Plan du site

Recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres sur les droits de l'homme et les entreprises

CM/Rec(2016)3
recommandation du 2 mars 2016 - Conseil de l'Europe
Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les droits de l'homme et les entreprises
(adoptée par le Comité des Ministres le 2 mars 2016, lors de la 1249e réunion des Délégués des Ministres)


Le Comité des Ministres,

Considérant que le but du Conseil de l'Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses Etats membres, en encourageant notamment des normes communes et en élaborant des mesures dans le domaine des droits de l'homme ;

Convaincu que le progrès social et économique est un moyen de promouvoir les buts du Conseil de l'Europe ;

Rappelant l'obligation des Etats membres de garantir à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis dans la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5) et ses protocoles, y compris une voie de recours effectif devant une autorité nationale en cas de violation de ces droits et libertés, et leurs obligations qui découlent, dans la mesure où ils les ont ratifiés, de la Charte sociale européenne (STE n° 35) et de la Charte sociale européenne (révisée) (STE n° 163), et d'autres instruments européens et internationaux de protection des droits de l'homme ;

Réaffirmant que les droits de l'homme et les libertés fondamentales dans leur ensemble sont universels, indivisibles, interdépendants et intimement liés ;

Reconnaissant que les entreprises ont la responsabilité de respecter les droits de l'homme ;

Considérant le Cadre de référence « protéger, respecter et réparer » des Nations Unies, salué le 18 juin 2008 par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, et les « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme : mise en œuvre du cadre de référence « protéger, respecter et réparer » des Nations Unies », approuvés le 16 juin 2011 par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies (« Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme ») ;

Considérant l'Observation générale n° 16 du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies sur les obligations des Etats concernant les incidences du secteur des entreprises sur les droits de l'enfant, adressée en 2013 à tous les Etats qui ont ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant ;

Rappelant sa Déclaration sur les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme du 16 avril 2014 et, en particulier, l'affirmation que la mise en œuvre de ces principes par les Etats et les entreprises est essentielle pour assurer le respect des droits de l'homme dans le cadre des activités économiques ;

Soulignant, à travers cette recommandation, son engagement à contribuer à la mise en œuvre effective au niveau européen des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme,


Recommande aux gouvernements des Etats membres :

1. de réexaminer régulièrement leur législation et leur pratique nationales pour s'assurer qu'elles sont conformes aux recommandations, principes et autres orientations figurant en annexe, et d'évaluer l'efficacité des mesures adoptées ;

2. de garantir, par des moyens et mesures appropriés, une large diffusion de la présente recommandation aux autorités compétentes et aux parties prenantes, en vue de les sensibiliser davantage à la responsabilité sociale des entreprises dans le domaine des droits de l'homme, et de contribuer au respect de ces derniers ;

3. de partager des exemples de bonnes pratiques sur la mise en œuvre de cette recommandation afin de les enregistrer dans un système d'informations partagées, créé et géré par le Conseil de l'Europe, qui soit accessible au public, y compris par le biais de systèmes d'information existants ;

4. partager des plans portant sur la mise en œuvre nationale des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme (« Plans d'action nationaux »), y compris les Plans d'actions nationaux révisés, et les bonnes pratiques concernant le développement et le réexamen des Plans d'action nationaux à l'aide d'un système d'information partagé, créé et géré par le Conseil de l'Europe, qui soit accessible au public, y compris par le biais de systèmes d'information existants ;

5. d'examiner au plus tard cinq ans après son adoption, au niveau du Comité des Ministres, la mise en œuvre de la présente recommandation et la participation des parties prenantes intéressées.



Annexe à la Recommandation CM/Rec(2016)3

I. Mise en œuvre des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme

a. Mesures de caractère général

1. Les Etats membres devraient effectivement mettre en œuvre les Principes directeurs des Nations Unies, en tant qu'instrument de référence retenu à l'échelle mondiale en matière d'entreprises et de droits de l'homme ; ils reposent sur trois piliers :
• l'obligation existante des Etats de respecter, de protéger et de réaliser les droits de l'homme et les libertés fondamentales (« obligation de l'Etat de protéger les droits de l'homme ») ;
• le rôle des entreprises en tant qu'organes spécialisés de la société remplissant des fonctions spécifiques, qui exige de se conformer à toutes les lois applicables et de respecter les droits de l'homme (« responsabilité des entreprises de respecter les droits de l'homme ») ;
• la nécessité de prévoir, en cas de violation, des voies de recours appropriées et effectives correspondant aux droits et aux obligations (« accès à une voie de recours »).

