edgar Faure a, par ailleurs, indiqué qu'il était lui-même favorable au maintien de la peine capitale, sa proposition de recourir au référendum ne pouvant ainsi, en aucune façon, être considérée comme un moyen de se dégager de sa responsabilité. Le maintien de la peine de mort, a-t-il exposé, est indispensable à la stabilité du corps social car toute société peut avoir à un moment déterminé affaire à des agressions imprévues contre lesquelles elle doit être en mesure de se défendre. Il a évoqué, à cet égard, les circonstances de l'insertion en 1937 dans notre Code pénal de l'article 355 qui réprime l'enlèvement de mineur, puni de mort uniquement s'il s'est ensuivi la mort de l'enfant.

Si le législateur de 1937 a prévu ces dispositions, c'est parce qu'il a estimé à juste titre, a déclaré M. Edgar Faure, que la peine de mort avait un caractère dissuasif. Dans ces conditions, il convient de la maintenir dans notre arsenal pénal puisqu'elle est susceptible de sauver des vies.
A l'appui de ce propos, il a fait référence à l'Allemagne fédérale et à l'Italie, pays où la peine de mort a été abolie et qui voient se développer un terrorisme de plus en plus alarmant.

Puis M. Edgar Faure a présenté une série d'amendements tendant :
- d'une part à maintenir la peine capitale dans deux cas (crimes commis à l'encontre de citoyens chargés d'une mission de justice, de police ou de surveillance, et crimes comportant la circonstance aggravante d'atrocité);
- d'autre part, à permettre à la Cour de cassation d'exercer un contrôle au fond sur les arrêts de condamnation à la peine de mort ;
- enfin, à soumettre au référendum la loi votée par le Parlement, avant sa promulgation.

Pour M. Michel Dreyfus-Schmidt, la peine de mort n'est pas dissuasive. Loin d'avoir une valeur d'exemplarité, elle donne au contraire à l'opinion l'exemple d'une mise à mort en contradiction avec le principe du respect de la vie humaine qui est au fondement de toute société civilisée. Il a considéré que le problème de la peine de substitution était un faux problème, d'autant plus qu'en 1978 a été introduit dans notre droit le régime de sûreté.

M. Jean-Marie Girault, rappelant qu'il avait été le rapporteur du texte évoqué par M. Dreyfus-Schmidt sur la période de sûreté, a demandé quelle était la position du Garde des Sceaux sur l'institution d'une certaine "incompressibilité" de la peine devant se substituer à la peine de mort.

M. Etienne Dailly a considéré que la peine de mort se justifiait, non par son caractère d'exemplarité, qui est douteux, mais par sa fonction d'élimination de certains êtres dont le maintien en vie risquerait de mettre en péril celle des autres. II a déclaré qu'il serait partisan de l'abolition de la peine de mort sous deux conditions :
- l'institution d'une peine de substitution "incompressible", c'est-à-dire une peine de réclusion véritablement perpétuelle;
- la construction d'un pénitencier susceptible de recevoir dans des conditions humaines les condamnés à la peine perpétuelle.

Puis M. Etienne Dailly a proposé, conjointement avec M. Jacques Larché, à la Commission des amendements visant à insérer à l'article 66 de la Constitution sur l'autorité judiciaire, un alinéa nouveau ainsi rédigé : "Nul ne peut être condamné à mort."

Cet amendement, tendant à une révision de la Constitution, lui est apparu d'autant plus nécessaire que plusieurs Etats voisins européens mentionnent l'abolition de la peine de mort dans leur Constitution (en particulier l'Allemagne fédérale et l'Autriche). II a par ailleurs estimé qu'il était indispensable de donner un caractère de solennité à la décision relative à l'abolition de la peine de mort, solennité qui ne peut résulter que d'une procédure de révision de la Constitution, entraînant normalement le recours au référendum.

M. Paul Pillet quant à lui, a contesté l'opportunité de cette procédure, estimant qu'il était du devoir du législateur d'effectuer les choix importants et de guider l'opinion publique plutôt que de se laisser diriger par elle. C'est pourquoi il s'est montré défavorable, sur un plan juridique et d'opportunité au recours au référendum.

M. Roger Boileau a fait valoir le sentiment de l'opinion publique qui reste profondément attachée à la peine de mort, moyen efficace de dissuasion des criminels. Il a considéré que la montée inquiétante de la violence nécessitait un renforcement de la répression.

M. Félix Ciccolini a, au contraire, considéré que la peine de mort n'avait aucun effet dissuasif, car dans la majorité des cas, les criminels sont persuadés qu'ils échapperont à la justice et bénéficieront de l'impunité. Certes, a-t-il déclaré, la société a le devoir de se défendre contre les agressions dont elle est l'objet, mais la peine de la réclusion à perpétuité suffit à remplir ce but, sans qu'il soit besoin de donner la mort aux criminels. La société, a-t-il souligné, a également des devoirs : ce n'est pas à elle de retirer la vie, au nom de la loi, car ce n'est pas la société qui donne la vie.

