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Renforcer la réglementation internationale interdisant le commerce des biens utilisés pour la torture et la peine de mort

2123 (2018)
recommandation du 26 janvier 2018 - Conseil de l'Europe
[Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
Origine - Discussion par l'Assemblée le 26 janvier 2018 (9e séance) (voir Doc. 14454, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Vusal Huseynov). Texte adopté par l'Assemblée le 26 janvier 2018 (9e séance).]

1. L'interdiction absolue de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants en toutes circonstances représente une norme impérative du droit international, incorporée dans de nombreux traités, notamment à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5, «la Convention»), à l'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans la Convention des Nations Unies contre la torture. Cette interdiction est si rigoureuse qu'elle impose aux États de tenir compte des conséquences que leurs actes pourraient avoir dans d'autres pays.

2. La peine de mort est désormais illégale dans l'ensemble des États membres du Conseil de l'Europe. Le Protocole no 6 à la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 114), qui abolit la peine de mort en temps de paix, a été ratifié par tous les États membres, à l'exception de la Fédération de Russie, dont la Cour constitutionnelle a néanmoins institué un moratoire; quant au Protocole no 13 à la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 187), qui abolit la peine de mort en toutes circonstances, il a été ratifié par tous les États membres, à l'exception de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan et de la Fédération de Russie. La Cour européenne des droits de l'homme a reconnu et amplifié cette avancée en 2010, en concluant que la peine de mort s'apparentait à un traitement inhumain ou dégradant et entrait par conséquent dans le champ d'application de l'interdiction fixée à l'article 3 de la Convention.

3. L'Assemblée parlementaire considère que, sur la base de leurs obligations juridiques en vigueur, les États membres du Conseil de l'Europe sont tenus de prendre des mesures effectives pour prévenir les activités exercées dans les limites de leur juridiction qui pourraient faciliter ou contribuer à la peine capitale, la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants dans d'autres pays, notamment en réglementant de manière effective le commerce des biens susceptibles d'être utilisés à ces fins.

4. Le commerce des biens utilisés pour la peine de mort, la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants peut contribuer à l'incidence de la peine capitale et de la torture ou de mauvais traitements graves, en fournissant les moyens d'agir à ceux qui en sont responsables. L'interdiction, par l'Union européenne, de la vente des produits pharmaceutiques susceptibles d'être utilisés pour infliger la peine capitale à des pays tiers où il est notoire que ces produits seront utilisés à cette fin, par exemple, a sérieusement entravé la capacité de plusieurs États des États-Unis d'Amérique à exécuter la peine de mort.

5. L'Assemblée ne peut accepter que les entreprises ou les autres personnes physiques ou morales des États membres du Conseil de l'Europe prennent part au commerce des biens utilisés pour la peine de mort, la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants. Elle s'inquiète de constater que le commerce des biens utilisés pour la peine de mort, la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants se poursuit dans certains États membres.

6. L'Assemblée prend note du Règlement du Conseil de l'Union européenne (CE) no 1236/2005 concernant le commerce de certains biens susceptibles d'être utilisés en vue d'infliger la peine capitale, la torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, modifié par le Règlement (EU) no 2016/2134. Ce régime réglementaire est le plus avancé et le plus efficace au monde. Il représente une approche qui peut et devrait être suivie par l'ensemble des États membres du Conseil de l'Europe. Comme l'échange d'informations et la coopération technique, qui sont autant d'éléments essentiels d'un mécanisme réglementaire international, dépendent de la compatibilité des diverses normes et procédures, il importe d'harmoniser tous les systèmes réglementaires des États membres du Conseil de l'Europe.

7. L'Assemblée se félicite de l'Alliance mondiale pour mettre fin au commerce de biens utilisés pour infliger la peine capitale et la torture (l'Alliance mondiale), à laquelle elle souscrit pleinement et qui a été lancée par l'Union européenne, l'Argentine et la Mongolie le 18 septembre 2017, ainsi que de sa Déclaration politique adoptée par 58 pays, dont 41 États membres du Conseil de l'Europe, et l'Union européenne. La déclaration rappelle les principes fondamentaux du droit international, condamne le commerce des biens utilisés pour la peine de mort, la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants, engage les États à prendre des mesures réglementaires au niveau national et à coopérer au niveau international et institue un cadre élémentaire pour faciliter la réalisation de cet objectif.

8. Aux fins de la présente recommandation, il convient de considérer que l'expression «biens utilisés pour la peine de mort, la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants» prend en compte les articles qui relèvent des catégories suivantes, définies dans les annexes II, III et III.a du Règlement no 1236/2005, modifié en 2014 et 2016:

8.1. les biens qui n'ont aucune autre utilité pratique que celle d'infliger la peine capitale, la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants, dont il convient d'interdire le commerce, notamment:

8.1.1. les biens spécialement conçus pour l'exécution d'êtres humains et certains de leurs composants;

8.1.2. les biens conçus pour immobiliser des êtres humains, mais qui ne sont pas adaptés à un usage par les services répressifs;

8.1.3. les dispositifs portatifs qui ne sont pas appropriés à un usage par les services répressifs à des fins de lutte contre les émeutes ou d'autoprotection;

8.1.4. certains types de fouets;

8.2. les biens conçus pour être légalement utilisés par les forces de police ou de sécurité, mais susceptibles d'être détournés à des fins de torture ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants, dont le commerce devrait être soumis à autorisation, notamment:

8.2.1. certains biens conçus pour immobiliser des êtres humains;

8.2.2. certaines armes conçues à des fins de lutte contre les émeutes ou d'autoprotection;

8.2.3. certains équipements et armes de projection d'agents chimiques incapacitants ou irritants utilisés à des fins de lutte contre les émeutes ou d'autoprotection et certains agents chimiques associés;

8.2.4. les produits susceptibles d'être utilisés pour l'exécution d'êtres humains par injection létale.

