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Rapport sur les propositions pour la création d'une journée nationale sur la peine de mort

Rapport no 3618
rapport du 22 février 2002 - Assemblée nationale française - France
Pays :
peine de mort / France
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 février 2002.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR :

1. LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT (n° 3596), tendant à créer une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort ;

2. LA PROPOSITION DE LOI (n° 3133) DE M. BERNARD BIRSINGER ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, tendant à créer une journée nationale contre la peine de mort,

PAR M. BERNARD BIRSINGER,

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 374 (2000-2001), 214 et T.A. 61 (2001-2002).

Assemblée nationale : 3596, 3133.

Droits de l'homme et libertés publiques.

La Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : M. Bernard Roman, président ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Feidt, M. Gérard Gouzes, vice-présidents ; M. Richard Cazenave, M. André Gerin, M. Arnaud Montebourg, secrétaires ; M. Léon Bertrand, M. Bernard Birsinger, M. Jean-Pierre Blazy, M. Émile Blessig, M. Jean-Louis Borloo, M. Michel Bourgeois, Mme Danielle Bousquet, M. Michel Buillard, M. Dominique Bussereau, M. Christophe Caresche, M. Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, M. Jean-Yves Caullet, M. Olivier de Chazeaux, M. Pascal Clément, M. Jean Codognès, M. François Colcombet, M. François Cuillandre, M. Henri Cuq, M. Jacky Darne, M. Camille Darsières, M. Francis Delattre, M. Bernard Derosier, M. Franck Dhersin, M. Marc Dolez, M. Renaud Donnedieu de Vabres, M. René Dosière, M. Julien Dray, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Laurence Dumont, M. René Dutin, M. Renaud Dutreil, M. Jean Espilondo, M. Roger Franzoni, M. Pierre Frogier, M. Claude Goasguen, M. Philippe Houillon, M. Michel Hunault, M. Michel Inchauspé, M. Henry Jean-Baptiste, M. Armand Jung, M. Jérôme Lambert, Mme Christine Lazerges, Mme Claudine Ledoux, M. Jean Antoine Leonetti, M. Bruno Le Roux, M. Jacques Limouzy, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-Pierre Michel, M. Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, M. Robert Pandraud, M. Dominique Perben, Mme Catherine Picard, M. Henri Plagnol, M. Didier Quentin, M. Dominique Raimbourg, M. Jean-Pierre Soisson, M. Frantz Taittinger, M. André Thien Ah Koon, M. Jean Tiberi, M. Alain Tourret, M. André Vallini, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann.

INTRODUCTION 5

I. - LA PEINE DE MORT : UNE PRATIQUE ENCORE TROP FRÉQUENTE 6

A. UNE ABOLITION RÉCENTE EN FRANCE 6

1. Une lente maturation 6

2. Une conquête de 20 ans 6

B L'ABOLITION : UN COMBAT UNIVERSEL 7

1. Un principe qui progresse 7

a) Une prise en compte progressive par le droit international 7

b) Une forte mobilisation au niveau européen 8

2. Un bilan qui demeure insuffisant 9

II. - LES DISPOSITIONS DE LA PROPOSITION DE LOI : UNE ÉTAPE SUPPLÉMENTAIRE EN FAVEUR DE L'ABOLITION 10

A. UNE INITIATIVE NÉCESSAIRE 10

B. UN DISPOSITIF COMPLET 11

TABLEAU COMPARATIF 13

ANNEXE I - Pays où la peine de mort a été abolie 15

ANNEXE II - Pays où la peine de mort est maintenue 17

MESDAMES, MESSIEURS,

Le 12 février dernier, dans le cadre de son ordre du jour réservé, le Sénat a approuvé, sur le rapport de Mme Nicole Borvo et à la quasi-unanimité des voix, la proposition de loi tendant à créer une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort qui avait été déposée par les membres du groupe communiste républicain et citoyen en juillet 2001. Malheureusement, le Gouvernement n'a pas inscrit ce texte à l'ordre du jour de notre assemblée pour qu'il soit adopté avant la fin de la session parlementaire.