M. Marcel Rudloff a fait observer que dans les faits, la question de la peine de mort se posait très rarement devant les juridictions d'assises. Il s'agit avant tout d¼un problème de conscience sur lequel chacun doit être en mesure de se prononcer de manière individuelle. Se déclarant abolitionniste, il a indiqué qu'il ne voyait aucun inconvénient à la procédure proposée par M. Etienne Dailly, tendant à réviser la Constitution pour y insérer une disposition consacrant le principe de l'abolition de la peine de mort. Il a, d'autre part, rappelé que la procédure de révision constitutionnelle n'implique pas nécessairement le recours au référendum, le Parlement pouvant tout aussi bien être appelé à se prononcer en congrès sur le projet de révision.

M. François Collet a réfuté l'argument selon lequel la peine de mort traduirait des pulsions de vengeance; elle constitue simplement un aveu d'impuissance de la société devant certains crimes affreux. Après avoir déclaré qu'il était partisan de la peine de mort, il a cependant souhaité que des crédits budgétaires soient dégagés afin que puissent être améliorées les conditions de détention des condamnés et le fonctionnement des services de la médecine psychiatrique dans les prisons.

M. Paul Girod a estimé que la société avait le devoir de protéger les libertés de chacun, y compris celles des éventuelles victimes de crimes. II a suggéré que le débat sur le maintien ou l'abolition de la peine de mort soit repoussé à la fin du septennat, après que la France ait fait l'expérience par le moyen des grâces présidentielles de l'abolition de fait de la peine capitale.

Mme Cécile Goldet a souligné que le sentiment d'insécurité des citoyens n'était pas lié au phénomène de la grande criminalité, qui d'un point de vue statistique est en régression depuis le siècle dernier, mais essentiellement à la montée de la petite et de la moyenne délinquance.

M. Jacques Larché s'est déclaré, à titre personnel, favorable à l'abolition de la peine de mort. Mais il a considéré que la proposition de M. Etienne Dailly d'introduire dans la Constitution le principe de cette abolition devait être retenue, car elle permettrait que cette question soit réglée à la mesure de son importance et de sa dignité. Puis il a évoqué l'évolution des conceptions sur la peine de mort au cours de l'histoire : autrefois, celle-ci était considérée comme un moyen de rendre au criminel sa dignité humaine, alors qu'aujourd'hui c'est le principe du respect de la vie humaine qui est mis en avant par les partisans de l'abolition de la peine capitale.

M. Edgar Tailhades a fait part de ses réflexions sur les différentes intentions et propositions d'amendements au texte. Il a notamment exprimé des réserves quant aux amendements présentés par M. Edgar Faure qui sont, selon lui, de nature à soulever des problèmes d'interprétation juridique; l'un de ces amendements, notamment, semble laisser supposer que la peine capitale pourrait être maintenue ou même instituée en cas d'infractions, qui, bien que qualifiées crimes, n'ont cependant entraîné que des dommages matériels et non la mort de la victime.

M. Edgar Faure a alors indiqué que les amendements présentés par lui constituaient principalement un texte d'orientation.

Après avoir exposé que le recours direct au référendum, au titre de l'article 11 de la Constitution, était exclu au motif que la question de la peine de mort ne correspondait à aucun des trois objets énumérés audit article, M. Jacques Larché a fait remarquer qu'en revanche il n'était pas inconcevable d'envisager l'organisation d'un référendum dans le cadre de l'article 89 de la Constitution. Cet article, qui précise les modalités de révision de la Constitution, distingue deux procédures :

- lorsque la révision est due à l'initiative du Parlement, le recours au référendum est obligatoire après adoption de la proposition de révision par les deux Assemblées en termes identiques;

- en revanche, lorsque la révision est proposée par l'exécutif - le Président de la République sur proposition du Premier ministre - le référendum n'est que facultatif, le chef de l'Etat ayant la possibilité de soumettre au Parlement réuni en congrès le projet de révision voté par les deux Chambres. Dans ce cas, le projet doit être approuvé à la majorité des trois cinquièmes.

Selon M. Jacques Larché, l'adoption de la question préalable par la Commission signifierait dans ces conditions que cette dernière souhaite que l'abolition de la peine de mort ne soit pas décidée dans le cadre de la loi ordinaire, mais fasse l'objet d'une révision constitutionnelle. La question préalable pourrait ainsi recueillir l'approbation des partisans du maintien de la peine capitale qui refusent toute modification du droit en vigueur aussi bien que de ceux qui, opposés à cette peine, souhaitent donner une forme constitutionnelle à la décision d'abolition.

