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Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 19 janvier 1995, 94-84.607 - avis favorable à l'extradition vers le Mali

94-84607
arrêt du 19 janvier 1995 - Cour de cassation française - France
Pays :
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du jeudi 19 janvier 1995
N° de pourvoi: 94-84607
Non publié au bulletin
Rejet

Président : M. Le GUNEHEC, président


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience

publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le dix-neuf janvier mil neuf cent quatre vingt quinze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller MILLEVILLE, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Y... Moussa, contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de PARIS, en date du 22 juillet 1994, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du Gouvernement du Mali, a émis un avis favorable ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1 du protocole n 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 2, 4 et 7 de la loi du 10 mars 1927, 43 et 48 de la loi du 6 août 1963 portant Accord de coopération en matière de justice entre la République française et la République du Mali, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que la chambre d'accusation a donné un avis favorable à la demande d'extradition de Moussa Y... présentée par les autorités maliennes pour complicité d'atteinte aux biens publics et enrichissement illicite ;

"aux motifs qu'à partir du compte dont il était titulaire au Mali, Moussa Y... a opéré des transferts de fonds vers des comptes en banque, et ce pour un montant de plus de 67 000 millions de francs CFA ;

que des éléments complémentaires fournis par les autorités maliennes, il ressort que les fonds en cause provenaient notamment d'un trafic portant sur les hydrocarbures, commis au Mali par Mariam Z... et son frère Douah Cissoko, qui vendaient à leur profit personnel des carburants censés être livrés à l'intendance militaire en bénéficiant ainsi frauduleusement de l'exonération des droits de douane ;

que l'infraction a été réalisée à l'aide de faux documents établis par Cissoko, à l'époque directeur-général des Douanes ;

que Moussa Y... réalisait ces transferts sur des comptes ouverts à son nom et à celui de Mariam Z... ;

que, sur certains de ces comptes, Douah Cissoko disposait d'une procuration ;

que les faits reprochés à l'intéressé constituent, dans le droit du pays requérant, des infractions dénommées complicité d'atteinte aux biens publics et enrichissement illicite ;

que les textes réprimant ces infractions figurent à la procédure bien qu'il y ait une imprécision quant à la date de l'ordonnance n 6 CMLN, qui est du 12 ou 13 février 1974 ;

que cette erreur typographique n'entraîne aucune incertitude sur le contenu et l'existence du texte répressif ;

que les peines encourues sont en droit malien au moins égales à 2 ans d'emprisonnement (3 à 5 ans d'emprisonnement, comme cela a été confirmé par les autorités maliennes) ;

"alors que, pour être légalement justifié, un avis favorable donné à une demande d'extradition doit dûment constater que les faits dénoncés par l'Etat requérant constituent dans le droit de ce dernier une infraction effectivement punissable d'une sanction qui, au demeurant, soit compatible avec l'ordre public français ;

qu'il s'ensuit en l'espèce que :

"d'une part, la loi malienne n 8239/AN-RM, portant répression du crime d'enrichissement illicite, se référant en son article 4 pour la sanction encourue à une ordonnance n 6 CMLN du 12 février 1974, laquelle n'existe pas, pas plus que les textes modificatifs subséquents qu'elle vise, la chambre d'accusation ne pouvait, sans violer les dispositions de l'accord franco-malien comme celles de la loi de 1927, considérer qu'il s'agissait là d'une simple imprécision quant à la date de l'ordonnance, pouvant être du 12 ou du 13 février 1974, le défaut de production des textes effectivement visés par une loi d'incrimination pour réprimer celle-ci créant une incertitude irrémédiable quant à l'existence d'une infraction punissable par le droit interne de l'Etat requérant et sur le quantum de la peine encourue, excluant par conséquent qu'un avis favorable puisse être donné dans de telles conditions à une demande d'extradition ;

"d'autre part, cette demande d'extradition étant fondée sur l'incrimination de complicité d'enrichissement illicite, laquelle incrimination, aux termes de l'article 2 de la loi n 82-39 AN/RM du 26 mars 1982, se trouve constituée par l'acquisition de biens provenant de diverses infractions, parmi lesquelles le vol, passible dans certaines conditions de la peine de mort, tandis qu'aux termes de l'article 19 du Code pénal malien, le complice encourt les mêmes peines que l'auteur principal, voire des peines indéterminées si l'on se réfère à l'ordonnance n 6 du 13 février 1974, retenue par la chambre d'accusation ;

celle-ci ne pouvait, dès lors, sans violer tant l'article 1er du protocole n 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales portant abolition de la peine de mort que le principe fondamental de la légalité des peines et des délits, donner un avis favorable à cette demande d'extradition pour complicité en l'absence de toute certitude sur la qualification susceptible d'être retenue pour les infractions principales" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 4 de la loi du 10 mars 1927, 42 et 46 de la loi du 6 août 1963, portant Accord de coopération en matière de justice entre la République française et la République du Mali, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse, défaut de motif et manque de base légale ;