La loi n° 81-908 du 9 octobre 1981 a permis une avancée décisive pour notre démocratie en abolissant la peine capitale pour tous les délits de droit commun comme pour ceux relevant de la justice militaire. Toutefois, la survivance de la peine de mort dans un grand nombre de pays apparaît inacceptable. Cette question transcende largement les frontières pour parler à la conscience humaine. La peine de mort est d'abord fondamentalement contraire à nos valeurs. La suppression volontaire, programmée et institutionnalisée d'un être humain constitue un châtiment cruel, qui s'apparente à une forme de torture. Chaque exécution heurte notre conscience, mutile notre humanité. La peine de mort est également contraire aux valeurs qui fondent notre idéal de Justice. Ce châtiment s'apparente en effet à l'idée de vengeance. Son caractère irréversible empêche de plus le système judiciaire de corriger ses erreurs et entraîne inévitablement l'exécution d'innocents. Loin de protéger la société, le peine de mort offre l'exemple de la vengeance et de la brutalité. Loin d'avoir un effet dissuasif, elle appelle, légitime et banalise les comportements de violence.

Aussi, notre pays doit tout faire pour encourager sa suppression à l'échelle internationale et rester vigilant pour éviter tout retour en arrière. L'adoption du texte soumis à notre examen, qui reprend dans son esprit la proposition de loi déposée par votre rapporteur le 26 juillet 2000 (1), constitue une étape indispensable en faveur du mouvement abolitionniste.

Après avoir dressé un état des lieux de l'application de la peine de mort dans le monde, votre rapporteur précisera le contenu de la proposition de loi.

I. - LA PEINE DE MORT : UNE PRATIQUE ENCORE TROP FRÉQUENTE

A. UNE ABOLITION RÉCENTE EN FRANCE

1. Une lente maturation

Il a fallu attendre la fin du XVIIIe siècle pour que la peine de mort soit remise en question au nom de la dignité de l'homme. Les philosophes des Lumières commencèrent par dénoncer l'usage abusif de la peine capitale tout en s'interrogeant sur la façon la moins inhumaine d'infliger la mort. C'est avec la publication, en 1764, du « Traité des délits et des peines » du juriste milanais César Beccaria que s'amorça le grand courant abolitionniste. Cet ouvrage infléchit les législations de certains pays : la peine de mort fut ainsi abolie en 1786 en Toscane et en 1789 en Autriche. Il eut surtout une grande influence sur les philosophes de l'époque : Voltaire devint ainsi partisan de l'abolition de la peine de mort. Le mouvement abolitionniste s'est développé progressivement en France pour ne triompher finalement qu'au XXe siècle.

Sous la Révolution, certains constituants remirent en cause la légitimité du châtiment capital ; Le Peletier de Saint-Fargeau proposa son abolition dans le cadre de la discussion du projet de code pénal à l'Assemblée nationale constituante en 1791. Le principe de cette abolition fut proclamé en 1795, sa mise en _uvre devant intervenir à la fin des hostilités.

Au XIXe siècle, les périodes de « libéralisation » (1830, 1848 et 1870) virent se succéder les propositions d'abolition : en 1848, les constituants supprimèrent la peine de mort en matière de délit politique. Si de nombreuses propositions abolitionnistes furent déposées sous la IIIe et la IVe République, le dernier grand débat parlementaire consacré à la peine de mort se déroula d'octobre 1906 à décembre 1908.

En 1906, la commission du budget de la Chambre des députés supprima les crédits affectés à l'indemnisation du bourreau et aux frais d'exécution pour tenter d'obtenir un vote abolitionniste du Parlement. Le Gouvernement Clemenceau estimant que l'abolition ne pouvait être réalisée par cette voie indirecte, le garde des Sceaux Guyot-Dessaigne déposa un projet de loi tendant à abolir la peine de mort. Ce texte examiné en même temps que les propositions de loi de Joseph Reinach et de Paul Meunier fut finalement rejeté en décembre 1908.

Après cet échec, le débat sur l'abolition ne fut véritablement relancé que sous la Ve République. Huit propositions de loi en faveur de l'abolition furent déposées entre 1958 et 1973 et neuf entre 1973 et 1981 tandis que les débats parlementaires sur la question se multipliaient à partir de 1978.