M. Paul Pillet a estimé que les membres de la Commission devaient se prononcer clairement sur la modification proposée du Code pénal, modification certes importante, mais qui n'en relève pas moins du domaine de la loi. Il a déploré que des moyens de procédure soient utilisés qui auraient pour effet de dispenser la Commission de se prononcer sur le fond.

M. Etienne Dailly a au contraire fait valoir la nécessité de surseoir à statuer sur la question de l'abolition de la peine de mort car il appartient au peuple d'en décider lui-même. Sinon, le peuple pourrait reprocher ultérieurement à ses représentants d'avoir supprimé de notre arsenal répressif une peine qui, si elle avait été exécutée, aurait évité que quelque grand criminel ne réitère son forfait.

A la suite de ces interventions ainsi que de celles de MM. Marc Bécam, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Mme Cécile Goldet, MM. Charles Lederman, Pierre SchiéIé et Franck Sérusclat, la Commission a rejeté la motion d'irrecevabilité présentée par M. Edgar Faure.

Puis la Commission a procédé à l'examen des articles. Après avoir repoussé les amendements de M. Edgar Faure visant au maintien de la peine de mort dans deux cas, elle a en revanche approuvé les amendements présentés par M. Dailly dont l'objet est de faire figurer à l'article 66 de la Constitution l'affirmation selon laquelle : "nul ne peut être condamné à mort".

Puis une discussion s'est engagée sur le point de savoir s'il convenait, compte tenu de l'adoption des amendements de nature constitutionnelle de MM. Etienne Dailly et Tacques Larché, de poursuivre l'examen des articles du projet de loi.

La Commission a rejeté un amendement de M. Michel Dreyfus-Schmidt, visant à réintroduire dans le projet de loi, avec valeur législative "ordinaire", les mots "la peine de mort est abolie".

M. Edgar Tailhades a alors démissionné de son rapport et a été remplacé par M. Paul Girod. La Commission a ensuite adopté deux amendements de MM. Etienne Dailly et Jacques Larché tendant, l'un à supprimer les articles premier bis à 8, l'autre à rédiger comme suit l'intitulé du projet : "projet de loi constitutionnelle tendant à compléter l'article 66 de la Constitution".

Procédant alors au vote sur l'ensemble, la Commission a rejeté le texte ainsi amendé.

CONCLUSION



Ce débat, long et approfondi, a permis de mettre en évidence les convictions profondes de nos collègues et les scrupules de conscience qui les animaient.

Si chaque point de vue présentait une originalité qui lui était propre, il semble que l'on puisse dégager quelques grands courants d'idées portant d'ailleurs aussi bien sur le fond de la question, sur la procédure à utiliser pour la traiter que sur l'opportunité d'en débattre.

Sur le fond de la question.



Un certain nombre de nos collègues ont fait valoir que l'abolition de la peine capitale était une question de principe qui ne souffrait ni transaction, ni exception. Pour eux, l'abolition générale de la peine de mort est un impératif commandé par les valeurs les plus hautes d'une société civilisée. Pour schématiser, on pourrait les qualifier d'abolitionnistes "inconditionnels".

D'autres membres de la Commission ont, au contraire, estimé que la peine capitale conservait toute sa valeur dissuasive et qu'il serait grave de l'abolir alors que nous assistons, présentement, au développement de la violence et de la criminalité. Ils font valoir qu'il serait suicidaire pour notre société de renoncer à utiliser tous les moyens dont elle peut disposer pour assurer la protection des citoyens, à l'heure où ceux-ci sont de plus en plus enclins à l'autodéfense.

Mais, toujours sur le fond de la question, deux autres courants de pensée se sont, semble-t-il, fait jour.

Certains de nos collègues ont souligné que le vrai problème n'était pas celui du caractère intimidant du châtiment capital mais celui de la mise hors d'état de nuire des criminels dangereux; dans cet esprit, il conviendrait de prévoir une peine incompressible de détention pour les individus qui encourent aujourd'hui la peine de mort. L'assurance que cette peine de longue durée sera effectivement appliquée, exige alors, d'une part, l'existence juridique d'une véritable peine de sûreté et d'autre part, l'existence matérielle d'institutions pénitentiaires présentant toutes garanties de sécurité dans un cadre humain. C'est à ces seules conditions que les sénateurs qui se reconnaissent dans ce point de vue acceptent de se prononcer pour le principe de l'abolition de la peine de mort. Par conséquent, nous pouvons les considérer comme des "abolitionnistes sous conditions".