"en ce que la chambre d'accusation a donné un avis favorable à la demande d'extradition de Moussa Y... par le Gouvernement malien ;

"aux motifs qu'en droit français, les agissements imputés à Moussa Y... caractérisent le délit de recel de fonds provenant d'usage de faux commis par un fonctionnaire public mais uniquement dans la mesure où les fonds transférés par son intermédiaire sur des comptes hors du Mali proviennent des trafics portant sur les hydrocarbures, réalisés à l'aide de faux documents douaniers par Mariam X..., épouse Z..., et Douah Cissoko ;

"alors que, d'une part, en vertu des dispositions de l'article 43 susvisé, un avis favorable à une demande d'extradition formulée par l'Etat malien suppose que les faits dénoncés par ce dernier soient constitutifs en droit pénal français d'une infraction punissable d'une peine supérieure à deux années d'emprisonnement, ce qui n'est aucunement établi en l'état des énonciations de la chambre d'accusation, laquelle ne constate nullement que Moussa Y... ait eu connaissance de la prétendue provenance délictueuse des fonds qu'il aurait transférés en France à partir de son compte bancaire au Mali et n'a donc pas caractérisé tous les éléments constitutifs du recel ni, par conséquent, l'existence d'une infraction punissable en droit français ;

"et alors que, d'autre part, en l'état de ces énonciations qui, au regard des dispositions du droit pénal interne, caractériseraient l'élément matériel du délit douanier d'intérêt à la fraude par l'achat et la détention de marchandises de fraude, prévu et puni par l'article 399, alinéa 2-C du Code des douanes, la chambre d'accusation ne pouvait légalement donner un avis favorable à la demande d'extradition du Gouvernement malien faute qu'aient été observées en l'espèce les dispositions de l'article 46 de l'Accord de coopération, prévoyant qu'en matière de douanes, l'extradition ne pourrait être accordée que dans la mesure où il aura été ainsi décidé, par un simple échange de lettres, pour chaque infraction ou catégorie d'infractions spécialement désignées, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce, ainsi que le faisait valoir Moussa Y... dans son mémoire, délaissé sur ce point" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 5-2 de la loi du 10 mars 1927, 44 de l'Accord de coopération en matière de justice entre la République française et la République du Mali, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse aux articulations essentielles du mémoire, défaut de motif et manque de base légale ;

"en ce que la chambre d'accusation a donné un avis favorable à la demande d'extradition de Moussa Y... par l'Etat malien ;

"aux motifs que ces infractions sont objectivement des infractions de droit commun ;

qu'elles ne sont ni politiques ni militaires ni fiscales ;

qu'il ne résulte d'aucun élément que l'extradition soit demandée dans un but politique ;

"alors que la chambre d'accusation, qui, au demeurant, a totalement fait abstraction des dispositions de la loi n 82-39/AN-RM attribuant la connaissance du crime d'enrichissement illicite à une juridiction spéciale, en l'occurrence la Cour spéciale de sûreté de l'Etat, et instituant sur certains points une procédure dérogatoire à celle de droit commun, et qui, en tout état de cause, s'est abstenue de rechercher, comme l'y invitait le mémoire de Moussa Y..., si la demande d'extradition n'était pas fondée exclusivement sur un mobile politique, à savoir ses relations d'amitié avec le beau-frère de l'ex-président du Mali, lequel a été destitué tandis que des poursuites étaient intentées à l'encontre des membres de son entourage pour prétendus crimes économiques, a méconnu les règles de son office au regard des obligations qui sont les siennes en la matière et a, par voie de conséquence, violé tout autant l'article 44 de l'accord franco-malien que l'article 5-2 de la loi du 10 mars 1927" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que ces moyens reviennent à critiquer les motifs de l'arrêt qui se rattachent directement et servent de support à l'avis de la chambre d'accusation sur la suite à donner à la demande d'extradition ;

Qu'ils sont irrecevables en application de l'article 16 de la loi du 10 mars 1927 ;

Et attendu que la chambre d'accusation, composée conformément aux dispositions du Code de procédure pénale, était compétente ;

que la procédure est régulière ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Milleville conseiller rapporteur, MM. Souppe, Gondre, Hébrard, Jean Simon, Blin, Massé, Carlioz, Culié, Guerder, Pinsseau, Mme Baillot, MM. Roman, Schumacher, Pibouleau, Aldebert, Grapinet conseillers de la chambre, Mmes Batut, Fossaert-Sabatier, MM. Poisot, de Larosière de Champfeu conseillers référendaires, M. Galand avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;




Décision attaquée : chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris du 22 juillet 1994

Titrages et résumés :
CHAMBRE D'ACCUSATION - Extradition - Avis - Pourvoi - Recevabilité - Cas - Critique des motifs servant de support à l'arrêt de la chambre d'accusation (non).

Textes appliqués :
* Loi 1927-03-10 art. 16
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