Plan du site

Rapport du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires : confirmation de l'interdiction d'exécuter les délinquants mineurs (extrait)

A/HRC/11/2
rapport du 27 mai 2009 - Conseil des droits de l'homme
CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME Onzième session Point 3 de l'ordre du jour
PROMOTION ET PROTECTION DE TOUS LES DROITS DE L'HOMME, CIVILS, POLITIQUES, ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS, Y COMPRIS LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT

Rapport du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Philip Alston*

Résumé

Dans le présent document, le Rapporteur spécial présente de façon détaillée les principales activités qu'il a menées en 2008 et au cours des trois premiers mois de 2009. Il examine également quatre questions qui revêtent une importance particulière: a) les mesures à prendre face aux représailles exercées contre les personnes qui assistent le Rapporteur spécial dans son travail; b) la confirmation de l'interdiction d'exécuter les délinquants mineurs; c) le meurtre de personnes accusées de sorcellerie; d) le recours à la force létale pour le maintien de l'ordre lors de rassemblements publics.

[...]

III. QUESTIONS QUI REVÊTENT UNE IMPORTANCE PARTICULIÈRE

[...]

B. Confirmation de l'interdiction d'exécuter les délinquants mineurs

27. L'interdiction d'exécuter les délinquants mineurs (ceux qui étaient âgés de moins de 18 ans au moment de l'infraction) est l'une des normes internationales des droits de l'homme les mieux définies et les plus importantes. Elle est sans équivoque et n'admet aucune exception. Les États Membres de l'Organisation des Nations Unies sont tous partie à l'un au moins des deux traités internationaux qui consacrent cette norme, la Convention relative aux droits de l'enfant et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Pourtant, des délinquants mineurs continuent d'être condamnés à mort, comme l'établissent de nombreuses informations sur lesquelles j'ai attiré l'attention des gouvernements concernés ces dernières années.

28. Dans sa résolution 10/2, le Conseil a instamment prié les États de veiller à ce que la peine capitale ne soit pas applicable aux délits commis par des personnes de moins de 18 ans et a demandé aux procédures spéciales du Conseil d'accorder une attention particulière à ces questions et de formuler, chaque fois qu'il conviendrait, des recommandations précises à cet égard.

29. Je souhaite donc attirer l'attention du Conseil sur le problème de l'application de la peine de mort aux délinquants mineurs, en particulier tel qu'il est reflété dans les communications envoyées aux gouvernements ces deux dernières années10. Au cours de cette période, j'ai adressé 33 communications à cinq gouvernements11, qui concernaient des allégations faisant état de la condamnation à mort de mineurs, de l'exécution de mineurs ou de leur exécution imminente. Les communications concernaient 46 délinquants mineurs, dont quatre étaient des filles12.
Dans six cas, les renseignements semblaient indiquer que le mineur avait été exécuté13.
Dans les autres cas, des appels urgents ont été envoyés lorsque des informations indiquaient que l'exécution d'un délinquant mineur risquait d'avoir lieu. Dans deux affaires, j'ai par la suite été informé par le gouvernement que la condamnation à mort avait été annulée en appel (A/HRC/8/3/Add.1); dans une autre affaire, j'ai ultérieurement reçu des informations selon lesquelles le délinquant mineur aurait été libéré (dans ces affaires, le gouvernement n'a pas répondu à mes appels urgents). Enfin, dans deux cas j'ai appelé l'attention du gouvernement sur des informations qui semblaient indiquer que l'exécution avait déjà eu lieu. Dans les deux cas, le gouvernement n'a ni confirmé, ni infirmé les informations reçues.

30. Malheureusement, le taux de réponses des gouvernements aux communications relatives à la condamnation à mort de délinquants mineurs est particulièrement bas. Seules quatre réponses ont été reçues aux 33 communications envoyées en deux ans, ce qui représente un taux de réponses d'environ 12 %. La dernière réponse a été reçue en février 2008.

31. D'aucuns demanderont peut-être pourquoi cette question mériterait l'attention du Conseil plus qu'une autre, alors que le nombre de délinquants mineurs exécutés est relativement peu élevé. Je vois au moins trois raisons à cela. Premièrement, les questions qui touchent au droit à la vie sont d'une importance fondamentale, comme l'ont reconnu à maintes reprises le Conseil et, avant lui, la Commission des droits de l'homme. Deuxièmement, l'application de la peine de mort à des délinquants mineurs nie les principes essentiels de la justice pour mineurs que de nombreux organes des Nations Unies s'efforcent de promouvoir et que tous les États ont accepté. Troisièmement, la crédibilité du Conseil serait compromise s'il ne réagissait pas à une situation qui conduit à des violations répétées d'une norme internationale clairement définie et universellement reconnue.

