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Ordonnance - Demande en indication de mesures conservatoires

ordonnance du 9 avril 1998 - Cour internationale de Justice
Angel Francisco Breard
Mode officiel de citation:
Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d'Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 248
ISSN 0074-4441
ISBN 92-1-070768-0

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 1998
9 avril 1998
AFFAIRE RELATIVE À LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS CONSULAIRES
DEMANDE EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES


ORDONNANCE
Présents: M. WEERAMANTRY, vice-président, faisant fonction de président en l'affaire; M. SCHWEBEL, président de la Cour; MM. ODA,
BEDJAOUI, GUILLAUME, RANJEVA, HERCZEGH, SHI, FLEISCHHAUER, KOROMA, VERESHCHETIN, Mme HIGGINS, MM. PARRA-ARANGUREN, KOOIJMANS, REZEK, juges; M. VALENCIA-OSPINA, grefjer.

La Cour internationale de Justice,
Ainsi composée,
Après délibéré en chambre du conseil,
Vu les articles 41 et 48 du Statut de la Cour et les articles 73, 74 et 75 de son Règlement,
Vu la requête enregistrée au Greffe de la Cour le 3 avril 1998, par laquelle la République du Paraguay (ci-après dénommée le «Paraguay») a introduit une instance contre les Etats-Unis d'Amérique (ci-après dénommés les «Etats-Unis») en raison de «violations de la convention de Vienne [du 24 avril 19631 sur les relations consulaires » (ci-après dénommée la convention de Vienne) qui auraient été commises par les Etats-Unis,

9 avril
Rôle général no 99

Rend l'ordonnance suivante:
1. Considérant que, dans sa requête susmentionnée, le Paraguay fonde la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l'article 36 du Statut de
la Cour et l'article premier du protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends qui accompagne la conven-
tion de Vienne sur les relations consulaires (ci-après dénommé le "protocole de signature facultative");

2. Considérant que, dans cette requête, il est indiqué qu'en 1992 les autorités de 1'Etat de Virginie ont arrêté un ressortissant paraguayen,
M. Ange1 Francisco Breard; qu'il est soutenu que celui-ci a été accusé, jugé, déclaré coupable d'homicide volontaire et condamné à la peine capi-
tale par une juridiction de Virginie (Circuit Court du comté d'Arlington) en 1993, sans avoir été informé, comme l'exige l'alinéa b) du paragraphe 1
de l'article 36 de la convention de Vienne, de ses droits aux termes de cet alinéa; qu'il est précisé que, parmi ces droits, figurent le droit pour l'inté-
ressé de demander que le poste consulaire compétent de 1'Etat dont il est le ressortissant soit averti de son arrestation et de sa détention, et son
droit de communiquer avec ledit poste; et qu'il est également allégué que les autorités de 1'Etat de Virginie n'ont pas davantage avisé les fonction-
naires consulaires paraguayens compétents de la détention de M. Breard, et que ceux-ci n'ont été en mesure de lui fournir une assistance qu'à partir
de 1996, lorsque le Gouvernement du Paraguay apprit par ses propres moyens que M. Breard était emprisonné aux Etats-Unis;