2. Une conquête de 20 ans

L'abolition de la peine de mort figurait en bonne place dans le programme présidentiel de François Mitterrand. En août 1981, M. Robert Badinter, à l'époque garde des Sceaux, déposa sur le bureau de l'Assemblée nationale un projet de loi portant abolition de la peine de mort. L'Assemblée approuva ce texte en première lecture le 18 septembre suivant, sur le rapport de M. Raymond Forni. Le Sénat le vota en termes identiques douze jours plus tard.

La loi n° 81-909 du 9 octobre 1981 a posé le principe d'une abolition définitive et générale de la peine de mort. A cette fin, elle a remplacé, dans tous les textes en vigueur, la référence à ce châtiment par une référence à la réclusion criminelle à perpétuité ou à la détention criminelle à perpétuité, selon la nature du crime concerné. Les six condamnés à mort détenus alors dans les prisons françaises furent graciés et leur peine commuée en réclusion à perpétuité. La dernière exécution pratiquée en France remonte donc à 1977.

Comme le soulignait, M. Robert Badinter, la loi de 1981 a comblé un retard international. Alors que la France a été une des premières nations à abolir la torture et l'esclavage, elle fut l'une des dernières puissances d'Europe occidentale à abolir la peine de mort. Trente-quatre pays s'étaient déjà engagés dans cette voie avant elle. Si, en septembre 1981, un sondage montrait que 63 % des Français étaient favorables à la peine de mort et 32 % pour son abolition, la tendance semble s'être aujourd'hui inversée. Un sondage publié dans Le Monde en août 1999 indiquait ainsi que 50 % des Français étaient hostiles à la peine de mort tandis que 48 % la soutenaient.

B. L'ABOLITION : UN COMBAT UNIVERSEL

Le principe de l'abolition universelle de la peine de mort a progressé depuis la moitié du XXe et a été progressivement consacré par le droit international et européen. La société civile se mobilise de plus en plus fortement en faveur de cette cause au travers des organisations non gouvernementales et des associations. Si de nombreux Etats ont mis fin à cette pratique dégradante, trop y recourent encore.

1. Un principe qui progresse

a) Une prise en compte progressive par le droit international

Le mouvement abolitionniste a fortement progressé dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies. Plusieurs textes de portée contraignante ont été adoptés, tandis que la Commission des droits de l'Homme a multiplié les initiatives en la matière.

La Déclaration universelle des droits de l'Homme adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 n'a pas condamné directement la pratique de la peine de mort, mais son article 3 précise que : « tout individu a le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne » et que : « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Signé le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 23 mars 1976, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a tenté d'encadrer l'usage de la peine de mort. 164 pays y ont aujourd'hui adhéré. Son article 6 dispose que dans les pays où la peine de mort n'a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis. Par ailleurs, il interdit le prononcé de cette sentence pour les crimes commis par des personnes âgées de moins de dix-huit ans et son exécution contre des femmes enceintes. Le Comité des droits de l'homme, chargé de suivre l'application du pacte, est amené à recevoir de l'information sur la situation de la peine de mort dans les Etats parties et peut intervenir pour leur demander le respect de leurs engagements.

Un deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et visant à abolir la peine de mort a été adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 15 décembre 1989. Il est entré en vigueur le 11 juillet 1991. Les Etats parties à ce protocole doivent s'engager à abolir la peine de mort. Ils peuvent éventuellement formuler une réserve lors de sa ratification pour prévoir la possibilité de rétablir la peine de mort en temps de guerre pour des crimes de caractère militaire d'une gravité extrême. Il convient de souligner que la France reste le seul pays de l'Union européenne à ne pas avoir ratifié ce protocole. Le Gouvernement s'y est toutefois engagé.

La Convention relative aux droits de l'enfant, adoptée le 20 novembre 1989 par l'Assemblée générale des Nations Unies et entrée en vigueur le 2 septembre 1990, a également contribué à encadrer l'usage de la peine de mort au niveau international. Son article 37 interdit ainsi l'usage de la peine de mort à l'égard des personnes âgées de moins de dix-huit ans. Le Comité des droits de l'enfant est chargé de suivre sa mise en _uvre.