2. Ils devraient mettre en œuvre les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme et la présente recommandation de façon non discriminatoire et en tenant dûment compte des risques liés au genre.

3. Lorsqu'ils mettent en œuvre les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, les Etats membres devraient tenir compte de l'ensemble des normes internationales des droits de l'homme et veiller à assurer la concordance et la cohérence à tous les niveaux politiques. Les Etats membres n'ayant pas exprimé leur consentement à être liés par une convention mentionnée dans la présente recommandation devraient envisager de le faire.

4. Les Etats membres devraient prendre dûment en considération les déclarations, observations générales, recommandations et commentaires thématiques fournis par les organes de suivi compétents concernant les dispositions de droits de l'homme qui figurent dans des conventions internationales et régionales pertinentes.

5. Tout en mettant eux-mêmes en œuvre les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, les Etats membres devraient communiquer clairement à l'ensemble des entreprises relevant de leur juridiction, ou à celles qui y exercent des activités, qu'il est attendu d'elles qu'elles mettent aussi en œuvre ces principes dans l'ensemble de leurs opérations.

6. Le cas échéant, les Etats membres devraient encourager la traduction et la diffusion des Principes directeurs des Nations Unies, en particulier dans des secteurs spécifiques ou à l'intention de certains types d'entreprises au sein desquelles la sensibilisation n'est pas assez avancée, ou à l'égard desquelles le risque de violations des droits de l'homme est élevé.

7. Les Etats membres devraient encourager les pays tiers à mettre en œuvre les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme et autres normes internationales applicables. Ils devraient également envisager d'élaborer des partenariats avec les pays qui cherchent à mettre en œuvre ces normes, ou leur proposer tout autre soutien.

8. Les Etats membres devraient fournir conseil et assistance aux pays tiers souhaitant renforcer, conformément aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, leurs propres mécanismes judiciaires et non judiciaires de réclamation, et réduire les obstacles aux recours contre les violations des droits de l'homme commises par des entreprises relevant de leur juridiction.

9. Les Etats membres devraient soutenir les travaux des Nations Unies, y compris ceux du Groupe de travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l'homme, afin de promouvoir la diffusion et la mise en œuvre effective et globale des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme.


b. Plans d'action nationaux

10. Les Etats membres devraient, s'ils ne l'ont pas encore fait, élaborer et adopter des plans nationaux d'application des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme (« Plans d'action nationaux »), ces plans concernant les trois piliers de ces principes et la présente recommandation. Ils devraient en assurer la publication et une large diffusion.

11. Pour élaborer ces Plans d'action nationaux, les Etats membres devraient se référer aux orientations disponibles, y compris celles fournies par le Groupe de travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l'homme, et faire appel à l'expertise et à la participation de toutes les parties prenantes, y compris les organisations commerciales et les entreprises, les institutions nationales de droits de l'homme, les syndicats et les organisations non gouvernementales.

12. Les Etats membres devraient suivre en permanence la mise en œuvre de leurs Plans d'action nationaux avec la participation de toutes les parties prenantes, les évaluer et les mettre à jour régulièrement. Sachant que le modèle approprié peut varier d'un Etat à l'autre, les Etats membres devraient partager entre eux, ainsi qu'avec les pays tiers et les parties prenantes, leurs bonnes pratiques en matière d'élaboration et de réexamen des Plans d'action nationaux.


II. Obligation de l'Etat de protéger les droits de l'homme

13. Les Etats membres devraient :
• appliquer toutes les mesures jugées nécessaires pour exiger le respect des droits de l'homme par toutes les entreprises exerçant des activités sur le territoire de leur juridiction ;
• appliquer toutes les mesures jugées nécessaires pour exiger, le cas échéant, le respect des droits de l'homme par toutes les entreprises domiciliées dans leur juridiction dans l'ensemble de leurs opérations à l'étranger ;
• encourager et soutenir par d'autres moyens ces entreprises pour qu'elles respectent les droits de l'homme dans l'ensemble de leurs activités.

