Plan du site

Peine de mort: le Conseil de l'Europe reste ferme vis-à-vis de Washington

intervention du 14 avril 2003 - Conseil de l'Europe
Pays :
Une délégation de 11 membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a lancé, lors d'une série de conférences à Springfield (Illinois) et Washington DC, une réflexion pour promouvoir le débat intra-américain sur l'abolition de la peine de mort.

Dans une interview, la Liechtensteinoise Renate Wohlwend, Présidente de la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée, regrette que le plaidoyer de Strasbourg en faveur de la suppression de la peine capitale soit considéré à Washington, au plan fédéral, comme une ingérence dans les affaires intérieures. La politicienne conservatrice propose que le Conseil de l'Europe milite désormais contre les exécutions capitales essentiellement dans un certain nombre d'Etats fédérés américains, et qu'il renforce sa coopération dans ce domaine avec les organisations qui s'occupent des droits civils.

Mme Wohlwend souhaite par ailleurs, pour le mois de juin ou de septembre, un débat sérieux de l'Assemblée parlementaire sur l'éventuel retrait du statut d'observateur dont bénéficient les Etats-Unis, étant donné qu'à ce jour Washington n'a pris aucune mesure significative en direction de la suppression de la peine capitale.

Question: Une action politique du Conseil de l'Europe aux Etats-Unis pour la suppression de la peine de mort est certes quelque chose de spectaculaire. Mais les conférences ont-elles eu un quelconque écho politique, compte tenu de la guerre en Irak?

Mme Wohlwend: Effectivement, la guerre en Irak éclipse actuellement, aux Etats-Unis, tous les autres thèmes. C'est pourquoi nous avons rencontré un succès mitigé. A Springfield notre initiative a suscité de l'intérêt , y compris de la part de nombreux sénateurs et parlementaires de l'Illinois. Par contre, à Washington, seuls étaient présents des délégués d'associations pour les droits civils; les politiciens brillaient par leur absence, ce qui était quelque peu frustrant. D'autre part, ce n'est jamais le bon moment pour déclencher une telle offensive: aux Etats-Unis les milieux politiques n'aiment pas être confrontés à la problématique de la peine capitale. Les organisations indépendantes qui militent pour la suppression de la peine de mort ont, quant à elles, souligné toute l'importance que revêt la présence du Conseil de l'Europe aux Etats-Unis dans le contexte de ce débat.

Question: Les Etats-Unis voient-ils dans l'engagement de Strasbourg une ingérence inadmissible dans leurs affaires intérieures?

Mme Wohlwend: Il faut faire la distinction entre la politique fédérale à Washington et les associations pour les droits civils. Ces dernières apprécient nos activités, dans lesquelles elles voient un soutien pour leur travail. A Washington, au contraire, l'entrée en scène du Conseil de l'Europe est plutôt considérée comme une ingérence inopportune. Cependant, tant à Washington que dans l'Illinois, des parlementaires ont prêté leur concours pour faire en sorte que nos conférences puissent avoir lieu; je vois là le signe d'une certaine ouverture - une faible lueur dans un ciel obscur.

Question: Quels résultats votre visite a-t-elle apportés? Peut-on dire qu'une évolution se dessine dans le sens d'une abolition de la peine de mort, ou du moins d'un moratoire dans les exécutions?

Mme Wohlwend: Il est clair que notre entreprise ne peut produire de résultats politiques directs. Mais le Conseil de l'Europe a montré qu'il prend au sérieux ce sujet brûlant: nous ne nous contentons pas de prendre telle ou telle décision dans la lointaine Europe ou de faire des voyages d'études aux Etats-Unis. Nous sommes aussi politiquement actifs sur le terrain. Je pense que nous avons impulsé de manière importante le débat intra-américain sur la peine capitale. Les médias, eux aussi, se sont intéressés à nos conférences.

Question: Vous exprimiez l'espoir que la grâce de plus de 150 condamnés à mort dans l'Illinois allait conforter les adversaires des exécutions capitales et encourager la politique de Strasbourg face à Washington; cet espoir s'est-il vérifié?

Mme Wohlwend: Oui; on peut l'affirmer sans réserve. Je voudrais toutefois mettre en garde contre un optimisme excessif. Il faudra voir si la décision prise par le gouverneur George Ryan à la fin de son mandat aura été davantage qu'un feu de paille. Les Etats-Unis ont un long chemin à parcourir. Il suffit de rappeler, à ce propos, qu'il arrive de temps à autre que des condamnés à mort soient remis en liberté après de longues années parce que leur innocence est apparue au grand jour; mais cela n'empêche pas les responsables des erreurs judiciaires de conserver leur poste.

Question: Allez-vous renforcer votre coopération avec les organisations pour les droits civils aux Etats-Unis?

Mme Wohlwend: Naturellement nous aspirons avant tout à établir le dialogue avec les responsables politiques américains; en fin de compte, ce sont eux qui adoptent les lois. Mais dans le combat contre la peine de mort, les initiatives indépendantes ont un rôle central. Peut-être l'attitude serait-elle plus prometteuse, pour le Conseil de l'Europe, qui consisterait, au lieu de viser prioritairement la politique fédérale à Washington, à agir plutôt pas à pas, au plan régional, en faveur de la suppression de la peine de mort; 38 Etats fédérés continuent de procéder à des exécutions. Et ici, précisément, les associations pour les droits civils peuvent faire beaucoup; elles sont autant de multiplicateurs pour le Conseil de l'Europe.

Question: L'Assemblée parlementaire a menacé Washington, et aussi Tokyo, d'un retrait de leur statut d'observateurs auprès du Conseil de l'Europe, au cas où ils ne prendraient pas des mesures sérieuses pour supprimer la peine capitale, ou du moins décréter un moratoire pour les exécutions. L'instance parlementaire de l'Organisation strasbourgeoise va-t-elle agir en conséquence ?

Mme Wohlwend: Ce thème sera inscrit à l'ordre du jour de la session de juin ou de septembre. Il y a une distinction à établir entre Tokyo et Washington: au sein de la représentation parlementaire japonaise un groupe de députés s'engage depuis des années en faveur de la suppression de la peine de mort; on chercherait en vain une initiative de ce genre au sein du Congrès des Etats-Unis. En tout état de cause, les Etats-Unis n'ont accompli aucun progrès notable pour se conformer à notre Résolution de l'été 2001 ; Washington n'a même pas pris acte de cette résolution. Il nous faut débattre sérieusement des conséquences de cette attitude; il y va de la crédibilité du Conseil de l'Europe.
Partager…