Enfin, au-delà de ces textes contraignants, il convient de citer l'importante action de la Commission des droits de l'homme qui, par une série de résolutions, a tenté de faire progresser la cause abolitionniste. Depuis 1999, la Commission a adopté plusieurs projets de résolution tendant à établir un moratoire sur les exécutions et à réduire le nombre des infractions passibles de ce châtiment, mais ils n'ont jamais été examinés par l'Assemblée générale.

b) Une forte mobilisation au niveau européen

Les institutions européennes, le Conseil de l'Europe puis l'Union européenne, se sont prononcées très nettement en faveur de l'abolition de la peine de mort.

Signée le 4 novembre 1950 dans le cadre du Conseil de l'Europe, la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales a posé, dans son article 2, le principe selon lequel une peine capitale ne peut être infligée que dans des circonstances exceptionnelles et a interdit, dans son article 3, de soumettre un individu à une peine inhumaine ou dégradante. Le protocole n° 6 additionnel à cette convention, signé le 23 avril 1983, a consacré le principe de l'abolition de la peine de mort par les Etats parties qui l'ont ratifié. Un Etat ne peut recourir à la peine de mort que pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre. Entré vigueur le 1er mars 1985, ce protocole a été ratifié par la France le 17 février 1986, après que le Conseil constitutionnel eut considéré qu'il ne portait pas atteinte à la souveraineté nationale (décision n° 85-188 DC du 22 mai 1985). Aujourd'hui, 39 Etats l'ont ratifié.

L'action du Conseil de l'Europe mérite d'être saluée. Depuis le milieu des années 1990, il a adopté de nombreuses résolutions abolitionnistes et mené une action politique active en vue d'obtenir la ratification du sixième protocole par l'ensemble de ses quarante-trois membres. En juin 2001, le Conseil a annoncé qu'il réétudierait éventuellement l'attribution d'un statut d'observateur du Japon et des Etats-Unis si ces Etats continuaient à procéder à des exécutions d'ici à 2003. Le 24 janvier 2002, il a, par ailleurs, invité ses Etats membres à refuser l'extradition de personnes accusées d'actes terroristes si ces dernières encouraient la peine de mort (2).

Parallèlement au Conseil de l'Europe, les institutions communautaires ont pris parti contre la peine de mort. Dès 1981, le Parlement européen s'est prononcé en faveur de l'abolition. Depuis juin 1998, cette question est devenue une des priorités de l'Union européenne qui a défini des « orientations communes pour une politique de l'Union européenne à l'égard des pays tiers en ce qui concerne le peine de mort ». Enfin, la charte des droits fondamentaux, adoptée à Nice, le 7 décembre 2000 a interdit l'usage de la peine de mort. Aujourd'hui un Etat ne peut pas adhérer à l'Union européenne s'il pratique la peine capitale.

Signe du rôle important joué par l'Europe, le premier Congrès mondial contre la peine de mort s'est déroulé, en juin 2001, à Strasbourg, à l'initiative de l'association : « Ensemble contre la peine de mort », et en partenariat avec le Parlement européen et le Conseil de l'Europe notamment. Il convient de saluer dans ce rapport le travail très important effectué par le tissu associatif, parfois même par des citoyens isolés, qui se mobilisent pour empêcher les exécutions et défendre des condamnés à mort. Certaines associations ont d'ailleurs participé à l'écriture de la proposition de loi soumise à notre examen : citons Amnesty International, La ligue des droits de l'homme, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples et le collectif de soutien à Mumia Abu Jamal.

2. Un bilan qui demeure insuffisant

La mobilisation européenne et internationale en faveur de l'abolition de la peine capitale a incontestablement permis de faire reculer le nombre d'exécutions. Plus de trente pays ont ainsi aboli totalement la peine de mort depuis 1990.

Selon les chiffres d'Amnesty International, 109 pays ont mis fin, en droit ou en pratique, à la peine de mort. Parmi eux, 75 l'ont aboli pour tous les crimes, 14 ne l'ont maintenu que pour des crimes perpétrés pendant des périodes exceptionnelles, telles que la guerre, et 20 peuvent être considérés comme abolitionnistes en pratique car aucune exécution n'a été pratiquée sur leur territoire depuis au moins dix ans.