14. Les Etats membres devraient garantir que toute personne relevant de leur juridiction peut avoir un accès facile aux informations relatives aux droits de l'homme existants dans le contexte de la responsabilité des entreprises dans une langue qu'elle peut comprendre.

15. Dans le cadre de leur juridiction, les Etats membres ont le devoir de protéger les particuliers contre les violations des droits de l'homme causées par des tiers, y compris des entreprises. Cela comprend des obligations positives et procédurales au titre de la Convention européenne des droits de l'homme, telle qu'elle est appliquée et interprétée par la Cour européenne des droits de l'homme. Ces obligations comprennent l'exigence d'empêcher les violations des droits de l'homme lorsque les autorités compétentes ont eu ou auraient dû avoir connaissance d'un risque réel de telles violations, d'entreprendre une enquête officielle indépendante et impartiale, appropriée et rapide, lorsqu'il est allégué que ces violations ont eu lieu ; d'entamer des poursuites judiciaires effectives et de prendre toutes mesures adéquates pour mettre en place des mécanismes accessibles et effectifs permettant aux victimes des violations de bénéficier de réparations rapides et appropriées pour le préjudice subi.

16. La Charte sociale européenne, la Charte sociale européenne (révisée) et le Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives (STE n° 158) sont d'autres instruments clés qui offrent une protection contre les violations des droits de l'homme commises par des entreprises, notamment en ce qui concerne les droits des travailleurs. Les Etats membres ayant ratifié ces instruments acceptent comme objectif de leur politique – dont la poursuite se fait par tous les moyens appropriés de nature nationale et internationale – la mise en place des conditions dans lesquelles tous les droits et principes énoncés dans la partie I de la Charte sociale européenne (révisée) peuvent effectivement se réaliser, et devraient envisager d'augmenter le nombre de dispositions acceptées.

17. Conformément à leurs obligations internationales, les Etats membres devraient assurer que leur législation sur l'emploi est effectivement mise en œuvre et imposer aux entreprises de s'abstenir de toute forme de discrimination entre salariés, ainsi qu'indiqué à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et ainsi qu'interprétée par la Cour européenne des droits de l'homme dans sa jurisprudence.

18. Les Etats membres devraient garantir que leur législation crée des conditions propices au respect des droits de l'homme par les entreprises et qu'elle n'entrave ni la responsabilité ni le recours effectif contre les violations des droits de l'homme par les entreprises. Ils devraient évaluer l'impact sur les droits de l'homme de toute nouvelle législation dans ce domaine.

19. Les Etats membres devraient prêter une attention particulière aux droits et aux besoins des individus, groupes ou populations pouvant encourir un risque élevé de devenir vulnérables ou marginalisés, ainsi qu'aux défis auxquels ces derniers sont confrontés.


III. Action étatique permettant aux entreprises de respecter les droits de l'homme

20. Les Etats membres devraient appliquer toutes les mesures jugées nécessaires pour encourager et, le cas échéant, exiger que :
• les entreprises domiciliées dans leur juridiction montrent une diligence raisonnable en matière de droits de l'homme dans l'ensemble de leurs activités ;
• les entreprises réalisant des activités commerciales significatives dans leur juridiction montrent une diligence raisonnable en matière de droits de l'homme à l'égard de ces activités ;
incluant des évaluations de l'impact sur les droits de l'homme de projets spécifiques, selon la taille de l'entreprise ainsi que la nature et le contexte de l'opération.

21. Les Etats membres devraient encourager et, le cas échéant, exiger des entreprises mentionnées au paragraphe 20 ci-dessus qu'elles fassent preuve de davantage de transparence pour leur permettre de mieux « connaître et manifester » leur responsabilité, en tant que personne morale, de se conformer au respect des droits de l'homme. Les Etats membres devraient également encourager et, le cas échéant, exiger des entreprises qu'elles fournissent régulièrement, ou lorsque le besoin l'exige, des informations sur les efforts qu'elles fournissent à l'égard de leur responsabilité, en tant que personnes morales, de respecter les droits de l'homme.