9. Il convient de considérer que le terme «commerce» des biens utilisés pour la peine de mort, la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants englobe les activités suivantes, définies par le Règlement no 1236/2005, modifié en 2016:

9.1. l'importation et l'exportation de biens réglementés;

9.2. le transit de biens réglementés sur le territoire national;

9.3. le courtage du transfert de biens réglementés entre pays tiers;

9.4. la fourniture d'une assistance technique pour les biens réglementés;

9.5. la formation à l'utilisation de biens réglementés;

9.6. la promotion de biens réglementés lors de foires commerciales;

9.7. l'achat ou la vente à des parties situées dans des pays tiers de toute forme de publicité en faveur de biens réglementés.

10. L'Assemblée parlementaire invite le Comité des Ministres à appeler les États membres du Conseil de l'Europe, dans la mesure où ce n'est pas déjà fait:

10.1. à mettre en place une législation qui règle le commerce des biens utilisés pour la peine de mort, la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants, interdit le commerce des biens définis au paragraphe 8.1 et soumet à autorisation le commerce des biens définis au paragraphe 8.2, cette autorisation devant être refusée lorsqu'il existe des motifs raisonnables de penser qu'ils pourraient être utilisés pour infliger la peine capitale, la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants dans un pays tiers;

10.2. à tenir pleinement compte des informations provenant d'un éventail de sources, notamment des rapports des mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits de l'homme et des organes indépendants de la société civile, sur la situation de la peine de mort, de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants dans les pays tiers lorsqu'ils examinent les demandes d'autorisation du commerce des biens concernés;

10.3. à publier des rapports annuels sur leurs activités réglementaires dans ce domaine, en donnant notamment des précisions sur les décisions prises au sujet des demandes d'autorisation du commerce de biens spécifiques et sur les motifs de ces décisions;

10.4. sur la base de ces rapports annuels et de contacts directs, à tenir compte des décisions prises par les autres États membres au sujet des demandes d'autorisation du commerce de biens spécifiques, et surtout des refus d'accorder ces autorisations;

10.5. à adhérer à l'Alliance mondiale, à faire pleinement usage du réseau mondial de correspondants pour le partage d'informations et y contribuer, y compris pour les décisions prises au sujet de l'autorisation du commerce de biens spécifiques et les bonnes pratiques, et, si besoin est, à rechercher l'assistance technique des autres membres de l'Alliance mondiale pour l'élaboration et la mise en œuvre de la législation pertinente;

10.6. à ratifier les Protocoles nos 6 et 13 à la Convention européenne des droits de l'homme et demander au Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) de rendre public tout rapport non publié qui les concerne.

11. L'Assemblée parlementaire invite le Comité des Ministres à appeler l'Union européenne et ses institutions, selon le cas:

11.1. à encourager les États membres qui ne l'ont pas encore fait à publier les rapports annuels que leur impose le Règlement no 1236/2005, en veillant à ce que le futur rapport annuel de la Commission européenne fasse le bilan complet de la situation dans l'ensemble de l'Union européenne;

11.2. à consulter les organes indépendants de la société civile qui possèdent une expertise particulière dans ce domaine lors du bilan fait par la Commission européenne de la mise en œuvre du Règlement no1236/2005, notamment pour l'éventuelle modification du règlement et la révision de ses annexes II et III;

11.3. à continuer de promouvoir l'Alliance mondiale sur l'ensemble de la planète et à coopérer avec le Conseil de l'Europe à cette fin en ce qui concerne les États membres de ce dernier.

12. Le Conseil de l'Europe, qui est un pionnier mondial de l'abolition de la peine de mort et du respect de l'interdiction de la torture, devrait continuer, avec ses États membres, à jouer un rôle majeur dans ce domaine. L'Assemblée parlementaire appelle par conséquent le Comité des Ministres:

12.1. à encourager les États membres du Conseil de l'Europe qui ne l'ont pas encore fait à adhérer à l'Alliance mondiale;

12.2. à dispenser une aide technique pour la mise en œuvre du paragraphe 10 de la présente recommandation, grâce à des activités de coopération avec les États membres qui en font la demande;

12.3. à envisager l'adoption d'une recommandation aux États membres, qui définisse des éléments d'orientation sur la manière d'établir et de mettre en œuvre un régime réglementaire efficace ayant pour effet d'étendre la portée de l'approche adoptée par le Règlement no 1236/2005, grâce à une harmonisation des systèmes nationaux des États membres qui ne font pas partie de l'Union européenne, et qui comporte un mécanisme de suivi des avancées réalisées dans la mise en œuvre de la recommandation;

12.4. à coopérer avec l'Union européenne à cette fin.
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