Le bilan du nombre des exécutions demeure toutefois très préoccupant. Au cours de l'année 2000, au moins 1 457 prisonniers ont été exécutés dans 27 pays et 3 058 personnes ont été condamnées à mort dans 65 pays. Ces chiffres sont certainement sous-estimés, puisqu'ils ne prennent en compte que les seuls cas portés à la connaissance d'Amnesty International. Il convient de souligner que 88 % des exécutions ont été pratiquées en Chine (1000 personnes), en Iran (75 personnes), en Arabie Saoudite (123 personnes), et aux Etats-Unis (85 personnes).

Il n'est pas question de focaliser uniquement notre attention sur la situation des Etats-Unis. Ce pays est cependant particulièrement regardé : comment pouvons-nous rendre crédible l'idée d'une abolition universelle de la peine de mort, si la première puissance économique, militaire et culturelle de notre planète continue d'appliquer ce châtiment ? Outre la législation fédérale et le code de justice militaire, actuellement 38 Etats américains prévoient la peine de mort dans leur législation et 32 d'entre eux ont repris les exécutions depuis 1977. La validation par la Cour suprême des lois rétablissant la peine de mort dans plusieurs Etats en 1976 (Gregg c. Géorgie) a porté un coup important au mouvement abolitionniste.

En 2001, le nombre d'exécutions a diminué aux Etats-Unis pour se porter à 66, mais il demeure important. Plus de la moitié de ces exécutions sont imputables à deux Etats : l'Oklahoma et le Texas. Circonstance aggravante, les Etats-Unis figurent parmi les sept pays au monde qui autorisent l'exécution de personnes mineures au moment de leur crime. Seulement 16 Etats ont proscrit cette pratique dans leur législation. De 1985 à 2000, 17 personnes ayant commis leur crime lorsqu'ils étaient mineurs ont été exécutés.

La remise en cause de la peine de mort aux Etats-Unis apparaît d'autant plus nécessaire que plusieurs études ont mis en évidence les dysfonctionnements du système judiciaire américain. Entre 1973 et 1993, au moins 48 personnes ont été remises en liberté après avoir été innocentées. Le nombre élevé d'erreurs judiciaires a d'ailleurs conduit l'Etat de l'Illinois à instaurer un moratoire sur les exécutions capitales. Enfin, les statistiques montrent que l'application de la peine de mort se fait de façon discriminatoire : un homme noir qui tue une personne blanche a onze fois plus de chance d'être exécuté qu'un homme blanc qui tue un homme noir. Plus de 3 500 citoyens américains ont été condamnés à mort : parmi eux, le journaliste noir Mumia Abu Jamal fait aujourd'hui figure de symbole. La suspension de sa sentence de mort constitue une première victoire qui montre que la mobilisation internationale est utile. Il semble d'ailleurs important que la communauté internationale saisisse l'occasion des Jeux Olympiques de 2008 à Pékin pour intervenir en faveur de l'abolition de la peine de mort en Chine où elle est pratiquée à grande échelle.

II. - LES DISPOSITIONS DE LA PROPOSITION DE LOI : UNE ÉTAPE SUPPLÉMENTAIRE EN FAVEUR DE L'ABOLITION

A. UNE INITIATIVE NÉCESSAIRE

L'instauration d'une journée nationale en faveur de l'abolition universelle de la peine de mort, objet de la proposition de loi soumise à notre examen, apparaît particulièrement nécessaire. Elle permettra de réaffirmer l'engagement de la France en faveur de l'abolition de la peine de mort et de promouvoir sa généralisation dans le reste du monde.

Depuis 1996, notre Parlement a, de sa propre initiative, adopté des dispositions législatives tendant à instituer des journées nationales en faveur de causes particulièrement importantes. A titre d'exemple, on peut citer la loi n° 96-296 du 9 avril 1996 tendant à faire du 20 novembre une journée nationale des droits de l'enfant ou encore la loi n° 2000-644 du 10 juillet 2000 instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux « justes » de France (3). S'il convient de ne pas multiplier ces journées de commémoration afin de ne pas leur faire perdre leur impact, il est évident que l'abolition de la peine de mort figure au nombre des grandes causes qui méritent une journée de mobilisation.

Un texte réglementaire serait certainement suffisant pour instituer la journée nationale pour l'abolition de la peine de mort. La proposition de loi soumise à notre examen ne prévoit pas en effet que cette journée sera fériée et ne comporte aucune incidence sur le droit du travail. Toutefois, le recours à la loi renforce le caractère emblématique de cette journée. Par ailleurs, force est de constater que contrairement à d'autres parlements étrangers, notre Parlement ne dispose pas d'autres instruments que la loi pour prendre position sur des sujets de société.