22. Les Etats membres devraient appliquer des mesures supplémentaires pour exiger des entreprises qu'elles respectent les droits de l'homme, y compris le cas échéant en faisant preuve de diligence raisonnable. Ces mesures peuvent être intégrées dans les procédures de diligence raisonnable existantes, lorsque les Etats membres :
• possèdent ou contrôlent des entreprises ;
• fournissent aux entreprises des aides et services significatifs par le biais d'institutions d'Etat, comme les établissements de crédit à l'exportation et les sociétés officielles d'assurance ou de garantie des investissements ;
• accordent des licences à l'exportation aux entreprises ;
• mènent des transactions commerciales avec des entreprises, y compris par la conclusion de contrats d'achats publics ;
• privatisent la fourniture de services qui peuvent avoir un effet sur la jouissance des droits de l'homme.
Les Etats membres devraient évaluer les mesures prises et, le cas échéant, répondre de tout manquement. Ils devraient prévoir des conséquences appropriées en cas de non-respect des droits de l'homme.

23. Lors de la conclusion d'accords commerciaux ou d'investissement ou d'autres conventions pertinents, et durant la durée de ceux-ci, les Etats membres devraient examiner les éventuels effets de tels accords sur les droits de l'homme et prendre les mesures adéquates, y compris par l'introduction de clauses de protection des droits de l'homme, pour atténuer et faire face aux risques identifiés d'effets négatifs sur les droits de l'homme.

24. Afin de ne pas faciliter l'application de la peine capitale ou de la torture dans des pays tiers en fournissant des biens qui pourraient être utilisés pour commettre de tels actes, les Etats membres devraient veiller à ce que les entreprises domiciliées dans leur juridiction ne fassent pas commerce de biens qui n'ont pas d'autre utilisation pratique que de servir pour la peine capitale, la torture ou autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants.

25. Les Etats membres devraient, lorsque des entreprises mentionnées au paragraphe 20 sont représentées lors d'une mission commerciale dans des Etats membres et des pays tiers, relever et évoquer les effets néfastes éventuels que de futures opérations pourraient avoir sur la situation des droits de l'homme dans ces pays, et exiger que les compagnies participantes respectent les principes directeurs des Nations Unies ou ceux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l'intention des entreprises multinationales.

26. Les Etats membres devraient conseiller, par exemple par le biais de leurs ministères compétents ou de leurs missions diplomatiques ou consulaires, les entreprises qui souhaitent opérer ou opèrent dans un pays tiers sur des questions relatives aux droits de l'homme, y compris des défis auxquels sont confrontés des individus appartenant à des groupes ou des populations qui peuvent encourir un risque élevé de devenir vulnérables ou marginalisés, en tenant dûment compte des risques liés au genre.

27 Les Etats membres devraient être en mesure d'informer les entreprises mentionnées au paragraphe 20 des effets potentiels sur les droits de l'homme de la réalisation d'opérations dans les zones affectées par des conflits et dans d'autres secteurs ou zones à haut risque d'impact négatif sur les droits de l'homme, et fournir une assistance à ces entreprises, conformément aux instruments internationaux pertinents, tels que l'Outil de l'OCDE de sensibilisation au risque destiné aux entreprises multinationales opérant dans les zones à déficit de gouvernance ou au Guide OCDE sur le devoir de diligence raisonnable pour des chaînes d'approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque. Les Etats membres devraient faciliter l'adhésion des entreprises à des normes sectorielles spécifiques telles que les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l'homme et le Code de conduite international des entreprises de sécurité privées. Les Etats membres devraient envisager d'effectuer une analyse sectorielle des risques afin d'identifier les secteurs dont les activités sont les plus susceptibles d'avoir un impact négatif sur les droits de l'homme.

28. Le cas échéant, les Etats membres devraient promouvoir, soutenir et participer à des formations et des ateliers destinés aux entreprises et à leurs partenaires commerciaux locaux, y compris sur la diligence raisonnable en matière de droits de l'homme dans leurs activités économiques menées dans des pays tiers. Cette action devrait être menée en coopération avec les organisations commerciales et les entreprises, les institutions nationales de droits de l'homme, les syndicats et les organisations non gouvernementales.

29. Les Etats membres devraient offrir des formations sur l'activité économique et les droits de l'homme aux fonctionnaires qui s'occupent des questions de responsabilité des entreprises, comme le personnel diplomatique et consulaire affecté dans des pays tiers où la situation des droits de l'homme est sensible.