3. Considérant que, dans ladite requête, le Paraguay expose que les recours ultérieurement formés par M. Breard devant les juridictions fédérales en vue d'obtenir en sa faveur une ordonnance d'habeas corpus n'ont pas abouti, le tribunal fédéral de première instance ayant, sur la base d'une doctrine dite de la "carence procédurale" (procedural default), dénié à l'intéressé le droit d'invoquer pour la première fois devant lui la convention de Vienne, et la cour d'appel fédérale de première instance ayant confirmé cette décision ; qu'en conséquence la juridiction de Virginie qui avait condamné M. Breard à la peine capitale a fixé au 14 avril 1998 la date de l'exécution de l'intéressé; que M. Breard, ayant épuisé toutes les voies de recours juridiques auxquelles il avait droit, a saisi la Cour suprême des Etats-Unis d'une demande d'ordonnance de certiorari, la priant d'exercer son pouvoir discrétionnaire de réexaminer la décision des juridictions fédérales inférieures et de décider qu'il serait sursis à son exécution pendant cet examen; et que, bien que cette demande soit encore pendante devant la Cour suprême, il est cependant rare que celle-ci accède à des demandes de cette nature; et considérant que le Paraguay expose en outre qu'il a lui-même saisi les juridictions fédérales des Etats-Unis dès 1996, à l'effet d'obtenir l'annulation des procédures engagées à l'encontre de M. Breard, mais que tant le tribunal fédéral de première instance que la cour d'appel fédérale ont décidé qu'ils n'avaient pas compétence dans cette affaire eu égard à une doctrine conférant une "immunité souveraine" aux Etats fédérés; qu'il a également soumis une demande d'ordonnance de certiorari à la Cour suprême, qui est également pendante; et qu'il a en outre engagé une action diplomatique auprès du Gouvernement des Etats-Unis et sollicité les bons offices du département d'Etat;

4. Considérant que, dans sa requête, le Paraguay soutient qu'en méconnaissant leurs obligations aux termes de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne, les Etats-Unis l'ont empêché d'exercer les fonctions consulaires prévues aux articles 5 et 36 de la convention, et tout spécialement d'assurer la protection de ses intérêts et de ceux de ses ressortissants aux Etats-Unis; qu'il souligne qu'il n'a pu contacter M. Breard ni lui fournir l'assistance nécessaire, et qu'en conséquence celui-ci a "pris un certain nombre de décisions d'un caractère objectivement déraisonnable tout au long de la procédure pénale engagée contre lui, qui a été menée sans traduction", et "n'a pas compris les différences fondamentales qui existent entre les systèmes de justice pénale aux Etats-Unis et au Paraguay"; et que le Paraguay en conclut qu'il a droit à une restitutio in integrum, c'est-à-dire au "rétablissement de la situation qui existait avant que les Etats-Unis manquent de procéder aux notifications requises";

5. Considérant que le Paraguay prie la Cour de dire et juger que:
« 1) en arrêtant, détenant, jugeant, déclarant coupable et condamnant M. Ange1 Francisco Breard, dans les conditions indiquées dans l'exposé des faits qui précède, les Etats-Unis ont violé leurs obligations juridiques internationales envers le Paraguay, en son nom propre et dans l'exercice du droit qu'a cet Etat d'assurer la protection diplomatique de son ressortissant, ainsi qu'il est prévu aux articles 5 et 36 de la convention de Vienne;
2) le Paraguay en conséquence a droit à une restitutio in integrum;
3) les Etats-Unis ont l'obligation juridique internationale de ne pas appliquer la doctrine dite de la "carence procédurale" (procedural default), ni aucune autre doctrine de son droit interne, d'une manière qui ait pour effet de faire obstacle à l'exercice des droits conférés par l'article 36 de la convention de Vienne;
4) les Etats-Unis ont l'obligation juridique internationale d'agir conformément aux obligations juridiques internationales susmentionnées dans le cas où, à l'avenir, ils placeraient en détention M. Ange1 Francisco Breard ou tout autre ressortissant paraguayen sur leur territoire ou engageraient une action pénale à leur encontre, que cet acte soit entrepris par un pouvoir constitué, législatif, exécutif, judiciaire ou autre, que ce pouvoir occupe une place supérieure ou subordonnée dans l'organisation des Etats-Unis et que les fonctions de ce pouvoir présentent un caractère international ou interne;
et que, conformément aux obligations juridiques internationales susmentionnées :
1) toute responsabilité pénale attribuée à M. Ange1 Francisco Breard en violation d'obligations juridiques internationales est nulle et doit être reconnue comme nulle par les autorités légales des Etats-Unis;
2) les Etats-Unis doivent restaurer le statu quo ante, c'est-à-dire rétablir la situation qui existait avant les actes de détention, de poursuite, de déclaration de culpabilité et de condamnation du ressortissant du Paraguay commis en violation des obligations juridiques internationales des Etats-Unis;
3) les Etats-Unis doivent donner au Paraguay la garantie que de tels actes illicites ne se reproduiront pas»;

