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Ministère de la Justice français

Abolition de la peine de mort : Discours de Pascal Clément

discours du 30 janvier 2007 - Ministère de la Justice français - France
Pays :
peine de mort / France
Discours de Pascal Clément, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
Assemblée Nationale
Mardi 30 janvier 2007
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
La peine de mort n'est pas un acte de justice, mais une pratique barbare.
Je mesure le poids de ces mots, car je n'ai pas toujours partagé cet avis. Je me souviens être monté à la tribune il y a plus de vingt-cinq ans pour inviter la représentation nationale à s'opposer à l'abolition de la peine capitale.
Je ne vous présente pas ce texte, si essentiel en ce qu'il symbolise, par devoir. Je le fais par conviction. Je n'aurai d'ailleurs pas pu faire autrement.
Comme tant d'autres Français, j'ai évolué sur cette question. Une majorité d'entre eux est désormais favorable à l'abolition de la peine de mort, mais cette majorité reste précaire. Je fais maintenant partie de cette majorité, mais je sais que nous ne sommes pas encore tous sur cette ligne.
Je veux donc me tourner en priorité vers ceux d'entre vous qui croient que la peine de mort est le meilleur instrument de prévention du crime, qu'elle inspire la peur et pousse à réfréner les pulsions.
Ce n'est pas vrai.
Les taux de criminalité ou de décès par mort violente dans les pays ayant conservé la peine de mort sont là pour nous le prouver. La peine de mort ne réduit pas la criminalité, elle se contente d'habiller la loi du talion sous un paravent légal et démocratique.
J'ai cru par le passé que la peine de mort pouvait sauver la vie d'innocents et j'étais prêt à accepter de détruire une vie mais pour en sauver d'autres. Mais elle est inefficace et satisfait simplement un esprit de vengeance. Je connais la douleur des familles de victimes. Je sais qu'elles n'oublient jamais le drame qu'elles ont vécu. Je sais que certaines appellent de leurs voeux les sanctions les plus radicales en réponse à l'horreur des actes commis.
Mais la vengeance est un instinct que combat la justice. La vengeance abaisse la société qui l'emploie. La vengeance nous éloigne de l'Etat de droit. La vengeance doit être proscrite.
Je ne vous parle pas du sens de l'histoire et je me garderai bien de donner des leçons de morale. Je n'invoquerai pas non plus la mémoire de Jaurès qui intervint dans ces lieux il y a près d'un siècle, même si la tentation est grande.
Je veux simplement évoquer devant vous les principes qui guident notre conception de la justice et de la place qu'elle occupe dans nos institutions. Car, comme l'écrivait le célèbre auteur du traité des délits et des peines, Cesare Beccaria, « si je prouve que cette peine n'est ni utile ni nécessaire, j'aurai fait triompher la cause de l'humanité ».
D'abord, la vie humaine a un caractère inviolable et sacré. Ce point n'est pas négociable. Chaque femme, chaque homme ne peut être réduit aux atrocités qu'il a pu commettre. Il a avant tout une part d'humanité que nous devons protéger, entretenir, parfois sauver. On juge une société à ses membres, mais aussi à ses règles. Eliminer d'autres hommes n'est pas une règle propre à une société évoluée.
D'autant plus que la justice humaine est faillible. Elle est nécessaire, mais elle conserve une capacité d'appréciation, qui parfois peut mener à une erreur. Le juge, dans sa difficile mission de dire le droit et le juste, peut se tromper.
Chacun d'entre vous peut en peser les conséquences. L'erreur judiciaire est un scandale.
La peine de mort ne se contente pas d'en aggraver les effets, elle transforme fondamentalement la condamnation en crime de la société, que la France soit en paix ou en temps de guerre.
C'est pourquoi la peine la plus grave encourue par l'auteur d'une infraction doit être la réclusion criminelle à perpétuité. La prison à vie, même si elle est réduite à une peine de sûreté, est une épreuve terrible pour les condamnés et suffit largement à faire craindre la justice aux criminels. C'est la liberté qui fait rêver les hommes, c'est pour elle qu'ils peuvent réaliser ce qu'il y a de meilleur en eux. C'est aussi pour cela que je crois en la capacité de tout être, quelles que soient ses fautes, à s'amender.
Le temps des supplices est terminé : la peine sert à écarter le danger que fait peser un criminel sur la société, à due proportion de ses actes, et à réinsérer ceux qui en ont la volonté.
Ce sont les objectifs de notre système carcéral. Celui-ci n'a pas vocation à être un lieu de souffrance.
La France veut porter ses valeurs dans le monde entier. C'est là sa mission, et c'est son honneur. C'est pourquoi elle est favorable à l'abolition universelle de la peine de mort.
