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Note d'information no 35 : EINHORN - France (N° 71555/01) Décision 16.10.2001

mémo du 31 octobre 2001 - Cour européenne des droits de l'homme
Note d'information sur la jurisprudence no 35 (extraits) - Cour européenne des droits de l'homme

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EXTRADITION
Extradition vers les États-Unis d'une personne alléguant risquer le "syndrome du couloir de la mort" et encourant une peine d'emprisonnement à vie incompressible : irrecevable.

EINHORN - France (N° 71555/01) Décision 16.10.2001 [Section III]

Le requérant, citoyen américain, fut arrêté dans l'État de Pennsylvanie suite à la découverte à son domicile du corps momifié de sa compagne. Alors qu'une information était en cours contre lui, il quitta les États-Unis. En 1993, il y fut condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité. Les recours formés par son avocat furent rejetés. En 1997, suite à son arrestation en France, le Gouvernement des États-Unis déposa une demande d'extradition, qui fut rejetée au motif que le requérant ne pouvait obtenir la purge de la contumace aux États- Unis s'il y était extradé. Par une loi entrée en vigueur en janvier 1998, le Parlement de Pennsylvanie modifia la procédure de manière à permettre, dans certains cas, la purge de la contumace. Le Gouvernement des États-Unis présenta alors une nouvelle demande d'extradition, stipulant que si le requérant le demandait, il bénéficierait d'un nouveau procès et que la peine de mort ne serait ni requise, ni infligée, ni mise à exécution. La chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux y donna un avis favorable sous réserve que le requérant bénéficie, s'il en faisait la demande, d'un nouveau procès équitable et qu'il ne soit pas soumis à la peine de mort. Par un décret de juillet 2000, le Premier Ministre français accorda l'extradition à ces conditions. Suite au rejet de son recours gracieux, le requérant saisit le Conseil d'État. Il soutenait notamment que son extradition serait contraire à l'article 3 de la Convention car il risquerait de devoir purger une peine perpétuelle incompressible, sans possibilité effective d'aménagement ou de libération conditionnelle ; de plus, le corps de la victime ayant été retrouvé après le rétablissement de la peine de mort en Pennsylvanie, il pouvait risquer la peine de mort et être ainsi exposé au "syndrome du couloir de la mort". Par un arrêt de juillet 2001, le Conseil d'État rejeta le recours. Il estima notamment que l'extradition d'une personne exposée à une peine incompressible de réclusion perpétuelle n'était pas contraire à l'article 3. Il se référa ensuite aux assurances données par le Gouvernement américain au soutien de sa demande d'extradition de juillet 1998, à l'engagement souscrit par deux fois par le procureur du comté de Philadelphie que la peine de mort ne serait pas requise et à l'attestation solennelle donnée par celui-ci selon laquelle la peine de mort ne pouvait être prononcée dans l'État de Pennsylvanie si elle n'était pas requise. Il en conclut que l'extradition du requérant était assortie de garanties suffisantes. Le requérant tenta alors de mettre fin à ses jours, mais le Gouvernement français présenta à la Cour un certificat médical établissant que son état de santé était compatible avec son transfert aux États-Unis. La Cour leva la mesure provisoire indiquée au Gouvernement français en juillet 2001 en vertu de l'article 39 du règlement. Le requérant fut extradé vers les États-Unis.

Irrecevable sous l'angle de l'article 3 : Les autorités américaines ont donné l'assurance que la loi rétablissant la peine de mort en Pennsylvanie après les faits reprochés ne serait pas appliquée rétroactivement au requérant et ont fourni des garanties adéquates que cette peine ne serait ni requise, ni prononcée, ni exécutée par la juridiction chargée de le rejuger. Ces assurances sont de nature à écarter le danger d'une condamnation à mort du requérant en Pennsylvanie et il ne se trouve donc pas exposé à un risque sérieux de traitement ou de peine (syndrome du couloir de la mort) prohibées par l'article 3. Par ailleurs, en cas de condamnation du requérant à la réclusion perpétuelle à l'issue d'un nouveau procès, le Gouverneur de Pennsylvanie pourra, sous certaines modalités, commuer cette peine en une autre d'une durée susceptible de permettre une libération conditionnelle. Bien que l'accès à cette possibilité soit restreint, il n'apparaît pas qu'en cas de condamnation à vie, le requérant se trouverait dans l'impossibilité de bénéficier d'une libération conditionnelle : manifestement mal fondé.

Irrecevable sous l'angle de l'article 6 : Une décision d'extradition peut exceptionnellement poser un problème sur le terrain de l'article 6 de la Convention au cas où le fugitif aurait subi ou risquerait de subir un "déni de justice flagrant" dans l'État requérant. En l'espèce, l'extradition du requérant vers les États-Unis serait susceptible de poser un problème sous l'angle de cet article s'il existait des "motifs sérieux et avérés" de croire qu'il ne pourrait obtenir la purge de la contumace dans cet État et qu'il y serait détenu en exécution de la peine prononcée en son absence. La loi de janvier 1998 lui permet en principe d'être jugé une nouvelle fois en Pennsylvanie pour les faits à l'origine de sa condamnation par contumace. Certes, le requérant produit devant la Cour de nombreuses déclarations sous serment qui concluent que cette loi n'est pas conforme aux principes constitutionnels de cet État, de sorte que la juridiction saisie en son application ne pourra pas statuer. Toutefois, faute d'un constat émanant des juridictions pennsylvaniennes compétentes, les documents produits ne démontrent pas l'inconstitutionnalité de la loi ; l'on ne peut donc en déduire l'existence de "motifs sérieux et avérés de croire" que le requérant ne pourra obtenir la purge de la contumace en Pennsylvanie ou que le déni de justice qu'il redoute est flagrant. Il n'appartenait pas à la France de trancher la question de la constitutionnalité de cette loi avant d'autoriser l'extradition. Cet État a rempli ses obligations au titre de l'article 6 dès lors qu'il a pu, en toute bonne foi, déduire des engagements des autorités américaines compétentes que le requérant ne sera pas amené à purger en Pennsylvanie la peine prononcée en son absence. Le requérant se plaint d'autre part que les jurés appelés à le rejuger aux États-Unis sont soumis à un battage médiatique extrêmement virulent. S'agissant d'une extradition, le requérant doit démontrer le caractère "flagrant" du déni de justice auquel il redoute être exposé ; or en l'espèce, il n'a apporté aucun élément indiquant, au vu des règles de procédure américaines pertinentes, l'existence de "motifs sérieux et avérés de croire" que son procès se déroulerait en violation de l'article 6 : manifestement mal fondé.

[Cette décision apporte des précisions sur les principes dégagés dans l'arrêt Soering c. Royaume-Uni quant à la compatibilité d'une décision d'extradition avec l'article 6 (droit à un procès équitable).]

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