6. Considérant que, le 3 avril 1998, après avoir déposé sa requête, le Paraguay a également présenté une demande urgente en indication de mesures conservatoires à l'effet de protéger ses droits, en se référant à l'article 41 du Statut et aux articles 73, 74 et 75 du Règlement de la Cour;

7. Considérant que, dans sa demande en indication de mesures conservatoires, le Paraguay se réfère à la base de juridiction de la Cour invoquée dans sa requête, ainsi qu'aux faits qui y sont exposés et aux conclusions qui y sont formulées; et qu'il réaffirme en particulier que les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations en vertu de la convention de Vienne et doivent rétablir le statu quo ante;

8. Considérant que, dans sa demande en indication de mesures conservatoires, le Paraguay rappelle que, le 25 février 1998, la Circuit Court du comté d'Arlington, en Virginie, a ordonné que M. Breard soit exécuté le 14 avril 1998; qu'il souligne que: "l'importance et le caractère sacré de la vie humaine sont des principes bien établis du droit international" et que "[c]omme le reconnaît l'article 6 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et ... doit être protégé par la loi"; et qu'il expose en ces termes les motifs de la demande et les conséquences éventuelles de son rejet:
"Dans les circonstances graves et exceptionnelles de la présente affaire et eu égard à l'intérêt primordial que le Paraguay attache à la vie et à la liberté de ses ressortissants, il est urgent d'indiquer des mesures conservatoires pour protéger la vie du ressortissant paraguayen et sauvegarder le pouvoir de la Cour d'ordonner la mesure à laquelle le Paraguay a droit: le rétablissement de l'état de choses antérieur. Si les mesures conservatoires demandées ne sont pas indiquées, les Etats-Unis exécuteront M. Breard avant que la Cour puisse examiner le bien-fondé des prétentions du Paraguay et celui-ci sera à jamais privé de la possibilité d'obtenir le rétablissement de la situation antérieure si la Cour venait à se prononcer en sa faveur";

9. Considérant que le Paraguay prie la Cour d'indiquer, en attendant l'arrêt définitif en l'instance, des mesures tendant à ce que :
"a) le Gouvernement des Etats-Unis prenne les mesures nécessaires pour faire en sorte que M. Breard ne soit pas exécuté tant que la décision n'aura pas été rendue en la présente instance;
b) le Gouvernement des Etats-Unis porte à la connaissance de la Cour les mesures qu'il aura prises en application de l'alinéa a) ci- dessus ainsi que les suites qui auront été données à ces mesures;
c) le Gouvernement des Etats-Unis fasse en sorte qu'il ne soit pris aucune mesure qui puisse porter atteinte aux droits de la République du Paraguay en ce qui concerne toute décision que la Cour pourrait prendre sur le fond de l'affaire";
et qu'il prie en outre la Cour d'examiner sa demande avec la plus grande urgence "eu égard à l'extrême gravité et à l'imminence de la menace d'exécution d'un citoyen paraguayen";

10. Considérant que, le 3 avril 1998, l'ambassadeur du Paraguay aux Pays-Bas a adressé au président de la Cour une lettre demandant à la Cour de fixer une date rapprochée pour la tenue d'une audience sur la demande en indication de mesures conservatoires de son gouvernement;
priant le membre de la Cour qui, conformément aux dispositions des paragraphes 1 des articles 13 et 32 du Règlement, exercerait la présidence pour l'affaire, de faire usage des pouvoirs que lui confère le paragraphe 4 de l'article 74 du Règlement et d'"invite[r] les Etats-Unis d'Amérique à faire en sorte que M. Breard ne soit pas exécuté avant que la Cour statue sur la demande ainsi présentée"; et indiquant qu'il avait été désigné comme agent du Paraguay aux fins de l'affaire;