30. Les Etats membres devraient adopter des mesures de mise en œuvre effective concernant les normes en matière de droits de l'homme et d'entreprises, et veiller à ce que les organes de régulation pertinents s'engagent dans ce but.


IV. Accès à une voie de recours

a. Accès aux mécanismes judiciaires

31. Les Etats membres devraient assurer la mise en œuvre effective des obligations qui leur incombent en vertu des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, et d'autres instruments internationaux et européens en matière de droits de l'homme, d'octroyer à toute personne un accès à un tribunal pour déterminer ses droits civils, ainsi qu'à quiconque dont les droits ont été violés selon ces instruments, un recours effectif devant une instance nationale, y compris lorsque cette violation découle d'une activité commerciale.

i. Responsabilité civile pour les violations de droits de l'homme par les entreprises

32. Les Etats membres devraient appliquer les mesures législatives et autres nécessaires pour s'assurer que les violations des droits de l'homme causées par des entreprises relevant de leur juridiction donnent lieu à une responsabilité civile en vertu de leurs lois respectives.

33. Les Etats membres qui n'ont pas exprimé leur consentement à être liés par la Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale du 30 octobre 2007 (« Convention de Lugano ») devraient envisager de lancer la procédure d'adhésion.

34. Les Etats membres devraient appliquer les mesures législatives ou autres nécessaires, le cas échéant, pour faire en sorte que leurs tribunaux internes soient compétents concernant les actions civiles à l'égard de violations des droits de l'homme liées aux activités économiques d'entreprises relevant de leur juridiction. La doctrine du forum non conveniens ne devrait pas s'appliquer dans ces cas.

35. Les Etats membres devraient envisager d'attribuer à leurs tribunaux internes la compétence pour les actions civiles liées à des violations de droits de l'homme par des entreprises visant, quel que soit l'endroit où elles sont implantées, des filiales d'entreprises relevant de leur juridiction, lorsque ces requêtes sont étroitement liées à des litiges civils concernant ces entreprises.

36. Lorsqu'une entreprise n'est pas domiciliée sur le territoire de leur juridiction, les Etats membres devraient envisager d'autoriser leurs tribunaux internes à se déclarer compétents pour les requêtes civiles liées à des violations de droits de l'homme causées par cette entreprise en l'absence manifeste d'un autre forum garantissant un procès équitable (forum necessitatis) et s'il y a des relations suffisamment étroites avec l'Etat membre concerné.

37. Lorsqu'un Etat membre possède ou contrôle une entreprise, ou engage une entreprise pour fournir des services publics, chaque Etat membre devrait appliquer les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour garantir que les litiges civils relatifs aux atteintes aux droits de l'homme par une telle entreprises puissent être portés devant ses juridictions internes et que l'Etat s'abstienne d'invoquer des privilèges nationaux ou des immunités, si tel est le cas.

38. Les Etats membres devraient appliquer les mesures législatives ou autres nécessaires le cas échéant pour assurer que les actions civiles à l'égard de violations des droits de l'homme liées aux activités économiques d'entreprises relevant de leur juridiction ne sont pas indûment restreintes par l'application de doctrines tels que « la raison d'Etat » ou la « question politique ».

39. Les Etats membres devraient envisager l'adoption de mesures permettant à des entités telles que des fondations, des associations, des syndicats et d'autres organisations d'intenter des actions en représentation de victimes alléguées.

40. Les Etats membres devraient appliquer les mesures législatives ou autres mesures nécessaires appropriées pour assurer que leurs tribunaux internes évitent d'appliquer une loi incompatible avec leurs obligations internationales, en particulier celles découlant des normes internationales applicables relatives aux droits de l'homme.

41. Quand la victime présumée d'une violation de droits de l'homme causée par une entreprise engage une action civile relative à une telle violation à l'encontre de l'entreprise, les Etats membres devraient veiller à ce que leur système juridique offre une garantie suffisante de l'égalité des armes au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Ils devraient en particulier prévoir dans leur ordre juridique des mécanismes d'aide juridique pour les requêtes concernant ces violations. Cette aide devrait pouvoir être obtenue de façon pratique et effective.

42. Les Etats membres devraient envisager des solutions pour la détermination collective de cas similaires à l'égard de violations de droits de l'homme causées par une entreprise.