32. Il ressort des réponses reçues des gouvernements dans le cadre de la correspondance que j'ai engagée avec eux que quatre problèmes sont susceptibles de faire obstacle à la suppression de la peine capitale pour les délinquants mineurs non seulement sur le papier, mais dans la pratique.

33. Il semblerait tout d'abord qu'il y ait un malentendu concernant l'âge exact à partir duquel une personne cesse d'être mineure. Par exemple, le Gouvernement saoudien a indiqué qu'il appliquait «des dispositions réglementaires (...) prévoyant que toute personne peut être tenue pénalement responsable des actes qu'elle commet après avoir atteint l'âge de la majorité, qui diffère d'une personne à l'autre» (A/HRC/8/3/Add.1, p. 334). De même, le paragraphe 1 de l'article 7 de la Charte arabe des droits de l'homme, entrée en vigueur le 15 mars 2008, dispose que «la peine de mort ne peut être prononcée contre des personnes âgées de moins de 18 ans sauf disposition contraire de la législation en vigueur au moment de l'infraction». Bien que l'article premier de la Convention relative aux droits de l'enfant laisse la possibilité de fixer l'âge de la majorité à moins de 18 ans dans certains cas, cette disposition ne concerne pas l'application de la peine de mort. Au contraire, la Convention établit tout à fait clairement à l'alinéa a de l'article 37 qu'il faut que le délinquant ait 18 ans révolus au moment de l'infraction pour qu'il soit possible de le condamner à la peine de mort dans les pays où cette sanction n'a pas encore été abolie. Cette interdiction, contrairement à d'autres dispositions de la Convention, ne peut en aucun cas être adaptée en fonction du niveau de développement et de maturité du délinquant.
Le Comité des droits de l'enfant a insisté sur ces points lors de l'examen du rapport de l'Arabie saoudite14. De même, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne laisse aucune latitude concernant l'établissement de l'âge minimum à partir duquel la peine de mort peut être imposée. Les États qui sont parties à la Charte arabe des droits de l'homme et à l'un des deux autres traités internationaux relatifs aux droits de l'homme susmentionnés ou aux deux sont tenus d'appliquer la norme la plus stricte. Dans la pratique, cette règle s'applique à tous les États concernés.

34. Le second obstacle concerne les désaccords sur l'âge de l'intéressé. Au cours de la période considérée, contrairement aux exercices précédents (voir par exemple A/HRC/4/20/Add.1, p. 154), aucune des communications reçues des gouvernements ne contestait que les délinquants condamnés à mort étaient âgés de moins de 18 ans au moment de l'infraction. Toutefois, lorsqu'il existe un réel désaccord sur ce point, le Gouvernement a l'obligation d'accorder le bénéfice du doute à l'intéressé. Par conséquent, il n'est pas possible d'invoquer une défaillance dans l'enregistrement de la naissance à l'encontre d'une personne qui peut raisonnablement contester l'affirmation des autorités selon laquelle elle avait atteint l'âge de la majorité au moment de l'infraction.

35. Une troisième difficulté, invoquée en particulier par l'État qui est responsable de la grande majorité des exécutions de mineurs, touche aux prescriptions du droit musulman. En effet, le principal argument avancé par la République islamique d'Iran est que, lorsque la peine de mort vise à punir un meurtre conformément à la loi du talion (le qesas), «l'application de la sanction se fait à la demande des représentants légaux de la victime, le Gouvernement étant uniquement chargé de l'exécuter en leur nom» (A/HRC/8/3/Add.1, p. 218). Le Gouvernement a fait valoir qu'en raison de ce principe, il ne pouvait pas faire appliquer l'interdiction d'exécuter les délinquants mineurs dans les cas où la peine de mort était imposée conformément à la loi du talion. Il a indiqué que, pour les mêmes motifs, les autorités n'étaient pas habilitées à accorder la grâce ou à commuer une peine de mort dans les affaires de ce type. Il a ajouté qu'il s'efforçait «d'utiliser des mécanismes susceptibles d'inciter les représentants légaux de la victime à accepter d'accorder leur pardon à un délinquant mineur, par exemple en leur accordant une aide financière». Je n'ai pas pour mandat d'examiner la validité de cet argument au regard du droit musulman, mais il convient de relever qu'aucun des autres États où la loi musulmane est applicable n'a éprouvé le besoin d'invoquer cette exception.