11. Considérant que, le 3 avril 1998, date à laquelle la requête et la demande en indication de mesures conservatoires ont été déposées au Greffe. le greffier a avisé le Gouvernement des Etats-Unis du dévôt de ces documents, lui en a communiqué le texte par télécopie et lui a adressé une copie certifiée conforme de la requête, en application du paragraphe 2 de l'article 40 du Statut et du paragraphe 4 de l'article 38 du Règlement, ainsi qu'une copie certifiée conforme de la demande en indication de mesures conservatoires, en application du paragraphe 2 de l'article 73 du Règlement; et considérant que le greffier a également fait tenir au Gouvernement des Etats-Unis une copie de la lettre adressée le même jour au président de la Cour par l'agent du Paraguay;

12. Considérant que, par des lettres identiques en date du 3 avril 1998, le vice-président de la Cour s'est adressé aux deux Parties dans les termes suivants :
"Exerçant la présidence de la Cour en vertu des articles 13 et 32 du Règlement de la Cour, et agissant conformément aux dispositions du paragraphe 4 de l'article 74 dudit Règlement, j'appelle par la présente l'attention des deux Parties sur la nécessité d'agir de manière que toute ordonnance de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les effets voulus";
et que, à la réunion qu'il a tenue le même jour avec les représentants des deux Parties, il a avisé ceux-ci de ce que la Cour tiendrait des audiences publiques le 7 avril 1998 à 10 heures aux fins de donner aux Parties la possibilité de présenter leurs observations sur la demande en indication de mesures conservatoires;

13. Considérant que, par lettre du 5 avril 1998, reçue au Greffe le 6 avril 1998, l'ambassadeur des Etats-Unis aux Pays-Bas a informé la Cour de la désignation d'un agent et d'un coagent de son gouvernement aux fins de l'affaire;

14. Considérant que, en attendant que la communication prévue au paragraphe 3 de l'article 40 du Statut et à l'article 42 du Règlement de la Cour ait été effectuée par transmission du texte imprimé, en deux langues, de la requête aux Membres des Nations Unies et aux autres Etats admis à ester devant la Cour, le greffier a, le 6 avril 1998, informé ces Etats du dépôt de la requête et de son objet, ainsi que de la demande en indication de mesures conservatoires;

15. Considérant que, le 6 avril 1998, le greffier, conformément à l'article 43 du Règlement de la Cour, a adressé la notification prévue au paragraphe l de l'article 63 du Statut aux Etats, autres que les Parties au litige, qui sont apparus comme étant parties à la convention de Vienne et au protocole de signature facultative, selon les informations communiquées par le Secrétaire général de l'organisation des Nations Unies en tant que dépositaire;

16. Considérant que, lors des audiences publiques tenues le 7 avril 1998 conformément au paragraphe 3 de l'article 74 du Règlement, des observations orales sur la demande en indication de mesures conservatoires ont été présentées par les Parties:

Au nom du Paraguay:
S. Exc. M. Manuel Maria Caceres,
M. Donald Francis Donovan,
M. Barton Legum,
M. José Emilio Gorostiaga;

Au nom des Etats-Unis:
M. David R. Andrews,
Mme Catherine Brown,
M. John R. Crook,
M. Michael J. Matheson;

et considérant qu'à l'audience une question a été posée par un membre de la Cour, à laquelle il a été répondu oralement et par écrit;

17. Considérant qu'à l'audience le Paraguay a réitéré l'argumentation développée dans sa requête et sa demande en indication de mesures conservatoires ;

18. Considérant qu'à l'audience les Etats-Unis ont fait valoir que la culpabilité de M. Breard était bien établie et ont souligné que l'accusé avait admis sa culpabilité, ce que ne conteste pas le Paraguay; qu'ils ont reconnu que M. Breard n'avait pas été informé, lorsqu'il avait été arrêté et jugé, de ses droits aux termes de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne, et ont fait observer à la Cour que cette omission n'était pas délibérée; qu'ils ont toutefois soutenu que l'intéressé avait bénéficié de toute l'assistance judiciaire nécessaire, qu'il comprenait bien la langue anglaise et que l'assistance de fonctionnaires consulaires n'aurait rien changé au résultat des procédures engagées contre lui; que, se référant à la pratique des Etats en la matière, ils ont exposé que la notification prévue à l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 est inégalement effectuée, et que, lorsqu'une réclamation est élevée pour défaut de notification, la seule conséquence est la présentation d'excuses par le gouvernement responsable; et qu'ils ont conclu que l'invalidation automatique des procédures engagées et le retour au statu quo ante comme sanctions du défaut de notification, non seulement ne trouvent aucun appui dans la pratique étatique, mais seraient impossible à réaliser ;