B. UN DISPOSITIF COMPLET

La proposition de loi soumise à notre examen ne se contente pas d'instaurer une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort. Elle prévoit un ensemble de dispositions destinées à lui donner un certain retentissement. Elle comporte quatre articles que votre rapporteur vous propose d'adopter sans modification.

L'article premier institue une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort le 9 octobre. La date retenue pour l'organisation de cette journée correspond à la date d'entrée en vigueur de la loi de 1981 portant abolition de la peine de mort. Dans sa proposition de loi précitée, votre rapporteur avait proposé de choisir le 22 juin, date anniversaire du premier congrès mondial contre la peine de mort qui s'est tenu en 2001 à Strasbourg, mais le choix du Sénat paraît plus opportun. Il importe de rattacher cette journée à notre histoire. La loi du 9 octobre 1981 a été le fruit d'un long processus de maturation qui mérite d'être gardé en mémoire.

L'article 2 de la proposition de loi a pour objet d'imposer aux établissements scolaires l'obligation de consacrer une partie des enseignements dispensés lors de cette journée à la réflexion sur le thème de la peine de mort et sur les valeurs qui fondent la justice. Il reprend, dans son esprit, la disposition qui figurait dans la proposition de loi de votre rapporteur, mais confie au ministre chargé de l'Education nationale plutôt qu'aux établissements d'enseignement le soin de fixer les modalités selon lesquelles ce travail doit être effectué. Si la définition du contenu des programmes scolaires relève en principe du pouvoir réglementaire, il est indispensable de consacrer dans la loi le rôle que doit jouer l'éducation nationale pour faire progresser la réflexion sur l'abolition universelle de la peine de mort.

L'article 3 de la proposition de loi prévoit la participation facultative de l'ensemble des services publics à la promotion de cette journée en faveur de l'abolition de la peine de mort, selon les modalités de leur choix. Il est en retrait par rapport au texte initialement déposé et à la proposition de loi de votre rapporteur puisque ceux-ci posaient le principe d'une participation obligatoire des services publics. Le Sénat a craint qu'une telle obligation n'engendre de trop lourdes charges pour certains petits établissements publics. Il n'a pas souhaité, par ailleurs, que soit mentionnée expressément la participation du service public audiovisuel à cette manifestation en estimant qu'une telle disposition pourrait être jugée contraire au principe constitutionnel de la liberté de communication.

L'article 4 de la proposition de loi impose au Gouvernement de remettre chaque année au Parlement un rapport dans lequel seront retracées les initiatives qu'il a entreprises à l'échelle internationale pour faire reculer la peine de mort dans le monde. Le texte initialement déposé imposait directement aux autorités exécutives de prendre les « initiatives appropriées à l'échelle internationale pour faire reculer la peine de mort dans le monde », mais il pouvait s'interpréter comme injonction au Gouvernement en matière de politique étrangère. Le dispositif retenu répond au souci d'inviter le Gouvernement à agir en faveur de l'abolition universelle de la peine de mort, tout en s'inscrivant dans la mission de contrôle traditionnellement dévolue au Parlement.

La Commission a adopté les articles et l'ensemble de la proposition de loi à l'unanimité.

*

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter la proposition de loi (n° 3596), adoptée par le Sénat, tendant à créer une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort


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() Proposition de loi n° 3133 tendant à créer une journée nationale contre la peine de mort présentée par M. Bernard Birsinger, Mme Roselyne Bachelot, MM. Maurice Leroy, Noël Mamère et André Vallini.

() Il convient de rappeler que dès 1989, dans un arrêt Soering, la Cour européenne des droits de l'homme a posé le principe selon lequel un Etat partie à la Convention européenne des droits de l'homme ne devait pas autoriser l'extradition de personnes vers des Etats où elles risquaient la peine capitale considérant qu'il s'agirait d'une violation de l'article 3 de cette convention qui interdit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants.

() Plus récemment, le 22 janvier dernier, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.



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Pour les tableaux en annexe consultez le document intégral sur le site de l'Assemblée nationale
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