43. Les Etats membres devraient envisager de réviser leur procédure civile quand les règles applicables empêchent l'accès aux informations possédées par le défendeur ou par un tiers, si de telles informations sont pertinentes pour que les victimes de violations de droits de l'homme causées par une entreprise puissent fonder leur requête, en tenant dûment compte des considérations de confidentialité.

ii. Responsabilité pénale ou équivalente pour les violations des droits de l'homme causées par des entreprises

44. Les Etats membres devraient examiner la possibilité d'appliquer les mesures législatives et autres mesures nécessaires pour s'assurer que les entreprises peuvent être tenues responsables en vertu de leur droit pénal ou de tout autre droit équivalent pour :
• des crimes relevant du droit international causés par des entreprises ;
• les infractions établies conformément à des traités, tels que la Convention pénale sur la corruption (STE n° 173), la Convention sur la cybercriminalité (STE n° 185), la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197), la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201), la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210), la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, du 15 novembre 2000, la Convention des Nations Unies contre la corruption, du 31 octobre 2003 et le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, du 25 mai 2000 ;
• d'autres infractions constituant des violations graves des droits de l'homme causées par des entreprises.
Ces mesures doivent également assurer que les entreprises peuvent être rendues responsables pour leur participation à la commission de tels crimes.

45. Que les entreprises soient ou non responsables pénalement ou assujetties à une loi équivalente, les Etats membres devraient envisager d'appliquer les mesures législatives ou autres nécessaires le cas échéant assurer que les représentants des entreprises peuvent être tenus responsables au pénal de la commission de crimes conformément au droit international, de délits établis conformément aux accords internationaux et d'autres infractions qui constitueraient des violations graves des droits de l'homme causées par des entreprises.

46. Qu'elles visent ou non des personnes physiques ou morales, les investigations doivent satisfaire au critère d'effectivité au regard de la Convention européenne des droits de l'homme, c'est-à-dire qu'elles doivent être appropriées, approfondies, impartiales et indépendantes, rapides et comprendre un élément de contrôle public, y compris la participation effective des victimes à l'enquête. Les Etats membres ont le devoir d'entamer des poursuites lorsque le résultat des investigations l'exige. Etant donné que les victimes ont le droit de demander une enquête officielle effective, toute décision de ne pas procéder à une enquête ou de suspendre une enquête ou des poursuites doit être suffisamment motivée.

iii. Recours administratifs

47. Les Etats membres devraient appliquer les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour garantir que les décisions des autorités compétentes comme par exemple celles qui accordent aux entreprises un appui, des services ou des licences d'exportation :
a. prennent en compte les risques en matière de droits de l'homme, sur la base, par exemple, d'une évaluation d'impact sur les droits de l'homme ;
b. soient divulguées, le cas échéant ; et
c. fassent l'objet d'un contrôle administratif ou judiciaire.

48. Les Etats membres devraient prévoir des mesures appropriées permettant de traiter des allégations crédibles de violations des droits de l'homme commises en rapport avec les activités commerciales qui constituent la base des décisions auxquelles fait référence le paragraphe 47.

b. Accès aux mécanismes non-judiciaires

49. Les Etats membres devraient contribuer à faire connaître les mécanismes non-judiciaires de réclamation et à faciliter l'accès à ces derniers, et contribuer au partage des connaissances des mécanismes non-judiciaires de réclamation disponibles.

50. Les Etats membres devraient prévoir des mécanismes non-judiciaires de réclamation qui satisfassent aux critères d'effectivité énoncés au principe 31 des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et les droits de l'homme, et qui facilitent la mise en œuvre de leurs conclusions. Ils devraient assurer que les mécanismes non-judiciaires de réclamation non-étatiques satisfassent à ces critères d'effectivité.

51. Les Etats membres devraient évaluer l'adéquation et la disponibilité des mécanismes non-judiciaires relevant de l'Etat, tels que les inspections du travail, les autorités de protection des consommateurs, les agences environnementales, les institutions nationales des droits de l'homme, les institutions des défenseurs des droits (ombudsperson) et les instances nationales chargées de l'égalité, ainsi que les recours qu'ils peuvent fournir à cet effet. Cela pourrait inclure la prorogation du mandat des organes non-judiciaires existants, relevant de l'Etat, ou la création de nouveaux organes ayant la capacité de recevoir et de statuer sur les plaintes liées aux violations de droits de l'homme par des entreprises et permettant de dédommager les victimes.