19. Considérant que les Etats-Unis ont également indiqué que le département d7Etat avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour aider le Gouvernement du Paraguay dès qu'il avait été mis au courant de la situation en 1996; et qu'ils ont précisé que lorsque, le 30 mars 1998, le Paraguay avait avisé le Gouvernement des Etats-Unis de son intention de saisir la Cour si celui-ci ne prenait pas des mesures pour engager des consultations et obtenir un sursis à l'exécution de M. Breard, ledit gouvernement avait notamment souligné que l'obtention d'un tel sursis dépendait exclusivement de la Cour suprême des Etats-Unis et du gouverneur de Virginie ;

20. Considérant que les Etats-Unis ont par ailleurs soutenu que la thèse du Paraguay, selon laquelle l'invalidation de toute condamnation d'une personne n'ayant pas reçu la notification prévue à l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne pourrait être requise aux termes de celle-ci, ne trouve aucun fondement dans les textes pertinents, leurs travaux préparatoires ou la pratique des Etats, et qu'en l'occurrence M. Breard n'a pas subi de préjudice du fait de l'absence de notification; et qu'ils ont souligné que des mesures conservatoires ne doivent pas être indiquées lorsqu'il appert que la thèse du demandeur ne lui permettra pas d'avoir gain de cause au fond;

21. Considérant que les Etats-Unis ont encore exposé que, lorsque la Cour indique des mesures conservatoires en vertu de l'article 41 de son Statut, elle doit prendre en considération les droits de chacune des Parties, et veiller à assurer un juste équilibre dans la protection de ceux-ci; que tel ne serait pas le cas si elle accédait à la demande du Paraguay en l'espèce; et que les mesures sollicitées par le Paraguay préjugeraient du fond de l'affaire;

22. Considérant que les Etats-Unis ont enfin allégué que l'indication des mesures conservatoires demandées par le Paraguay serait contraire aux intérêts des Etats parties à la convention de Vienne, à ceux de la communauté internationale dans son ensemble, aussi bien qu'à ceux de la Cour, et serait en particulier de nature à bouleverser les systèmes de justice pénale des Etats parties à la convention, compte tenu du risque de multiplication des recours; et qu'ils ont précisé à cet égard que les Etats ont un intérêt impérieux à être soustraits à toute intervention judiciaire extérieure qui entraverait l'exécution d'une décision de justice prise suivant des procédures régulières répondant aux critères pertinents en matière de droits de l'homme;

23. Considérant qu'en présence d'une demande en indication de mesures conservatoires la Cour n'a pas besoin, avant de décider d'indiquer ou non de telles mesures, de s'assurer d'une manière définitive qu'elle a compétence quant au fond de l'affaire, mais qu'elle ne peut cependant indiquer ces mesures que si les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait être fondée;

24. Considérant que l'article premier du protocole de signature facultative, que le Paraguay invoque comme base de la compétence de la Cour dans la présente affaire, est ainsi libellé:
«Les différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de la convention relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice, qui, à ce titre, pourra être saisie par une requête de toute partie au différend qui sera elle-même partie au présent protocole » ;

25. Considérant que, selon les informations communiquées par le Secrétaire général de l'organisation des Nations Unies en tant que dépositaire, le Paraguay et les Etats-Unis sont parties à la convention de Vienne et au protocole de signature facultative, dans chaque cas sans réserve;