Ce choix n'est pas seulement celui du Président de la République qui s'en est fait l'avocat inlassable et qui a personnellement voulu que ce projet aboutisse. C'est celui de la collectivité nationale toute entière, fière et rassemblée autour des droits de l'homme, quelles que soient les frontières politiques.
L'abolition de la peine de mort par la loi du 9 octobre 1981 a permis à la France, en 1986, de ratifier le protocole n° 6 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme concernant l'abolition de la peine de mort en temps de paix. Ce protocole permet néanmoins le rétablissement de la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre.
La France souhaite maintenant que tous les pays puissent écarter cette hypothèse. Chaque évènement international est l'occasion pour le Président de la République, l'ensemble des membres du gouvernement et des représentants du Parlement de rappeler le caractère inviolable et sacré de la vie humaine. Vous savez à quel point cette mission est difficile et courageuse, tant la valeur de la vie humaine est encore trop différemment perçue dans certains pays.
Ce mouvement international en faveur de l'abolition continue d'avancer. Il se traduit par deux nouvelles conventions : le protocole n° 13 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, abolissant la peine de mort en toutes circonstances et le deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New-York le 15 décembre 1989.
La France n'a ratifié aujourd'hui aucun de ces deux textes. Elle ne souhaite pourtant pas rester à l'écart de ces initiatives qui portent un message conforme à ses valeurs.
En effet, dans sa décision du 13 octobre 2005, le Conseil Constitutionnel a jugé qu'une révision constitutionnelle était nécessaire pour que la France puisse ratifier le deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans la mesure où celui-ci ne comporte pas de clause de dénonciation et prescrit une abolition définitive de la peine de mort.
Il méconnaît donc les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, car cet engagement serait irréversible.
Il n'existe qu'un seul dispositif juridique pour répondre à la décision du Conseil constitutionnel : modifier notre loi fondamentale, comme nous l'avons fait par le passé pour d'autres textes internationaux, notamment lors de la ratification par la France du Traité de Rome instituant une Cour Pénale Internationale.
La révision constitutionnelle prendra place à l'article 66-1 de la Constitution au sein du titre VIII sur l'autorité judiciaire. Elle dispose que « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».
Notre pays rejoindra ainsi les 16 pays de l'Union européenne qui ont inscrit dans leur texte fondamental l'abolition de la peine de mort.
A tous ceux qui s'interrogent sur la présence d'un tel article dans notre loi fondamentale, je voudrais leur dire : soyez rassurés, nous ne serons que le 45e Etat dans le monde à manifester cette volonté.
Tel n'est malheureusement pas encore le cas de tous les pays membres de l'Organisation des Nations Unies où les Etats abolitionnistes « en toutes circonstances » demeurent minoritaires. Il sera donc de notre devoir d'oeuvrer à l'avenir, par notre action diplomatique, à la proscription de la peine de mort.
Ces terres de mission, nous les connaissons. Ce sont en priorité les pays qui condamnent et qui exécutent des condamnés. La plupart savent qu'ils seront amenés bientôt à réviser leurs positions et ils veulent que nous accompagnions leur évolution. Nous le ferons. D'autres restent persuadés que la mort n'est qu'une peine normale et banale. Notre exemple ne suffira pas à les convaincre et la société civile engagée dans ce combat doit savoir qu'elle n'est pas seule à lutter pour le respect des droits de l'homme.
Nous devons également aider les pays qui ne sont abolitionnistes qu'en pratique, où la peine de mort reste prononcée mais n'est pas exécutée, à mettre en accord leurs lois et leurs choix. Nous ne pouvons qu'inciter leurs dirigeants à nous rejoindre et à garantir le respect de la vie humaine dans leur droit pénal.
Enfin, l'adoption de ce projet de loi constitutionnelle montrera que les crimes de guerre, aussi terribles soient-ils, ne doivent pas être punis de la peine de mort. On ne répond pas à l'horreur par la barbarie.
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs les députés, ce texte n'est pas un symbole vain ; il est un symbole qui fait avancer la cause des droits de l'homme partout dans le monde.
Il est des débats dont on se persuade un peu rapidement qu'ils sont clos. L'abolition de la peine capitale en fait partie.
La peine de mort ne doit plus être un débat politique en France. Nous devons clairement, et définitivement, l'exclure du champ des discussions et des propositions. Nous devons montrer qu'elle n'a de place que dans les livres d'histoire et marquer cette volonté en l'inscrivant au coeur de notre pacte fondamental, dans le texte même de notre constitution.
Par delà nos débats nationaux, cette révision constitutionnelle a valeur d'exemple pour le monde entier. Il renforcera notre poids et notre crédibilité dans nos discussions internationales.
C'est pourquoi j'invite chacun de vous, en conscience, à voter ce projet de loi qui mettra un terme définitif à ce point si débattu de notre législation criminelle.
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