52. Les Etats membres qui ne l'ont pas encore fait devraient prendre des mesures pour adhérer et/ou mettre en œuvre les Principes directeurs pour les entreprises multinationales de l'OCDE. Ils devraient soutenir la mise en œuvre effective de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l'Organisation internationale du travail (OIT).

53. Les Etats membres qui ont mis en œuvre les Principes directeurs de l'OCDE devraient assurer l'efficacité de leur point de contact national créé en vertu de ces principes, en particulier en lui affectant des ressources humaines et financières afin qu'il exerce ses responsabilités ; en assurant que les points de contact sont visibles, accessibles, transparents, responsables et impartiaux ; en promouvant des approches privilégiant le dialogue ; en examinant la possibilité de rendre publiques les recommandations du point de contact national et en assurant que ces recommandations sont prises en considération par les autorités gouvernementales dans leurs décisions sur les appels d'offres, les crédits à l'exportation ou les garanties d'investissement.

54. Les Etats membres devraient encourager les entreprises mentionnées au paragraphe 20 à mettre en place leur propre mécanisme de réclamation conformément aux critères d'efficacité du Principe 31 des Principes directeurs des Nations Unies. Lorsque ces mécanismes sont mis en place, il faut faire en sorte qu'ils n'empêchent pas l'accès de la victime alléguée au système judiciaire ordinaire ou à des mécanismes non-judiciaires étatiques.

c. Mesures de caractère général

55. Pour améliorer l'accès des victimes de violations de droits de l'homme causées par des entreprises à des réparations, les Etats membres devraient satisfaire à leurs obligations de coopération judiciaire les uns avec les autres ou avec des pays tiers, y compris pour les investigations pénales, l'aide judiciaire, l'échange d'informations et de données, la collecte d'éléments de preuve et la reconnaissance et l'exécution des décisions de justice, de manière à respecter les droits fondamentaux de toutes les parties à la procédure. A cette fin, les Etats membres sont invités à intensifier leur coopération réciproque et avec les pays tiers, ainsi qu'avec les mécanismes de réclamation non-judiciaires non-étatiques, au-delà de leurs obligations. En outre, les Etats membres devraient faire plus d'efforts pour se soutenir mutuellement grâce à la coopération technique et à l'échange d'expériences.

56. Les Etats membres devraient prévoir des ressources suffisantes et envisager d'élaborer des grandes orientations et des formations spéciales pour les juges, les procureurs, les inspecteurs, les arbitres et les médiateurs afin de traiter les violations de droits de l'homme causées par des entreprises, en particulier quand celles-ci comportent un élément transnational.

57. Les victimes présumées des violations des droits de l'homme relevant de la juridiction territoriale des Etats membres devraient avoir un accès général, dans une langue qu'elles comprennent, aux informations concernant le contenu des droits de l'homme respectifs ainsi que les voies de recours judiciaires et non-judiciaires existantes.

V. Protection additionnelle des travailleurs

58. Les Etats membres devraient exiger que les entreprises respectent les droits des travailleurs lorsqu'elles exercent des activités sur le territoire de leur juridiction et, le cas échéant, dans l'ensemble de leurs opérations à l'étranger lorsqu'elles sont domiciliées dans leur juridiction.

59. Les Etats membres devraient redoubler d'efforts pour respecter leurs obligations à l'égard des travailleurs en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de la Convention européenne des droits de l'homme, de la Charte sociale européenne, de la Charte sociale européenne (révisée), et des conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail concernant en particulier la liberté d'association, le droit de négociation collective, l'interdiction de la discrimination, du travail des enfants et du travail forcé, ainsi que tout autre instrument international pertinent, y compris ceux concernant la santé et la sécurité des travailleurs et des personnes travaillant dans l'économie informelle.

60. Les Etats membres devraient impliquer les partenaires sociaux dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques sur les questions qui sont particulièrement sensibles en ce qui concerne les droits des travailleurs.

VI. Protection additionnelle des enfants

61. Les Etats membres devraient exiger que les entreprises respectent les droits des enfants lorsqu'elles exercent des activités sur le territoire de leur juridiction et, le cas échéant, dans l'ensemble de leurs opérations à l'étranger lorsqu'elles sont domiciliées dans leur juridiction.