26. Considérant que les articles II et III du protocole susmentionné prévoient que les parties peuvent convenir, dans un délai de deux mois après notification par une partie à l'autre qu'il existe un litige, d'adopter d'un commun accord, au lieu du recours à la Cour internationale de Justice, une procédure devant un tribunal d'arbitrage ou de recourir tout d'abord à une procédure de conciliation; mais que si le texte de ces articles «est examiné en même temps que celui de l'article 1 et du préambule des protocoles, il tombe sous le sens qu'il ne faut pas y voir une condition préalable à l'applicabilité de la disposition précise et catégorique de l'article 1 qui prévoit la compétence obligatoire de la Cour pour connaître des différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de la convention de Vienne ... » (Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I. J. Recueil 1980, p. 25-26);

27. Considérant que, dans sa requête et à l'audience, le Paraguay a exposé que les questions en litige entre lui-même et les Etats-Unis d'Amérique concernent les articles 5 et 36 de la convention de Vienne et relèvent de la compétence obligatoire de la Cour en vertu de l'article premier du protocole de signature facultative; et qu'il en a conclu que la Cour dispose de la compétence nécessaire pour indiquer les mesures conservatoires demandées ;

28. Considérant qu'à l'audience les Etats-Unis ont pour leur part soutenu que le Paraguay n'avait pas établi la compétence de la Cour en l'espèce, même prima facie; qu'ils ont fait valoir qu'il n'existe entre les Parties aucun différend quant à l'interprétation de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne et qu'il n'en existe pas davantage quant à son application, dès lors que les Etats-Unis reconnaissent que la notification qui y est prévue n'a pas été effectuée; qu'ils ont soutenu que les objections que le Paraguay élève à l'encontre des procédures engagées contre son ressortissant ne sauraient être constitutives d'un différend relatif à l'interprétation ou à l'application de la convention de Vienne; et qu'ils ont ajouté qu'aucun droit à restitutio in integrum n'existe aux termes de ladite convention;

29. Considérant que les Etats-Unis ont en outre fait savoir à la Cour qu'ils ont exprimé leurs regrets au Paraguay pour avoir omis d'informer M. Breard de son droit à communiquer avec ses autorités consulaires, ont mené des consultations avec le Paraguay sur la question et pris des mesures pour faire en sorte qu'à l'avenir les obligations que leur impose la convention de Vienne soient respectées aussi bien au niveau fédéral qu'au niveau des Etats;

30. Considérant que le Paraguay soutient qu'il n'en a pas moins droit à une restitutio in integrum, que toute responsabilité pénale imputée actuellement à M. Breard devrait en conséquence être reconnue comme nulle par les autorités légales des Etats-Unis et que le statu quo ante devrait être rétabli pour que M. Breard puisse bénéficier des dispositions de la convention de Vienne dans toute nouvelle procédure judiciaire qui pourrait être engagée contre lui, étant entendu qu'aucune objection à l'égard de son maintien en détention ne serait élevée dans l'intervalle par le Paraguay; considérant toutefois que les Etats-Unis estiment que ces mesures ne sont pas prescrites par la convention de Vienne, qu'elles seraient contraires à l'interprétation qui prévalait lorsque l'article 36 a été adopté, ainsi qu'à la pratique uniforme des Etats, et placeraient la Cour dans une position qui lui conférerait le rôle d'une cour suprême universelle en matière de recours criminels;

31. Considérant qu'il existe un différend sur la question de savoir si la solution recherchée par le Paraguay figure parmi les mesures possibles en vertu de la convention de Vienne, en particulier au regard des dispositions des articles 5 et 36 de cette convention; et qu'il s'agit là d'un différend relatif à l'application de la convention au sens de l'article premier du protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends du 24 avril 1963;

32. Considérant que les Etats-Unis estiment néanmoins qu'il n'existe pas de compétence prima facie de la Cour dans la présente affaire étant donné que la solution recherchée par le Paraguay n'est pas fondée en droit et que le Paraguay n'a pas la moindre possibilité d'obtenir finalement gain de cause sur le fond, parce que M. Breard n'a subi aucun préjudice;

