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Le cas d'un condamné à mort qui a oublié son crime à la Cour suprême

dépêche de presse du 2 octobre 2018 - Agence mondiale d'information - AFP
Pays :
peine de mort / Alabama
(Agence France-Presse) Washington - L'Alabama peut-il exécuter un condamné à mort qui ne se rappelle plus de son crime après plusieurs AVC? La Cour suprême des États-Unis s'est penchée mardi sur cette question appelée à croître en raison du vieillissement des détenus qui patientent dans les couloirs de la mort.

Huit juges du temple du droit américain se sont saisis du dossier de Vernon Madison, un homme très diminué, à seulement 68 ans, pour cette audience à la lisière du droit et de l'éthique.

Le neuvième siège, celui du juge Brett Kavanaugh, choisi par Donald Trump pour entrer à la Cour suprême mais dont la candidature est compromise par des accusations d'agression sexuelle, est resté vide.

En 1985, Vernon Madison avait abattu un policier venu s'interposer dans une dispute conjugale, en lui tirant deux balles dans la nuque. Après deux procès marqués par des vices de forme, il a été définitivement condamné à la peine capitale en 1994.

En 2015 et 2016, des accidents vasculaires cérébraux ont considérablement réduit ses facultés. Il est aujourd'hui quasiment aveugle, ne marche pas sans assistance et souffre d'incontinence. Sa mémoire est tellement abîmée qu'il ne peut plus réciter l'alphabet et réclame fréquemment des visites de sa mère, morte depuis des années.

Surtout, il ne se souvient plus de son crime, ni de son procès.

Ses défenseurs estiment que l'exécuter enfreindrait le 8e amendement de la Constitution, qui interdit les punitions «cruelles et inhabituelles». Si quelqu'un est «fragile, confus, perdu», ce n'est tout simplement «pas humain de l'exécuter», a plaidé son avocat, Bryan Stevenson.

De précédents arrêts de la Cour suprême ont interdit d'exécuter des personnes incapables de comprendre ce qui leur arrivait, notamment des psychotiques, a-t-il rappelé en demandant d'élargir cette définition aux personnes souffrant de «démence».

Quinze ans d'attente

«Ne pas se rappeler de son crime n'est pas suffisant» pour échapper à la peine de mort, a plaidé de son côté le procureur de l'Alabama, Thomas Govan. Sinon, a-t-il argué, «plus aucun détenu n'admettra de crime».

Pour lui, M. Madison a une «compréhension rationnelle» de la procédure judiciaire: il comprend qu'on l'accuse d'un meurtre et qu'il va être exécuté pour cela.

Au-delà de ce cas particulier, le juge progressiste Stephen Breyer a estimé nécessaire de préciser les circonstances dans lesquelles un condamné à mort vieillissant pouvait être épargné.

«Beaucoup de détenus ont 50, 60, 70, voire 80 ans, et attendent dans les couloirs de la mort depuis 20, 30, 40 ans. Cela va devenir un problème fréquent», a-t-il souligné, en se demandant s'il ne faudrait pas étendre la clémence à ceux qui à la fois «ne se rappellent plus de leur crime et sont incapables de s'orienter dans le temps et l'espace».

Plus de 2700 personnes se trouvent actuellement dans les couloirs de la mort aux États-Unis, où ils patientent en moyenne 15 ans entre le prononcé de leur peine et leur exécution. Mais l'attente peut être beaucoup plus longue en cas de recours judiciaires.

En 2011, près de 4% de cette population avait plus de 65 ans, soit une centaine de personnes, selon la base de données du centre d'information sur la peine de mort.

La juge Sonia Sotomayor a souligné quant à elle que les malades d'Alzheimer peuvent très bien comprendre une situation à un moment donné, et l'oublier complètement dans les minutes qui suivent. «Si on n'appréhende pas rationnellement pourquoi on est mis à mort», quel est le but?, s'est-elle interrogée.

Donner un exemple dissuasif, a rétorqué l'État de l'Alabama, en soulignant que Vernon Madison avait tué un policier.

Ne pas l'exécuter reviendrait à «insulter la mémoire des policiers tombés en faisant leur devoir», a également jugé, dans des documents transmis à la Cour, une association de policiers qui s'est jointe à la procédure.

Selon le site de référence scotusblog.com, trois des huit juges, parmi les plus conservateurs, ont déjà fait savoir qu'ils pensaient soutenir l'Alabama.
(CHARLOTTE PLANTIVE)

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