62. Lors de la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 et de ses protocoles additionnels, les Etats membres devraient prendre dûment en considération l'Observation générale n° 16 sur les obligations des Etats concernant les incidences du secteur des entreprises sur les droits de l'enfant, adoptée par le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies. Les Etats membres devraient également intensifier leurs efforts pour satisfaire à leurs obligations envers les enfants au regard de la Convention européenne des droits de l'homme, de la Charte sociale européenne (révisée), des conventions de l'Organisation internationale du travail concernant le travail des enfants et d'autres instruments internationaux pertinents, et prendre en considération les Droits de l'enfant et principes régissant les entreprises, développés par l'UNICEF, le Pacte mondial des Nations Unies et Save the Children.

63. Les Etats membres devraient impliquer toutes les parties prenantes dans l'élaboration et la mise en œuvre de politiques sur les questions qui sont particulièrement sensibles concernant les droits de l'enfant, comme les mesures prévues par la Convention sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels.

64. Reconnaissant que les enfants n'ont pas toujours accès à des informations pertinentes et qu'ils rencontrent en particulier des difficultés dans l'exercice de leurs droits à être entendus, les Etats membres devraient notamment :
a. encourager, et, le cas échéant, exiger que les entreprises examinent spécifiquement les droits des enfants lorsqu'elles appliquent une diligence raisonnable en matière des droits de l'homme ;
b. mettre en œuvre des mesures visant à supprimer les obstacles sociaux, économiques et juridiques afin que les enfants puissent avoir accès à des mécanismes judiciaires et non-judiciaires efficaces relevant de l'Etat sans discrimination d'aucune sorte, conformément aux Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe sur une justice adaptée aux enfants ;
c. examiner particulièrement les droits des enfants dans leurs Plans d'action nationaux.

VII. Protection renforcée des peuples autochtones

65. Les Etats membres devraient exiger que les entreprises respectent les droits des peuples autochtones, tels qu'ils sont définis dans les normes internationales, lorsque ces entreprises opèrent dans leur juridiction territoriale et, le cas échéant, dans leurs opérations à l'étranger lorsqu'elles sont domiciliées dans leur juridiction.

66. Les Etats membres devraient redoubler d'efforts pour respecter leurs engagements à l'égard des entreprises et des droits des peuples autochtones en vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones du 13 septembre 2007, de la Convention de l'OIT n° 169 relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants, du 27 juin 1989, et de toute autre instrument international protégeant les droits et la culture des peuples autochtones.

67. Les Etats membres devraient appliquer les mesures nécessaires législatives et autres pour encourager ou, le cas échéant, exiger que les entreprises domiciliées dans leur juridiction :
a. respectent les droits et les intérêts des peuples autochtones ; et
b. consultent et coopèrent de bonne foi afin d'obtenir leur consentement libre et éclairé préalablement à l'accord sur tout projet touchant à leurs terres ou territoires et autres ressources, notamment en relation avec le développement, l'utilisation ou l'exploitation de minéraux, d'eau et autres ressources.
Concernant les entreprises qui mènent des activités substantielles au sein de leur juridiction, les Etats membres devraient appliquer de telles mesures à ces activités.

68. Les Etats membres devraient accorder une attention particulière aux droits des peuples autochtones dans leurs Plans d'action nationaux.

VIII. Protection des défenseurs des droits de l'homme

69. Les Etats membres devraient veiller à ce que les aux activités des défenseurs des droits de l'homme relevant de leur juridiction qui portent sur les effets d'activités économiques sur les droits de l'homme ne soient pas entravées, par exemple, par des pressions politiques, du harcèlement ou des contraintes économiques ou à motivation politique. Les droits fondamentaux dont jouissent les défenseurs des droits de l'homme en vertu des articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l'homme doivent en particulier être protégés.

70. Les Etats membres devraient protéger et également soutenir, à travers par exemple leurs missions diplomatiques et consulaires, le travail des défenseurs des droits de l'homme qui s'intéressent à l'impact d'activités économiques sur les droits de l'homme dans des pays tiers, conformément aux normes internationales et européennes existantes.
Partager…