Enfin, un nombre non négligeable de nos collègues ont exprimé une opinion sensiblement différente. Particulièrement émus par les cas de récidive, ils ont fait valoir que la société ne pouvait excuser un certain nombre de crimes; ceux dont le caractère d'extrême atrocité commandait l'élimination de leurs auteurs; ceux aussi qui, perpétrés contre des personnes investies d'une mission publique de justice, de police ou de surveillance, mettent en jeu la sauvegarde même de l'ordre public. Les sénateurs partageant ces idées sont favorables à l'abolition du châtiment capital pour tous les crimes, actuellement passibles de cette sanction, qui ne rentrent pas dans ces deux catégories d'actes criminels exceptionnels. A ce titre, ils apparaissent comme des "abolitionnistes partiels".

Sur la procédure.



Un débat parallèle s'est instauré dans votre commission des Lois sur la procédure à utiliser pour l'adoption d'une mesure aussi fondamentale que celle de l'abolition de la peine de mort.

Il semble que trois conceptions se soient dégagées.

Au nom des principes et de la tradition du régime représentatif, un nombre important de nos collègues, parmi lesquels se retrouvaient notamment les partisans d'une abolition générale de la peine capitale, ont considéré que la procédure législative normale convenait parfaitement à l'adoption d'une mesure relevant d'une matière que l'article 34 de notre Constitution réserve au législateur.

En revanche, M. Edgar Faure et certains de nos collègues ont souligné qu'à leur avis, une "question de société" aussi essentielle que la peine de mort devait être soumise au verdict du peuple français. Dans leur esprit, la justice criminelle est traditionnellement exercée directement par le peuple dans le cadre du jury d'assises; un vote législatif ne saurait dépouiller nos concitoyens de ce droit. En tout état de cause, il conviendrait de consulter les Français par le moyen du référendum, quitte à modifier, à cet effet, l'article 11 de la Constitution.

D'autres voix encore se sont élevées, pour rappeler le caractère tout à fait solennel et exceptionnel d'une décision qui modifie fondamentalement une tradition pénale française immémoriale. Ceux qui ont exprimé cette opinion ont souhaité que le principe de l'abolition de la peine de mort figure dans notre Constitution et que, par conséquent, la procédure de révision prévue par l'article 89 soit utilisée, ce qui implique également un référendum, à moins que le Président de la République ne décide de convoquer un congrès des deux Assemblées du Parlement. C'est ainsi que nos collègues MM. Etienne Dailly et Jacques Larché ont proposé, par voie d'amendements, que le projet de loi portant abolition de la peine de mort se voit substitué un projet de loi constitutionnel tendant à compléter l'article 66 de la Constitution par la formule "Nul ne peut être condamné à mort".

Sur l'opportunité de la réforme.



La Commission a bien entendu abordé le double problème de l'exemplarité de la peine de mort et de l'état actuel de l'opinion publique sur le sujet.

Certains ont regretté la rapidité de la réforme qui ne profiterait pas des sept ans d'interruption des exécutions annoncée par le Président de la République, interruption qui pourrait, selon eux, permettre de trancher le débat sur l'exemplarité et provoquer les prises de conscience correspondantes de l'opinion. Le débat, dans quelques années, s'engagerait alors en toute clarté.

Compte tenu de la position prise par la Commission - et celle-ci ne constitue, à l'évidence, que le reflet des incertitudes de beaucoup d'entre nous -, votre Rapporteur ne peut, en définitive, que s'en remettre à la sagesse du Sénat, et aussi à la conscience de chacun de ses membres.





Notes

(1) Cette Commission est composée de : MM. Léon Jozeau-Marigné, président; Jean Geoffroy, Pierre Carous, Louis Virapoullé, Charles de Cuttoli, vice-présidents; Charles Lederman, Roland du Luart, Pierre Salvi, Baudouin de Hauteclocque, secrétaires; Alphonse Arzel, Germain Authié, Marc Bécam, Roger Boileau, Raymond Bouvier. Lionel Cherrier, Félix Ciccolini, François Collet, Etienne Dailly, Michel Darras, Michel Dreyfus-Schmidt, Jacques Eberhard, Edgar Faure, François Giacobbi, Michel Giraud, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Mme Cécile Goldet, MM. Jacques Larché, Jean Ooghe, Guy Petit, Hubert Peyou, Paul Pillet, Roger Romani, Marcel Rudloff, Pierre Schiélé, Franck Sérusclat, Edgar Tailhades, Raymond Tarcy, Jacques Thyraud.

Voir les numéros :
Assemblée nationale (7e législ.) : 310, 316 et in-8° 27.
Sénat : 385 (1980-1981).

Peines. - Peine de mort - Code de Justice militaire - Code de procédure pénale - Code pénal.
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