33. Considérant que la question de savoir si la solution recherchée par le Paraguay est possible en vertu de la convention ne peut être tranchée qu'au stade du fond; qu'il en est de même du point de savoir si l'adoption de telles mesures est subordonnée à la preuve que l'accusé a subi un préjudice lors de son jugement et de sa condamnation;

34. Considérant que la Cour conclut qu'elle a prima facie compétence en vertu de l'article premier du protocole de signature facultative susmentionné pour se prononcer sur le différend entre le Paraguay et les Etats-Unis :

35. Considérant que le pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires que la Cour tient de l'article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder le droit de chacune des parties en attendant qu'elle rende sa décision, et présuppose qu'un préjudice irréparable ne doit pas être causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire; qu'il s'ensuit que la Cour doit se préoccuper de sauvegarder par de telles mesures les droits que l'arrêt qu'elle aura ultérieurement à rendre pourrait éventuellement reconnaître, soit au demandeur, soit au défendeur; et considérant que de telles mesures ne sont justifiées que s'il y a urgence;

36. Considérant que la Cour n'indiquera pas des mesures conservatoires si "un préjudice irréparable [n'est pas] causé aux droits en litige"
(Essais nucléaires (Australie c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 22 juin 1973, C.Z.J. Recueil 1973, p. 103; Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, mesures conservatoires, ordonnance du 15 décembre 1979, C.I. J. Recueil 1979, p. 19, par. 36;
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I. J. Recueil 1993, p. 19, par. 34);

37. Considérant que l'ordre d'exécution de M. Breard a été donné pour le 14 avril 1998; et qu'une telle exécution rendrait impossible l'adoption de la solution demandée par le Paraguay et porterait ainsi un préjudice irréparable aux droits revendiqués par celui-ci;

38. Considérant que les questions portées devant la Cour en l'espèce ne concernent pas le droit des Etats fédérés qui composent les Etats-Unis de recourir à la peine de mort pour les crimes les plus odieux; et considérant en outre que la fonction de la Cour est de régler des différends juridiques internationaux entre Etats, notamment lorsqu'ils découlent de l'interprétation ou de l'application de conventions internationales, et non pas d'agir en tant que cour d'appel en matière criminelle;

39. Considérant que, compte tenu des considérations susmentionnées, la Cour conclut que les circonstances exigent qu'elle indique d'urgence des mesures conservatoires, conformément à l'article 41 de son Statut;

40. Considérant que des mesures indiquées par la Cour aux fins d'obtenir un sursis à l'exécution prévue seraient nécessairement de nature conservatoire et ne préjugeraient en rien les conclusions auxquelles la Cour pourrait aboutir sur le fond; et que de telles mesures préserveraient les droits respectifs du Paraguay et des Etats-Unis; et considérant qu'il convient que la Cour, avec la coopération des Parties, fasse en sorte que toute décision sur le fond soit rendue avec la plus grande célérité possible ;

41. Par ces motifs,
LA COUR,
à l'unanimité,

1. Indique à titre provisoire les mesures conservatoires suivantes:
Les Etats-Unis doivent prendre toutes les mesures dont ils disposent pour que M. Angel Francisco Breard ne soit pas exécuté tant que la décision définitive en la présente instance n'aura pas été rendue, et doivent porter à la connaissance de la Cour toutes les mesures qui auront été prises en application de la présente ordonnance.

II. Décide que, jusqu'à ce que la Cour rende sa décision définitive, elle demeurera saisie des questions qui font l'objet de la présente ordonnance.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le neuf avril mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, en trois exemplaires, dont l'un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République du Paraguay et au Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique.

Le vice-président,
(Signé) Christopher G. WEERAMANTRY.

Le greffier,
(Signé) Eduardo VALENCIA-OSPINA.

M. SCHWEBEL, président de la Cour, et MM. ODA et KOROMA, juges
joignent des déclarations à l'ordonnance.
(Paraphé) C.G.W
(Paraphé) E.V.O.
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