36. Du point de vue du droit international, en revanche, il est clair, ainsi que je l'ai indiqué dans les cas pertinents15, qu'il n'est pas possible d'appliquer l'obligation de faire cesser l'exécution des délinquants âgés de moins de 18 ans aux seules autorités judiciaires, et de tolérer l'existence en parallèle d'un régime distinct visant à satisfaire les demandes de réparation additionnelles formulées par les familles des victimes. Rien de tel n'est envisagé ni au paragraphe a) de l'article 37 de la Convention relative aux droits de l'enfant, ni au paragraphe 5 de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Autoriser un tel régime distinct, et pour l'État reconnaître qu'il n'a aucune prise sur lui, saperait le système du droit international des droits de l'homme dans son ensemble. C'est peut-être d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles aucun autre État n'a invoqué cette exception pour justifier le maintien de l'application de la peine de mort aux délinquants mineurs.

37. Dans certains États, la peine de mort à l'encontre des mineurs peut être abolie par une simple décision de justice (comme cela s'est fait aux États-Unis d'Amérique en mars 2005)16. Dans d'autres États, la procédure est plus complexe. Quels que soient les moyens employés, il est impératif que toutes les lois qui autorisent l'exécution des délinquants mineurs soient abrogées, que les tribunaux ne condamnent plus à mort les délinquants mineurs et qu'un moratoire soit instauré sur l'exécution des personnes ayant été condamnées à mort en vertu de la législation antérieure. Il est instructif de passer en revue les faits nouveaux survenus à cet égard dans les pays concernés.

38. En janvier 2005, le Gouvernement iranien a informé le Comité des droits de l'enfant que l'exécution des délinquants qui avaient commis un crime alors qu'ils avaient moins de 18 ans avait été stoppée. Il l'a répété dans une note verbale adressée au HCDH le 8 mars 2005, dans laquelle il expliquait que l'interdiction d'exécuter ces personnes avait été incorporée au projet de loi sur les tribunaux pour mineurs soumis au Parlement pour approbation17. J'ai demandé des informations sur l'état d'avancement de ce projet de loi dans huit communications, mais je n'ai reçu aucune réponse sur ce point18.

39. Pendant ce temps, on continue à condamner à mort et à exécuter des mineurs. Des informations fiables indiquent qu'il y aurait actuellement au moins 130 délinquants mineurs condamnés à mort en Iran. J'ai envoyé 24 communications concernant 30 affaires différentes relatives à des délinquants mineurs condamnés à mort ou exécutés; malgré cela, aucune action concrète n'a été engagée pour amener la République islamique d'Iran à respecter ses obligations au regard du droit international. Je demande depuis 2004 à effectuer une visite dans le pays, qui a lancé une invitation permanente à toutes les procédures spéciales. Malgré plusieurs rencontres de haut niveau à Genève, aucune date n'a été fixée à ce jour.

40. Il continue de se produire des cas gravement préoccupants. B. Z. a été reconnu coupable d'avoir tué une personne en 2005, alors qu'il avait 16 ans. Le 14 février 2008, le Gouvernement m'a informé que, pour des motifs d'humanité, l'appareil judiciaire avait lancé une procédure de conciliation qu'il suivait avec attention, avec l'espoir qu'elle aboutirait. Il n'était donc pas prévu de procéder à l'exécution (A/HRC/8/3/Add.1, p. 216). Six mois plus tard, le 26 août 2008, B. Z. a été exécuté à Shiraz19. Dans une autre affaire, Delara Darabi avait été condamnée pour avoir tué un membre de sa famille lorsqu'elle avait 17 ans, en 2003. Il semblerait qu'elle ait avoué le meurtre pour protéger son compagnon, qui était le vrai coupable, mais que par la suite elle se soit rétractée. Le 19 avril 2009, le chef de la magistrature lui aurait accordé un sursis de deux mois, mais cette ordonnance a été ignorée et elle a été exécutée moins de deux semaines plus tard, le 1er mai 2009.

41. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, un projet de loi sur la justice pour mineurs visant à interdire l'imposition de la peine de mort à des délinquants mineurs serait examiné par le Parlement20. Le Sud-Soudan a aboli la peine de mort à l'encontre des délinquants mineurs lors de l'adoption en 2006 de sa Constitution provisoire, mais au moins six personnes condamnées à mort pour des crimes commis alors qu'elles étaient mineures attendaient toujours leur exécution21. La Constitution nationale provisoire du Soudan, adoptée en 2005, maintient toutefois une exception à l'interdiction d'imposer la peine de mort à une personne de moins de 18 ans pour les cas relatifs à la loi du talion ou hudud (art. 36, par. 2). En août 2008, un tribunal de Khartoum chargé des affaires de terrorisme a condamné à mort un jeune de 17 ans reconnu coupable d'avoir participé aux attaques perpétrées par le Mouvement pour la justice et l'égalité à Omdurman en mai 2008 et accusé du crime d'hiraba (brigandage), l'un des hudud22.

42. L'exécution des délinquants mineurs constitue un affront aux principes fondamentaux d'un traitement humain et une violation flagrante du droit international. Le fait qu'un État donné persiste à faire condamner à mort et exécuter des mineurs constitue donc un défi de taille pour le Conseil dans l'accomplissement du mandat qui lui a été confié.


[...]
IV. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
[...]

B. Exécution des délinquants mineurs

67. L'exécution des délinquants mineurs est une violation manifeste et grave des normes internationales relatives aux droits de l'homme. L'interdiction de cet acte est ouvertement et systématiquement transgressée dans un État Membre, en violation de ses obligations conventionnelles. Dans sa résolution no 10/2, le Conseil a prié instamment tous les États de faire en sorte que cette pratique soit éliminée et a demandé aux titulaires d'un mandat au titre des procédures spéciales de formuler des recommandations précises à cet égard, y compris des propositions concernant les mesures à prendre pour mettre en place des services consultatifs et une assistance technique. Le Président du Conseil devrait désigner un membre du Bureau du Conseil qui serait chargé de visiter la République islamique d'Iran afin d'engager des consultations avec tous les acteurs concernés en vue de déterminer les mesures appropriées pouvant être prises pour mettre un terme immédiat aux condamnations et aux exécutions de délinquants mineurs.


[...]



Notes

10 Voir A/HRC/8/3/Add.1 et A/HRC/11/2/Add.1.

11 Il s'agit des Gouvernements des pays suivants: Arabie saoudite, Pakistan, Papouasie-Nouvelle-Guinée, République islamique d'Iran et Soudan. L'organisation Human Rights Watch a récemment publié un rapport intitulé «The last holdouts: ending the juvenile death penalty in Iran, Saudi Arabia, Sudan, Pakistan and Yemen» (disponible à l'adresse: http://www.hrw.org/en/reports/2008/09/10/last-holdouts), qui ne traite pas de la Papouasie-Nouvelle-Guinée mais comprend le Yémen.

12 Les communications envoyées étaient ainsi réparties: République islamique d'Iran, 24 communications concernant 30 délinquants mineurs; Soudan, 4 communications concernant 10 délinquants; Arabie saoudite, 3 communications concernant 4 délinquants; Papouasie-Nouvelle-Guinée et Pakistan, chacun 1 communication concernant 1 délinquant.

13 Voir A/HRC/11/2/Add.1.

14 Voir CRC/C/SAU/CO/2, par. 32.

15 Voir par exemple les communications envoyées à la République islamique d'Iran et au Soudan qui figurent dans le document A/HRC/11/2/Add.1.

16 Roper v. Simmons, 543 U.S. 551 (2005).

17 A/HRC/4/20/Add.1, p. 152.

18 Voir les communications envoyées à la République islamique d'Iran le 5 janvier 2007, le 31 janvier 2007, le 29 février 2008, le 27 mars 2008, le 2 mai 2008, le 13 août 2008, le 30 janvier 2009 et le 6 mars 2009.

19 Voir la communication envoyée à la République islamique d'Iran le 24 octobre 2008 (A/HRC/11/2/Add.1).

20 Voir la communication envoyée à la Papouasie-Nouvelle-Guinée le 29 décembre 2008 (A/HRC/11/2/Add.1).

21 Voir la communication envoyée au Soudan le 10 octobre 2008 (A/HRC/11/2/Add.1).

22 Voir la communication envoyée au Soudan le 23 septembre 2008 (A/HRC/11/2/Add.1).
Partager…